Alors que la première fournée de son livre Cardsmania, 30 ans d’histoire des cartes de basket en France, s’est déjà vendue comme des petits pains, Julien Chiron a gentiment pris le temps de discuter avec BasketUSA.
On a évidemment papoté de la sortie de cet ouvrage passionnant qui retrace les différentes évolutions du marché de la carte basket en France, avec son arrivée en fanfare au début des années 90 et l’effet Dream Team en 92 qui sera relayé par de nombreuses marques dans la grande distribution, de McDonald’s à Golden Grahams. Mais aussi des tractations en coulisses, de la concurrence entre plusieurs marques dont Upper Deck, Fleer ou encore Topps, qui a aujourd’hui abouti au monopole de Panini. Et puis tout de même, de ce qu’était le hobby à l’époque.
Car, bien plus qu’un petit bout de carton, les cartes de basket racontent leur propre histoire, vécue en parallèle de l’action et des titres remportés sur les parquets de la Ligue.
Raconter l’histoire du hobby en France
Tout a commencé par une purge. Un manque d’espace virtuel pour le forum sur les cartes à échanger, et voilà des années d’archives qui disparaissent à jamais.
« Ça fait une quinzaine d’années que je suis un des modérateurs de basket-cards.com. Du temps des forums, ça remonte un petit peu maintenant, on avait une vraie communauté de collectionneurs actifs. Mais, un jour, on a eu une purge car, comme le site ne générait pas d’argent et qu’il fallait payer les gigas supplémentaires pour stocker toutes ces données, on a perdu une bonne dizaine d’années d’archives, qu’on ne retrouvera plus jamais. C’était en 2015. »
« Je me posais pas mal de questions pour savoir si je n’allais pas me lancer dans un travail d’archiviste du hobby. J’ai lancé quelques blogs, ce qui était débile car ça se passait plutôt sur les vidéos YouTube. Mais l’idée commençait à germer dans ma tête, et fin 2019, j’avais des projets écrits, pour laisser une trace du hobby, et spécifiquement pour la France, car c’est ça qui m’intéressait le plus. Car si demain, le forum s’arrête, qu’est-ce qu’il restera de toutes ces rencontres, de tous ces échanges et de ces années de discussion ? »
« Comment Upper Deck avait réussi à mettre des cartes dans les poches de tous les gamins des années 90 » ?
Julien Chiron a donc pris sa plume pour commencer à coucher l’histoire de cette communauté française qui a vibré depuis l’invasion de la NBA au début des années 1990. Son objectif : comprendre « comment Upper Deck avait réussi à mettre des cartes dans les poches de tous les gamins des années 90 » ?
« J’ai essayé d’aller à la rencontre du maximum de collectionneurs, du maximum d’acteurs du hobby, que je connaissais, que j’ai connus ou que je ne connaissais pas encore forcément. Et surtout d’aller le plus loin possible dans la recherche de ceux qui avaient fait le hobby à l’époque, depuis les débuts. »
Mais le parcours est inévitablement parsemé d’embûches. Quand on s’intéresse à un loisir de niche qui confine souvent à une passion nostalgique, c’est presque une course contre le temps. Un voyage à contre-courant. « Le problème, c’est que plus tu avances dans le temps, et plus tu perds les souvenirs et les souvenirs des autres collectionneurs. Et l’intérêt pour le hobby aussi. Je te parle de certains professionnels qui ont complètement changé de branche et qui ont oublié ces années. »
« J’ai fait un vrai travail de recherches aussi, pour rendre un travail final le plus professionnel possible. Si tu ne fais pas ce travail-là, tu ne peux pas te lancer dans un projet de livre. Ce n’est pas forcément un domaine où on trouve facilement les infos. J’ai été bien inspiré par un documentaire français de 2014 qui s’appelle Marvel renaissance qui raconte l’histoire de Marvel à travers ses fans, et en évoquant notamment Panini et Fleer. Dans ce docu, tu as Bill Jemas, qui était un ancien directeur de Fleer à cette époque très compliquée. Ça m’a permis de décortiquer un peu ce côté-là. Ensuite, un peu tombé de nulle part, un jour j’ai retrouvé la trace de graphistes et designers qui travaillaient pour Skybox, pour Fleer à l’époque, qui m’ont orienté vers des gens. Puis ensuite, j’ai été orienté aussi par des designers Upper Deck. On m’a donné le nom de ceux qui avait crée telle ou telle collection. De fil en aiguille, j’ai commencé à avancer. »
