Alors que les Blazers reviennent à Houston avec un pied et demi en demi-finale de conférence, Nicolas Batum a accepté de converser avec Basket USA sur ses débuts à Pont-L’Evêque, puis sur son arrivée en NBA,mais aussi sur l’évolution de son jeu et son attachement à la ville de Portland. Accoudé sous l’un des paniers du centre d’entraînement des Blazers, pendant que les remplaçants finissent un cinq-cinq sur le terrain d’en face, Nico évoque aussi pour nous l’intensité incroyable des playoffs. Pour lui, c’est tout sauf usurpé !
SON RÔLE EN PLAYOFFS
Nico, ton GM nous disait hier que tu devais maintenant prendre conscience de tes qualités et scorer quand tu sentais que l’équipe en avait besoin (il coupe)…
Comme hier soir par exemple !
Exactement. Tu es d’accord avec ton General Manager sur cette évolution ?
C’est vrai, j’en ai déjà parlé avec lui et je connais mon rôle dans l’équipe. Comme lors du Game 3, je me dois d’être super agressif. Je dois passer ce cap de « je suis un joueur complet, versatile comme ils disent ici », je me dois aussi de scorer ! Je le sais.
Comment scorer plus quand il faut sans perdre ton jeu de all around, dans lequel tu es installé aux Blazers ?
Je n’ai peut-être tourné qu’à 13 points cette année mais c’est pas pour ça que je dois remettre mon jeu en question, ou que je dois me focaliser sur l’agressivité. Déjà être plus agressif, ce n’est pas que le scoring. J’ai quand même battu mon record de carrière à la passe et au rebond. Le truc c’est que LeMarcus et Damian font une saison de malade, Robin et Wesley font leur saison, moi aussi, chacun a son rôle et on fait une grosse saison. Donc je ne vois pourquoi je devrais changer mon jeu, ça marche comme ça. Après y’a certains matches en playoffs où tu dois élever ton niveau de jeu mais là c’est différent.
Mais ce n’est pas difficile d’endosser le rôle de scoreur sur un match par ci par là ?
Bah non, c’est pas compliqué car c’est ce que tu dois faire. Tu veux gagner des matches et les playoffs c’est différent. Là je suis en mode playoffs, hier soir je me devais de faire quelque chose et je l’ai fait.
Justement en parlant de playoffs, il n’y pas un mythe un peu exagéré autour de son intensité, de fait que ce soir une autre saison qui démarre, que chaque erreur se paye immédiatement ? En quoi est ce vraiment de la saison régulière ?
Non c’est pas de la mytho ! Chaque possession compte fois 1000, vraiment ! Tout ce qui est dit autour des playoffs, c’est vrai ! C’est dingue, il faut vraiment être sur le terrain pour s’en rendre compte, dans les tribunes ou à la TV tu ne peux pas t’en rendre compte. Dans l’intensité, l’exécution, tout est différent.
SES DÉBUTS EN NORMANDIE
J’ai lu que tes 89 points inscrits en benjamin étaient ton meilleur souvenir de basketteur, c’est vrai ?
Mon meilleur souvenir ? Non, quand même pas. Un de mes meilleurs souvenirs, oui ! C’est mon record en carrière quand même (sourire) ! Quand tu gagnes 150-11 et que tu mets 89 pts, tu t’en souviens (sourire) !
Le Drazen Petrovic de (il coupe)
De Pont-l’Evêque (rire)
Tu portes un regard nostalgique sur ces jeunes années, où seul le jeu comptait ?
Bien sûr que j’ai de super souvenirs de cette époque là. Quand tu es en équipe de jeunes, tu n’es pas encore dans le business, tu es juste à fond dans le jeu, tu ne joues que trois fois par semaine, tu joues le dimanche après-midi, le lundi tu à l’école et tu ne parles que de ça. C’était les bonnes années, oui ! Mais attention, je m’amuse toujours autant sur un terrain, c’est juste différent. Maintenant y’a plus de pression, y’a des contrats et de l’argent en jeu, c’est plus pareil. Mais ça reste ma passion, mon hobby ! Mais c’est vrai que les années en jeunes, ça marque et ça reste. Avec mes potes, on reparle souvent de quand nous étions en minimes à Caen. C’est là où ça a commencé pour moi…
Cet amour du jeu est-il nécessaire pour continuer de jouer au plus haut niveau ?
