“L’outil technologique le plus puissant, dans le monde du sport, depuis l’invention de la télévision”. C’est ainsi que certains spécialistes qualifient la technologie SportVU, qui permet de suivre les déplacements des joueurs afin de mesurer leur vitesse, de voir leurs décisions et de comprendre leurs rôles.
Dans le football ou en NBA, la technologie a désormais un rôle majeur non seulement dans l’explication que des chaînes comme ESPN peuvent fournir à leurs spectateurs, mais aussi pour les clubs et les franchises qui se servent de ces “statistiques avancées” pour travailler. Dans la ligue de basketball américain, la révolution est en marche et ceux qui savent exploiter ces nouvelles informations sont de plus en plus convoités.
Le visage de la NBA est donc en train de changer. Grâce à deux ingénieurs méconnus, venus de Tel Aviv.
Une rencontre entre deux ingénieurs israéliens
Tout commence en effet il y a près de dix ans. Michael Tamir, docteur en physique et ancien spécialiste de l’optique dans un centre de recherche nucléaire israélien, rencontre Gal Oz, un ingénieur chargé de l’étude et de l’analyse informatique pour les services de renseignement de l’état hébreu.
“Nous nous sommes croisés grâce à des amis communs, en 2005”, nous explique Gal Oz. “Miky Tamir a eu l’idée d’une société et a trouvé les financements pour créer un outil capable de tracer des joueurs. Je l’ai rejoint pour le développer”.
Depuis 1993, Miky Tamir a en effet quitté la recherche militaire pour développer une société, Orad Hi-Tech, qui fournit des animations visuelles pour les chaînes de télévision. Des chercheurs viennent de démontrer que le suivi et l’analyse des mouvements par des caméras classiques est possible ? Le chef d’entreprise veut développer cette idée pour les matches de football diffusés à la TV israélienne.
Ça tombe bien, Gal Oz travaille dans ce domaine.
“Je ne peux pas parler de mon expérience dans l’armée mais j’y travaillais comme ingénieur dans le traitement des images [notamment collectés à partir des drones ou des satellites] et la modélisation par ordinateur. Même si les systèmes étaient différents, le travail général ressemblait assez à ce qui se faisait dans l’univers high-tech donc la transition n’a pas été trop compliquée”.
Des mois de développement pour créer un système de traçage complexe
Les deux hommes réunissent des fonds et une équipe de 15 personnes afin de développer un système complexe capable, avec des caméras placées à différents points d’un stade, de suivre les mouvements des joueurs, de les analyser et de les compiler.
“Dans le système SportVU, nous utilisons plusieurs algorithmes d’analyse vidéo”, continue Gal Oz. “Quelques-uns sont également utilisés dans le domaine militaire mais d’autres sont utilisés en médecine, dans la vérification de la construction des circuits électroniques ou dans d’autres domaines industriels. SportVU est un système très compliqué qui a été construit étape par étape, à partir d’un schéma à une seule caméra qui ne faisait pas grand-chose jusqu’à un ensemble complexe capable d’analyser des centaines de matches par an”.
C’est d’abord la télévision israélienne qui s’intéresse à ce nouvel outil qui permet de mettre en image les déplacements des joueurs de football de façon simple à base d’animations. Rapidement, la petite startup attire l’oeil d’un géant, l’américain STATS, leader mondial de l’information statistique dans le sport. En 2008, la société US débourse entre 15 et 18 millions de dollars pour récupérer la technologie de SportVU et l’intégrer à sa structure, conservant dans un premier temps l’équipe technique à Tel Aviv.
Convaincre les franchises NBA
STATS cherche alors à développer son offre et ne veut plus seulement se limiter au domaine du football. Pour l’entreprise, le baseball ou le football américain ne sont toutefois pas des marchés porteurs car les mouvements des joueurs y sont trop simples ou trop complexes, même si l’entreprise espère un jour intéresser la NFL. La NBA représente donc un bon compromis et Brian Klopp, en charge du développement et de la stratégie, tente alors de vendre son système aux franchises.
“Je ne voulais pas arriver et leur dire : Regardez toute cette technologie super cool, regardez toutes les stats que ça peut sortir”, explique-t-il à Wired. “Les équipes avaient plusieurs réactions. Premièrement : c’est super, mais qu’est-ce que ça veut dire ? Deuxièmement : qu’est ce que je peux en faire ?”
Commence alors un travail pédagogique pour STATS qui doit convaincre les franchises de l’utilité de ces statistiques avancées. Brian Klopp vise alors des franchises intéressées par ces nouvelles informations et ce sont d’abord les Houston Rockets, les San Antonio Spurs et l’Oklahoma City Thunder qui achètent la technologie pour l’installer dans leur salle.
Des débuts compliqués et un travail d’amélioration constant
Au début, tout n’est pourtant pas parfait. L’énorme quantité de données traitée à chaque match doit être transmise à des serveurs basés à Chicago et met plusieurs jours pour revenir aux équipes, souvent avec des erreurs dans le traitement.
“Ce n’était pas très précis. À l’époque, il n’était pas possible de reconnaitre tous les picks-and-rolls”, explique Mike Zarren, assistant GM des Celtics, qui ont installé la technologie en 2010. “Les gars bougaient trop, ce n’était pas clair”.
Le décalage horaire entre les franchises et l’équipe technique, basée à Tel Aviv, complique aussi les choses.
“Parfois, il était difficile de s’accorder au niveau des jours et des heures car, en Israël, nous travaillons du dimanche au vendredi, mais nous avons fait avec”, confie Gal Oz. ”D’un autre côté, le décalage horaire était parfois positif parce qu’on pouvait travailler sur un problème durant la nuit aux Etats-Unis et le régler avant qu’ils ne se réveillent. Et puis, ils se reposaient également le samedi donc c’était plus facile pour les aider”.
L’automne dernier, STATS décide d’installer toute son équipe technique (20 personnes désormais) à Chicago et le système s’est amélioré au point de devenir quasiment indispensable. Récemment, c’est la NBA qui a signé un accord pour installer la technologie SportVU dans toutes les salles et ainsi fournir les mêmes statistiques avancées à toutes les équipes mais aussi aux fans. Un petit pactole dont l’entreprise n’a pas voulu nous communiquer les chiffres. “C’est confidentiel”, nous explique-t-on.
Inconnus du grand public, les deux hommes à l’origine de “l’outil technologique le plus puissant, dans le monde du sport, depuis l’invention de la télévision” sont désormais passés à autre chose. Après la vente de SportVU, Miky Tamir a créé Vumii, une société spécialisée dans la surveillance à l’aide de caméras thermiques, tandis que Gal Oz travaille à Pixellot, chargé de l’animation visuelle de spectacles et de rencontres sportives. Loin de la révolution qu’ils ont démarrée et qui a depuis oublié leurs noms.