« Après, je le dis tout de suite, je ne suis pas Elise Lucet, je n’ai pas été frapper aux portes. J’ai eu beaucoup de déceptions aussi. Par exemple, j’ai été en discussions pendant des mois avec le directeur de Upper Deck International qui était implanté en France, et qui au bout d’un moment, n’a plus voulu répondre à mes questions ! Je ne désespère pas de le relancer et d’en faire un petit article un jour mais il n’a pas répondu à certaines questions que je pensais pertinentes, pour comprendre ce que ça générait économiquement. De savoir si ça marchait. Si tous les paquets qu’ils produisaient entre 1994 et 1997 pour les bureaux de tabac… Ça se comptait en millions. Est-ce que ça générait de l’argent ? Je voulais connaître les chiffres de vente. Mais c’est un peu comme avec McDo. Quand tu commences à taper aux portes des multinationales, il faut s’accrocher pour avoir des réponses… »
L’invasion US dans les cours d’écoles
Gamin des années 90, Julien Chiron était aux première loges pour assister à cette arrivée massive des cartes de basket en France. L’aventure olympique de la Dream Team en 92 a joué un rôle de déclic. Mais, en coulisses, le savoir-faire et les ambitions commerciales de David Stern à la tête de la NBA ont également été des facteurs fondamentaux pour expliquer ce véritable raz-de-marée.
« J’ai commencé avec les autocollants de foot et de dessin animé, comme beaucoup de gamins de ma génération. Le basket est arrivé peu à peu mais surtout après les Jeux Olympiques de Barcelone en 1992. Parce que la presse basket a envahi la scène et nos mains de collégiens à l’époque. En septembre 1992, à la rentrée au collège, c’était une vraie révolution parce qu’on passait des autocollants à la carte en carton. On basculait vers plus de qualité. Ça devenait un objet qui prenait plus de valeur. C’est un petit peu plus compliqué à conserver, il fallait en prendre soin. Conjointement, il y avait le package plus global de la pop culture. Il y avait tout en même temps. On avait la culture US, la musique : le rap et le hip-hop. Les fringues : le streetwear et le sportswear. Tout ça arrivait en Europe. Les cartes, c’était juste une toute petite partie de ce package. »
« C’était la grande époque des Hornets et des Bulls, plus que des Lakers et des Celtics. En 1992, tu avais des nouvelles couleurs, des nouvelles équipes. Ce qui était vraiment marquant, dans la classe, tu avais toujours un maillot des Hornets, un maillot des Bulls et un maillot des Suns. Et plus vraiment des Lakers, des Celtics ou des Pistons. On voyait aussi que le basket prenait le pas sur le foot. Je le dis tout le temps mais c’était un fait. »
« Dans la cour de récré, le panier de basket avait pris la place du foot »
« Dans la cour de récré, le panier de basket avait pris la place du foot. Ceux qui voulaient jouer au foot n’avaient plus le droit de jouer au foot. Les cartes sont arrivées naturellement dans ce package. C’était une manière de s’intéresser au sport dans la continuité naturelle. C’était quand même un budget, il ne faut pas l’oublier. Tout le monde n’avait pas accès à ça, c’était une chance de pouvoir le faire. J’ai eu énormément de chance de pouvoir collectionner les cartes, que mes parents acceptent que je mette de l’argent dans ça. J’avais beaucoup de copains dont les parents l’interdisaient. »
« Aujourd’hui, on ne se pose plus trop la question de l’accessibilité mais c’est hyper important dans la démarche. Rien que de voir du basket, des matchs, c’était déjà des contraintes et une difficulté. On se posait beaucoup de questions pour savoir comment on allait pouvoir voir des matchs. Après, comment on allait faire pour s’approvisionner en cartes, c’était encore un délire total. La vente par correspondance, c’étaient vraiment les débuts. Ça a vraiment commencé à se développer autour de 1994, et avant, c’était très compliqué. Les commerces spécialisées ont commencé à se développer, mais au final assez tardivement puisque c’était en 1994. Et uniquement à Paris pour ainsi dire.