Bien sûr ! Le jour où ton amour du business et de l’argent prend le dessus sur celui du jeu, tu ne vas pas faire long feu dans cette ligue ou dans un autre championnat. Moi ce que je kiffe, c’est le jeu avant tout. J’adore être sur un terrain, j’adore jouer, j’adore m’entraîner. J’ai commencé ce sport quand j’avais 3 ans, j’ai donc 22 ans de basket derrière moi mais je ne suis pas lassé du tout. Le jour où je le serai, je serai proche de la fin. Mais c’est loin d’être le cas aujourd’hui. J’ai encore de belles années devant moi. J’ai de la chance d’être ici, d’être en NBA, d’être jeune et de faire quelque chose de bien. Autant en profiter jusqu’au bout.
LE BUSINESS DE LA NBA
En parlant de contrat, as-tu dû rapidement apprendre à gérer tous les aspects purement business de la NBA ?
La NBA est un business à part, il faut vite le comprendre. Il a fallu apprendre les trades, les free agents, les contrats… C’est un truc qu’il faut assimiler assez vite. Mais au-delà de ça, une fois que tu es sur le terrain je peux te dire qu’on ne pense plus à tout ça : tu joues, tu prends le ballon et tu fais tout pour gagner. Point. C’est dommage que le public puisse parfois oublier ça ou en tout cas en douter. Au bout du compte, nous sommes des joueurs avant tout. J’ai appris à faire la part des choses, en dehors du terrain c’est mon métier et il y a des choses qu’il faut gérer mais ça reste mon premier amour et mon grand kiff avant tout.
Presque deux ans après, tu as retenu quoi de ta free-agency et de l’épisode Minnesota ?
Là j’étais en plein dans le business NBA, ça c’est sûr ! C’était une drôle de période mais c’était intéressant. J’ai eu un contrat qui me permet de mettre pas mal de monde à l’abri…. Maintenant, tu bosses aussi pour ça.
Sur ce point là, ce n’est pas difficile de conserver le même état d’esprit après avoir signé un contrat qui récompense tant d’années de boulot ?
Il ne faut pas souffler ça c’est sûr, ni se reposer sur ses lauriers. C’est la grande question que tout le monde m’a posé après ma signature : est-ce que j’allais assumer et justifier. Pour l’instant je pense que oui. Tu sais, ce contrat ne m’a pas mis de pression.
Ne penses-tu pas que les joueurs européens disposent d’une éducation, grâce aux centres de formation, et d’origines sociales qui leur permettent de mieux gérer cet après contrat ?
Je ne peux pas vraiment répondre à ça car chacun est différent. Après oui, peut-être qu’il y a une différence mais chaque joueur a un entourage et des proches différents. Je ne vais pas généraliser ma propre histoire mais c’est sûr que l’entourage est très important. On nous l’apprend pendant le RTP (Rookie Transition Program), on nous dit qu’il faut faire attention car tu peux vite avoir une nouvelle famille qui se crée autour de toi, avec des nouveaux proches que t’as pas vu depuis des années et qui arrivent.
L’ARRIVÉE EN NBA
Tu repenses parfois au fait que tu aurais pu jouer à San Antonio et que tout aurait été différent ?
J’aurais pu jouer dans beaucoup de villes tu sais ! Si je n »avais pas eu ma fausse histoire au cœur à la draft (ndlr : lors des examens pré-draft, on lui découvre une anomalie cardiaque, finalement bénigne). Alors après est-ce que ça aurait été mieux, est-ce que ça aurait été moins bien… Si j’avais pas eu mon truc au cœur, j’aurais pu aller à Phoenix, à Sacramento, à Milwaukee… J’avais pas mal de garanties avant cette histoire. Après, je sais pas ce que ça aurait pu donner. Mais je suis ici, j’y suis très bien et de toute façon on ne peut pas revenir en arrière.