« En gros, tu as eu plusieurs phénomènes, mais l’un des plus importants, c’est que la NBA a vraiment fait un énorme effort de développement à l’international. David Stern en a été le maître. Il a eu la chance d’avoir Jordan, la Dream Team pour répondre à ce besoin, mais c’était un maître du marketing, de la communication et du business. Il savait qu’il avait des joyaux entre les mains et qu’il fallait les utiliser à toutes les sauces. C’est ce qu’il a fait. »
De la NBA à toutes les sauces
« Cardsmania » rappelle effectivement combien la stratégie internationale de la NBA a été réfléchie et surtout rapidement mise en place pour surfer sur la vague Michael Jordan, elle-même ayant suivi celle du duo Larry Bird – Magic Johnson dans les années 1980 (la Dream Team représentant la jonction de ces deux générations dorées).
Bien avant l’avènement du Web, la Grande Ligue a bien senti l’intérêt de vendre son image sur une multitude d’avenues différentes, pour être vu le plus souvent possible. Et en particulier par les jeunes consommateurs !
« Comment pouvait-on y avoir accès ? En allant au McDo par exemple. Tu allais manger et tu avais tes cartes. Tu avais ton ballon de basket. D’une manière ou d’une autre, tu ne pouvais pas y échapper. Même à la campagne, il y avait toujours des potes pour te prêter un 5 Majeur ou un Mondial Basket. Même si tu ne pouvais pas aller t’acheter un paquet de cartes à la papeterie, tu en avais dans les paquets de Golden Grahams. C’était fou, c’était incroyable. »
« Cette époque, entre 1996 et 1998 on va dire, ça reste ce qui est le plus demandé en vintage »
« En gros, tu avais quelques marques éditrices qui ont gagné des licences, dans chaque sport. Mais ce qui a fait la folie de la NBA, c’est que toutes ces marques ont eu la licence dans les années 90. Donc tout le monde pouvait faire des cartes de basket, avec des images de Jordan. Avec Shaq, Magic Johnson etc… Mais, forcément, à un moment, il y en avait trop. Vers 1997, très certainement la plus grande année pour les cartes de basket, il y avait trop d’éditeurs. Donc la qualité ne faisait qu’augmenter, il y avait toujours plus de choses. Les cartes autographiées sont arrivées, les cartes avec un bout de maillot dedans. »
« Globalement, tu as une marque qui va éditer un certain nombre de collections par an, en général. C’était une vingtaine à peu près. Leur créneau, c’était de faire une collection qui va être accessible à tous, hyper basique avec une carte du joueur avec photo et stats. Et après, tu vas monter en gamme, avec les premium, et puis du extra premium. Jusqu’à arriver aujourd’hui à des délires où tu achètes une boîte à 4 000 dollars et dans la boîte, il y a cinq cartes ! »
« C’était assez illisible parce que chaque marque, chaque éditeur, créait des gammes qui étaient beaucoup trop importantes en fait. En tant que collectionneur, on en était content parce que ça n’arrêtait pas et la qualité était incroyable. La PAO [La Publication Assistée par Ordinateur] est arrivée. L’informatique a beaucoup révolutionné tout ça. J’en parle beaucoup dans le bouquin, tu as Fleer qui rachète aussi Skybox. Et qui récupère aussi les droits de Marvel, sur toutes les images de super héros. Les graphistes partent alors dans des délires incroyables et c’est pour ça que cette époque, entre 1996 et 1998 on va dire, ça reste ce qui est le plus demandé en vintage. Et les prix ont énormément grimpé aussi, mais parce que les designs étaient incroyables. Les gammes étaient beaucoup trop larges. Fleer sortait ses entrées de gamme et les premium Flair. Et Upper Deck a fait de même avec les SP, puis les SPX et ainsi de suite. »
Les différents types de collectionneurs
Dans ce tourbillon de bouts de cartons de plus en plus complexe à déchiffrer avec l’arrivée de technologies plus avancées, il faut distinguer plusieurs types de collectionneurs. Il y a d’abord les collectionneurs de joueurs, les « hardcore ». Puis, les collectionneurs d’équipe, comme Alain, « Mister Rockets », ou Jean-Paul, fondu des Lakers. Et enfin, les collectionneurs de « sets ».
Mais les comportements de collectionneurs vont eux aussi changer avec l’évolution du marché. Les compagnies éditrices continuant de leur côté leur petite guerre pour savoir qui sortira la dernière nouveauté qui fera fureur.
« Tu as des collectionneurs de joueurs, ce qu’on peut appeler les collectionneurs hardcore parce qu’ils veulent tout simplement avoir toutes les cartes sur leur joueur. J’en parle beaucoup dans le bouquin parce qu’en France, il y en a beaucoup qui collectionnent un ou plusieurs joueurs et qui veulent absolument les avoir toutes. C’est très compliqué maintenant parce que Panini a le monopole depuis 2009. »
« On a déjà fait les autographes, les bouts de maillot, qu’est-ce qu’on peut faire de plus ? »
« Dans leurs collections, ils font ce qu’on appelle des parallèles. Tu as une carte d’un joueur, Kyrie Irving (pour ne pas être polémique). Tu as sa carte basique, sur un fonds noir disons, qui va être numérotée sur 299 exemplaires. Et puis, tu vas avoir la même carte, mais avec un fonds vert qui sera numérotée sur 50. Et encore une autre sur un fonds bleu qui sera numérotée sur 25. Etc. Tu vas te retrouver avec une vingtaine de parallèles à collectionner, de la même carte pour le même joueur, de la même série et qui va devenir une hantise, et un casse-tête pour les collectionneurs. Tu peux plus collectionner. »
« Les éditeurs ne sont pas bêtes, ils veulent attirer avec tout un tas de nouveautés. Comment on va faire pour continuer à vendre nos paquets de cartes ? On a déjà fait les autographes, les bouts de maillot, qu’est-ce qu’on peut faire de plus ? Ils ont inséré des cartes numérotées à un exemplaire. Il y a des cartes uniques de ton joueur, dans toutes les collections. Du coup, quand tu les veux toutes, ta collection ne s’arrête jamais en fait. »
« Il y a aussi les collectionneurs d’équipe. Et là, ça monte rapidement en volume. Et puis, il y a aussi les collectionneurs de set, ce qui n’existe plus trop aujourd’hui. Les collectionneurs aguerris ne s’y intéressent plus trop parce que c’est un processus très long, et aussi parce qu’acheter des boîtes, c’est quasiment devenu inaccessible. C’est extrêmement cher. Un peu comme sur le marché des chaussures en fait. Panini a beaucoup joué négativement là-dessus car ils ont senti le vent tourner et ils jouent sur l’immense hype de « The Last Dance », à essayer de faire le plus d’argent possible. Toutes les collections ont pris un bond énorme en termes de tarif. Il y a énormément d’investisseurs qui ont envahi le marché pour essayer de trouver la carte qui fera la meilleure vente. Cet aspect financier a beaucoup modifié les codes, car ça empêche souvent les collectionneurs d’accéder à leur plaisir. »
La communauté française des collectionneurs
Ce qui avait démarré comme un hobby somme toute très innocent, à échanger des cartes contre ses camarades de classe dans la cour de récréation, a petit à petit évolué pour devenir un marché où la valeur d’échange n’a plus tellement d’importance. C’est la valeur marchande, celle qu’on trouve sur les sites de commerce (type Ebay) qui va faire référence.