Comme Tony Parker à San Antonio, tu es arrivé ici à 19 ans, tu n’en es pas parti depuis !
Je me rappelle encore quand je suis arrivé à l’aéroport avec mes deux gros sacs et mon sac à dos, je parlais à peine anglais et là je me suis dit « t’es pas dans la merde ! » (rire). Je me rappelle après je me suis posé à l’hôtel, j’ai soufflé en me disant que putain, ça allait être long (rire). Tout était nouveau et j’avais l’impression de tout recommencer à zéro alors que j’avais cravaché en centre de formation, j’avais signé mon contrat pro, j’avais joué déjà deux ans en France, j’avais joué en Euroligue, j’avais même été élu MVP français à 19 ans…Avec Le Mans on était même allé en belle de la demi-finale de Pro A. J’avais fait mon trou quoi, sans encore être en haut.
Un nouveau départ en quelque sorte ?
Oui voilà ! Boum, tu dois tout reprendre à zéro, à 19 ans, dans un nouveau pays. C’est là que certains joueurs ont du mal à franchir le cap car c’est dur d’être en haut et de retomber pour commencer à remonter. J’ai réussi à le faire car j’étais bien préparé à ça au Mans avec Vincent (Collet). Ma première année pro, j’ai pas joué tout de suite, des fois je restais sur le banc, je jouais zéro minute, je regardais. Quand j’étais en cadet et en junior avec l’équipe de France j’étais en haut et j’avais dû redescendre en bas en Pro A, donc j’avais déjà connu ce truc là. Mentalement j’étais préparé et je savais quoi faire pour jouer. J’avais 19 ans, on ne croyait pas en moi, même en France les gens doutaient pas mal et pourtant j’ai commencé 76 matches sur 82.
Après trois matches tu étais déjà titulaire…
Voilà ! J’avais un rôle défini, je restais là-dessus, je savais ce que j’avais à faire et c’est tout.
Tu as un sentiment de gratitude vis-à-vis de cette première saison ?
Bah oui. Tu sais, Nate McMillan je le respecterai toujours parce qu’il a la réputation d’être un coach dur qui ne fait pas jouer les jeunes et il a fait starter un gamin de 19 ans de France pendant 76 matches. Même si je n’avais pas de grosses responsabilités, j’ai quand même joué. J’étais encadré par des Roy, Camby, Miller, Aldridge, je peux te dire que j’ai plus appris en jouant même sans jouer beaucoup, qu’à rester sur le banc ou à jouer en D-League. C’est par rapport à ce temps de jeu là que je lui suis reconnaissant.
T’as le sentiment que cette première saison a été charnière, et que si tu étais resté sur le banc tu n’aurais peut-être pas eu la carrière que tu as aujourd’hui aux Blazers ?
Sûrement que ça aurait pu être différent si je n’avais pas joué tout de suite, oui.
LA VILLE DE PORTLAND
Pour revenir sur ton rapport avec la ville et ses habitants, j’ai un peu tâté le terrain ici, et tout le monde t’adore !
C’est génial ici. Tu sais, c’est rare qu’un joueur passe six années dans une franchise et je suis parti je pense pour en passer d’autres… Y’a pas eu beaucoup de joueurs qui n’ont eu qu’un club pendant six ans. Je m’entends bien avec les gens, j’aime la ville, les fans sont à fond derrière nous. Ce n’est pas la plus grande ville des Etats-Unis c’est sûr, mais c’est cool Portland quand même. C’est cool.
Tu as l’impression que cette ville te correspond, vu ton parcours jusque-là ?
J’ai fait Pont-l’Evêque, Caen, Le Mans, ce sont un peu le même style de vie donc oui je reste dans la lignée.
Enfin, dernière question obligée sur la Coupe du Monde. Tu as pris ta décision ou pas ?
Je l’annoncerai à la fin des playoffs, c’est tout ce que je peux dire.
Propos recueillis à Portland