De ses jeunes années de collectionneur débutant à son apprentissage, parfois à la dure, des réalités économiques du marché, Julien Chiron raconte l’histoire de cette communauté tricolore qui a grandi avec ce hobby, passant des marques de la grande distribution aux magazines spécialisés, puis aux boutiques spécialisées, avant l’explosion grâce à l’arrivée d’Internet et une accessibilité sans précédent. Qui a sonné le glas des intermédiaires…
« J’ai collectionné Rodman assez rapidement, dès 1995. Quand il arrive aux Bulls. Je me souviens encore de la photo qui était dans Mondial Basket, on était comme des dingues. Tu sentais qu’il allait se passer un truc dans le jeu et aussi que ça allait être aussi un tournant. Juste avant, il y avait le retour de Michael Jordan aussi. Ça a relancé l’attrait pour le basket. »
« Au fil des années, et dans les années 2010, j’ai collectionné Ron Artest, parce que je trouvais que c’était un peu le Rodman moderne. J’aimais bien les shooteurs donc je collectionnais des joueurs comme ça. Je collectionnais aussi quelque sets, ou des cartes spécifiques. Dans la vie d’un collectionneur, c’est très très rare de tomber sur quelqu’un qui va rester à fond sur un seul joueur pendant toute sa vie de collectionneur. À un moment, tu vas te faire chier, il faut dire les choses franchement, tu vas avoir du mal à trouver des cartes sur ton joueur et pour rester un peu actif, tu vas forcément te diversifier. À l’époque, on s’envoyait nos listes respectives de joueurs qu’on recherchait, ou on passait par la rubrique cartes des magazines. »
« Tous les samedis, on retrouvait les mêmes personnes qui faisaient le tour des boutiques spécialisées »
« Il y a eu une communauté qui s’est créée très rapidement. Tous les samedis, on retrouvait les mêmes personnes qui faisaient le tour des boutiques spécialisées à Paris, et c’était le même phénomène en province, à Lille, à Lyon, dans le Sud beaucoup aussi. À Paris, il y avait Planète Basket, une grande boutique qui avait un énorme sous-sol, à côté de Châtelet, c’était le repère et tu pouvais poser tes classeurs et passer ta journée avec d’autres, jeunes et moins jeunes, à échanger ou discuter. Juste avant internet, il y avait aussi des bourses d’échanges ou des journées d’échange. »
« Globalement, jusqu’au milieu des années 2000, tu avais une valeur d’échange, le fameux Beckett. En gros, tu prenais ta carte de Shaq, un insert à 20 dollars et le collectionneur des cartes de Shaq venait te voir pour te proposer quelque chose en retour. Donc tu regardais ses classeurs et tu trouvais une carte de la même valeur ou plusieurs cartes pour arriver à la même valeur. C’était assez sain. Il y a toujours des magouilles et des arnaqueurs. Certains gamins se retrouvaient avec des cartes assez chères dans un de leurs paquets et là, tu avais dix gars qui lui tombaient dessus pour la récupérer, ça a toujours existé. J’ai eu beaucoup de retours de gamins de mon âge à l’époque, entre 13 et 17 ans, qui avaient aussi cette appréhension parfois. C’était pas toujours évident. »
« Ça a beaucoup évolué avec l’arrivée d’internet et l’accessibilité accrue des produits. On pouvait directement commander les boites aux grossistes américains, tu n’avais plus besoin de passer par les boutiques spécialisées. Tu pouvais te créer ton compte et directement acheter chez eux. Ça a tué les petits commerçants français, et européens, parce que tu n’étais plus obligé d’acheter ta boîte 200 euros quand tu l’as trouvée à 175 sur internet. Et tu la recevais aussi rapidement. Ebay est aussi arrivé là-dessus. »
« En Europe, on a eu accès à une offre qu’on n’avait pas eue jusque-là, et à des prix bien plus attractifs. On a moins échangé avec des valeurs d’échange mais avec les valeurs de vente. La valeur Ebay a pris le dessus. Tu veux telle carte, elle est à 200 sur Ebay. Même si elle était cotée à 100 euros, elle était à 200 sur Ebay donc tu en voulais pour 200 en retour. C’est un mécanisme différent. La valeur d’échange ne vaut plus rien et c’est bien l’offre et la demande qui va faire fluctuer le prix de la carte. Aujourd’hui, les collectionneurs ne connaissent que cette valeur-là, la valeur de vente. »
Le design, la partie artistique de la carte
Dans ce business florissant des cartes NBA au cours des années 90, il y a eu aussi des coups d’arrêt. Comme la première retraite de Michael Jordan. Ou plus spécifiquement en France, la Coupe du Monde 1998 qui a remis le foot sur le devant de la scène. Mais il y a aussi tout un vocabulaire qui s’est rapidement développé pour définir les multiples innovations d’un marché en plein boom.
« Regular », « Premium », « Insert », « Parallel »… Tous ces termes anglicisants ont contribué à affirmer la spécialisation du hobby. Un hobby simplement en veille au tournant des années 2000, car l’essor reprendra bientôt. Avec l’arrivée de LeBron James en l’occurrence. Mais aussi grâce à l’éclosion d’autres technologies aptes à satisfaire des collectionneurs de plus en plus nombreux tout autour du globe.
« Dans le bouquin, on parle des backs et j’ai eu de bons retours par rapport à ça. A priori, le dos de la carte est juste pour savoir de qui on parle, avec les stats. Parce qu’on n’avait pas les stats ! J’apprenais par cœur les checklists, les noms des joueurs, leurs parcours, leurs stats, c’était une autre époque… Mais le design, ça a été un complément important. »
« C’est pour ça que certains parlent d’art sur un format restreint »
« Si tu regardes, les premières collections sont très basiques, très simples. Les premières Fleer et Skybox sont assez ignobles. Elles ont un design très basique, géométrique, et des couleurs assez grossières. On rejoint aussi la logique de production, qui a progressé et évolué avec l’arrivée des technologies. Et les outils qu’on mettait dans les mains des designers. C’était plus des dessinateurs, mais vraiment sur des outils informatiques. Les Arena Design, l’entreprise qui a travaillé sur ses designs au milieu des années 90, c’est un couple qui d’ailleurs retravaille à nouveau pour Upper Deck depuis deux ans, ils ne sont pas limités au format de la carte. Ils ont joué avec le format, en faisant le Die Cut. Et puis, ils ont essayé d’utiliser différents matériaux. Ils ont commencé à intégrer du métal, plusieurs couches de papier, divers matériaux pour faire des reliefs, des formats incroyables. Il y a de la 3D, des procédés holographiques. Le format n’a jamais vraiment changé mais ils ont joué en essayant de faire tout un tas de choses différentes. C’est pour ça que certains parlent d’art sur un format restreint, car il y a eu aussi cette réflexion créative. »
« Les cartes holographiques, c’est vraiment la première évolution technologique marquante, c’était en 1992-93 avec les cartes Triple Double d’Upper Deck. Après, c’est surtout l’intégration du plastique, du métal et d’autres matériaux. L’impression laser, la découpe au laser, aussi, ça a complètement révolutionné le procédé créatif. Il y avait des génies de leur domaine, hommes et femmes. Quand une marque sort 20 collections par an, c’est du boulot non stop. Et il faut travailler un an à l’avance. Pendant des années, tous ces gens travaillaient jour et nuit pour créer des nouveaux designs, mais des trucs qui devaient aussi rentrer dans des budgets. J’ai eu des histoires de collections sur lesquelles ils avaient déjà bossées qui ont été abandonnées parce qu’elles allaient coûter trop cher. Il y a eu beaucoup d’évolution grâce à la PAO et à l’informatique. Et puis au génie de quelques personnes. »
« C’est Topps qui a fait cet effet ballon, avec cette granularité, pour la première fois. On parle surtout des autres marques mais Topps aussi a fait des trucs incroyables dans le basket. En fin de compte, toute les marques ont fait des trucs sympas. Et jusqu’à aujourd’hui. Il ne faut pas non plus cracher sur Panini qui va certes au plus économique. Ils ont racheté une boîte, Donruss, qui avait déjà ses designers. Il y a eu des daubes mais il y a aussi eu des trucs de grande qualité. »
Les plus belles collections
Alors que la technologie actuelle pourrait probablement éclipser beaucoup des designs des années 1990, l’âge d’or de la carte de basket se situe entre 1996 et 1998, selon notre spécialiste. Dans un domaine où la concurrence a fait rage durant les années 90, le retour de Michael Jordan et ce dernier triplé avec les Bulls a été accompagné d’un crescendo de créativité et de prouesse technologique, qui n’a plus été atteint depuis.
« Pour moi, une des plus belles collections, c’est la collection Upper Deck SPX 96. C’étaient des cartes aux bords arrondis, une sorte de carte ovale, complètement holographique. C’était une collection incroyable parce que le paquet coûtait 30 francs et tu avais une carte dans le paquet ! Dans la boîte, tu avais 30 paquets, donc 30 cartes avec un set de regular de 50 cartes et quelques inserts, dont Michael Jordan, et c’était la première collection dans laquelle ils ont intégré une Redemption, une carte qui te donnait droit à un autographe de Michael Jordan. Il y a un français qui en a eu une. On ne sait pas exactement combien il y en avait mais ce qui est sûr, c’est qu’il y en avait moins de 1 000 dans le monde. Aujourd’hui, c’est une carte qui vaut plus d’une dizaine de milliers d’euros ! »
« Le principe, c’était une signature sur la carte, mais ça demandait beaucoup de temps parce qu’il fallait aller voir le joueur, qu’il y ait un représentant de la marque pour attester que c’était bien le joueur qui avait signé lui-même. Après, il y a eu les stickers, qui ont bien pourri le marché, où ils faisaient signer des planches d’autocollant au joueur et puis ils les collaient sur les cartes. Cette collection est pour moi assez cultissime. Je m’amuse d’ailleurs à les faire signer par les joueurs, quand j’arrive à les voir ou par courrier. »
« 2003-04 a marqué un tournant incroyable sur le marché »
« Une des collections les plus cultes en termes de design, c’est la Metal Universe 97-98 qui reprend les designs Marvel en fond avec des trucs complètement hallucinants, des couleurs dingues. Ce qui a tiré une fameuse parallèle, les Precious Metal Gems qui sont des cartes limitées à 100 exemplaires, et une version en vert sur 10. A l’époque, c’étaient des cartes déjà très compliquées à trouver mais qui valaient une centaine de dollars. Mais aujourd’hui, elles sont parmi les plus chères au monde, à 150 000 voire 200 000 dollars la carte. C’était le rêve de tout collectionneur d’avoir une de ces cartes. Même si elles s’abîmaient très rapidement aussi. »
« Dans le Top 3, je mettrais aussi la collection Upper Deck Exquisite, l’année de l’arrivée en NBA de LeBron, en 2003-04 parce que ça a marqué un tournant incroyable sur le marché. Sont arrivées des paquets avec cinq cartes. On ne connaissait pas ça avant, c’était le début de l’hyper premium. Ils ont fait cette déclinaison plusieurs années après ça, avec des cartes très très épaisses. 0,5 cm d’épaisseur. Ce n’était plus les cartes qu’on mettait en classeur mais carrément un objet qu’on met dans un écrin en bois. Ce sont des collections qui restent mythiques. »
« Upper Deck, c’est la marque phare pour moi, parce que c’était celle qui a vraiment marqué notre génération, qui a ancré le truc. Fleer marchait bien parce qu’ils avaient une stratégie commerciale de vendre leur paquet un peu moins cher que Upper Deck. Mais il y avait moins de cartes dans le paquet évidemment. Et il y avait aussi beaucoup moins de recherche. Upper Deck traduisait ses cartes en français, Fleer ne le faisait pas. La licence Jordan évidemment a joué. Et ils avaient des produits supérieurs, les fameux Memorabilia, des gammes, des maillots signés, des ballons signés. Ils ont commencé à insérer des morceaux de maillot en 1997 aussi. Par contre, c’est Skybox, et donc Fleer, qui a initié les autographes. C’était cette concurrence qui faisait la force du marché. C’est aussi pour ça que Panini a un peu tué tout ça parce qu’ils sont seuls sur le marché maintenant. La concurrence a souvent du bon. »
Le petit monde très concurrentiel des cartes de basket
De fait, à la différence des autres sports américains, comme le baseball ou le hockey où Fleer et Topps (voire Donruss) étaient solidement installés depuis belle lurette, la NBA a fait jouer la concurrence à fond. Il était évidemment dans son intérêt de multiplier ces contrats afin d’atteindre le plus de consommateurs possibles.
Mais une petite entreprise californienne, Upper Deck, va radicalement modifier les règles du jeu avec sa créativité et son esprit d’entreprise. Les « historiques » n’avaient qu’à bien se tenir… « La concurrence a été biaisée à partir du moment où Upper Deck a réussi à signer l’exclusivité avec Michael Jordan. Et pas que Michael Jordan… Ils ont eu Tiger Woods, puis LeBron James en 2003. Ils avaient Kobe avant que lui ne passe chez Panini en 2009. »
« Upper Deck qui n’était pas historique, est arrivé au début des années 90. C’étaient les petits californiens qui débarquent sur le marché, alors que Topps et Fleer étaient les historiques. Ils étaient déjà dans le hobby depuis des dizaines d’années, ils faisaient du baseball, du hockey. Ils étaient plus légitimes, mais Upper Deck est arrivé avec une fraicheur et une recherche constante de nouveautés, en plus d’une volonté d’internationalisation que les autres n’avaient pas vraiment cherché avant. Fleer l’avait fait, mais uniquement parce qu’ils avaient été rachetés par Panini. Ils avaient le moyen de distribution, sans surcoût pour distribuer un peu partout. Mais Fleer ne s’est jamais installée en Europe alors que Upper Deck avait des bureaux en Europe, en France, il y avait une vraie démarche. »
« Si Panini a eu les droits en 2009, c’est parce que c’étaient les seuls qui pouvaient payer cette somme »
« Après, Topps a toujours été à fond dans le baseball. Là, malheureusement, ils vont perdre leur licence pour la première fois de l’histoire [Topps vient d’annoncer la semaine dernière son rachat par Fanatics, ndlr]. Depuis leurs débuts. Skybox arrive aussi au début des années 90… Dans les magazines à l’époque, il y avait des articles qui parlaient de ces éventuels rachats de telle ou telle entreprise. En tant que gamin collectionneur, on ne s’en souciait pas du tout mais il y avait de vrais sujets de business. En gros, c’était les plus gros qui mangeaient les plus petits. Au milieu des années 90, Fleer a racheté Skybox. Ensuite, Upper Deck aurait bien aimé racheter Fleer mais ils n’ont pas pu, c’était trop cher. Puis, Fleer a fait une banqueroute dans les années 2000. »
« Parallèlement, Hoops était une collection de Skybox. La marque Hoops a été rachetée par Fleer puis commercialisée par Upper Deck parce que Upper Deck a fini par racheter les droits de Fleer. Quand Upper Deck a racheté les droits de Fleer, ils ont aussi récupéré les droits des marques Skybox, Hoops, Fleer, etc, etc. C’est ce que j’explique aussi dans le bouquin, à savoir cette logique commerciale derrière tout ça. »
« Si Panini a eu les droits en 2009, c’est parce que c’étaient les seuls qui pouvaient payer cette somme à l’époque. Et demain, ça sera Fanatics, pour la même raison, parce qu’ils seront les seuls à pouvoir payer les droits demandés par les ligues. »
L’avenir des cartes à échanger
Outre le marché du « vintage » qui se porte toujours aussi bien, avec des cartes rares peuvent monter très haut dans les prix, tout comme d’autres collections que l’on peut trouver à moindre coût sur certains sites de seconde main, l’offre actuelle des cartes de basket est toute entière dans les mains de Panini, dernière entreprise encore debout.
Entre ce monopole sans partage qui limite forcément l’offre, et la nouvelle mode des NFTs qui semble avoir plus de mal à décoller en Europe qu’aux Etats-Unis, quel est vraiment l’avenir des cartes à échanger ? Aura-t-on encore des collections intéressantes à venir ou est-ce que tout sera virtuel, « non physique » comme cela semble en prendre le chemin ?
« La mode actuelle, ce n’est pas super franchement. C’est beaucoup de couleurs en même temps. L’effet chromatique, à toutes les sauces ! Il y a de très belles choses, avec des designs sympas mais peut-être pas autant de recherche qu’avant. Et puis, pour le collectionneur aujourd’hui, c’est la recherche de la grosse carte du paquet. C’est un retour à une ancienne méthode, mais plus du tout avec les mêmes tarifs. »
« Tu as un pourcentage d’une carte, un bout de carte »
« On se retrouve aujourd’hui avec cette situation très bizarre où on a des investisseurs plus que des collectionneurs. Je ne suis pas du tout dans les NFT. J’ai beaucoup de mal à m’y faire. C’est du non physique, c’est le principe. Tu sécurises un objet virtuel en gros. Et encore, bien souvent, tu n’as pas la carte en entier, tu en partages la propriété, c’est ça qui est le plus dramatique. Tu as un pourcentage d’une carte, un bout de carte. Ce n’est pas mon délire, mais c’est peut-être générationnel. J’en parle à la fin du bouquin. »
Loisir en veille aussi à cause de la pandémie actuelle et de la difficulté à organiser des événements de taille, la collection de cartes de basket a cependant de beaux jours devant elle. À l’horizon 2022, Julien Chiron nous a confirmé qu’il y avait des journées d’échange à prévoir. Pour continuer à faire vivre ces petits bouts de cartons. Qui sont bien plus que ça dans le fond !
« On a pu refaire une bourse d’échange à Lille, organisée par François Pruvot, un collectionneur, il y a quelques mois. Et on espère se retrouver pour une autre journée à Paris, le Paris Card Show organisé par Thierry Lardoux au printemps 2022. Une autre bourse sera organisée à Toulouse en mars par Gylbret. »
Son entretien « nostalgique » avec Ultimedia Box
https://www.youtube.com/watch?v=8W0NxOC7on8