« I love Paris ! » Et il s’éclate. Ce n’est pas si souvent que l’on voit James Worthy (64 ans aujourd’hui) se fendre d’un sourire. Paris, il ne connaît pas et visiter coup sur coup la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe et le Louvre, ce n’est pas vraiment son style. Non, son truc à lui, c’est plutôt d’enflammer Bercy à l’occasion du « McDo » : Le McDonald’s Championship.
En 1991, les Lakers sont dans la capitale avec Badalone, le CSP et Split. Souvenir inoubliable pour la rédaction de « Mondial Basket » à qui un représentant de la NBA avait demandé d’organiser quelques virées parisiennes. Et voilà comment on se retrouva à siroter un mojito avec Los Angeles aux Bains Douches…
Un fidèle, ce James Worthy (en anglais, « worthy » veut dire « qui en vaut la peine »). À l’époque, cela fait neuf ans qu’il honore les couleurs pourpre et or. Sur tous les parquets de la ligue, son numéro 42 est une référence. Un numéro aujourd’hui retiré, que plus personne n’a le droit de porter. L’Amérique sait honorer ses grands joueurs.
« James est et a toujours été une pièce maîtresse de l’organisation des Lakers, commente Jerry West, le GM de la franchise. C’est l’un des plus grands joueurs de l’histoire de la NBA. Il a commencé aux Lakers, il finira aux Lakers. »
Champion NCAA avec un certain Michael Jordan
Pourtant, son histoire débute à Gastonia, un petit patelin de Caroline du Nord. À 10 ans, son avenir est déjà tout tracé. La famille Worthy ne vit pas dans la soie. James comprend qu’il n’a pas de futur. Aussi, le sport est la seule issue. Durant son année senior à la Ashbrook High School, il tourne à 21.5 points et 12.5 rebounds. Son équipe perd en finale du championnat d’État.
« Au début, je ne savais pas si je voulais faire du baseball, du foot US ou du basket. Tout ce que je savais, c’est qu’il me fallait obtenir une bourse universitaire. J’ai essayé le baseball mais la batte me faisait peur. Je me suis mis au foot mais j’étais trop grand et je représentais une cible idéale pour les tacleurs d’en face. Alors je me suis inscrit au basket. »
Un véritable goinfre. James chope tous les ballons. Aussitôt, on voit un missile filer vers le panier adverse. « Un jour, mon père est venu me voir. Je n’arrêtais pas de shooter. À la fin du match, il m’a pris à part et m’a dit : ‘James, tu n’es pas tout seul sur le terrain. À côté de toi, il y en a quatre qui aimeraient voir la couleur du ballon ‘. J’ai compris d’un coup que je jouais en égoïste et que le basket, c’était autre chose. Il fallait que j’apprenne à être collectif, à respecter mes partenaires. »
La fusée Worthy est désormais sur orbite. 2,06 m de talent, inarrêtables en 1-contre-1. James devient le roi de la contre-attaque avec une vitesse d’exécution étourdissante près du panier. Les universités se l’arrachent. Surtout UNC, qui décroche la timbale. « Après avoir visité North Carolina, j’ai su que ma place était là. L’atmosphère était saine et tranquille. Les gens étaient cool avec moi. Ils me traitaient comme un être humain et non comme une bête de cirque. »
Après une grave blessure à la cheville lors de sa première année et une deuxième saison en demi-teinte, James Worthy explose la troisième (15.6 points de moyenne). Il fait équipe avec un « freshman » au talent prometteur qui fera parler de lui plus tard : un certain Michael Jordan. Le tandem s’envole pour le titre NCAA, Worthy est élu MOP du « Final Four » 1982, il sera retenu dans la First Team All-American et partagera le titre de « College Player of the Year » avec Ralph Sampson (Virginia). Son dunk sur Patrick Ewing, en finale, s’affiche en Une de « Sports Illustrated ».
Worthy assure la victoire 63-62 des Tar Heels sur Georgetown en interceptant le meneur Fred Brown. Durant cette finale contre les Hoyas, il a shooté à 13/17 (28 points) et capté 4 rebonds. Son numéro sera retiré plus tard par l’université de North Carolina.
Numéro 1 de la Draft
Les titres, James va les collectionner. Drafté n°1 en 1982 par les Lakers, il remporte trois couronnes en 1985, 1987 et 1988 (MVP des Finals). Comment les Lakers, champions en 1980 et 82, parviennent-ils à récupérer le premier choix ce même printemps 1982 ? Tout le génie d’une savante gestion, avec des transferts opportuns, est là.
Le génie et la chance, puisque Los Angeles remporte un tirage au sort aux dépens des Clippers, qui sont alors basés à San Diego. C’est à la suite de cet épisode que la NBA introduisit le système de « lottery pick » : aucune équipe ne se verrait plus jamais assurée de remporter le gros lot. A fortiori le champion sortant…
Si Worthy ne s’était pas blessé lors des playoffs 1991, les Lakers du « Showtime » auraient peut-être gagné un sixième titre —c’est notamment l’avis de Magic Johnson. On ne refera pas le match, comme l’ami Eugène Saccomano, mais ce doute situe la valeur du bonhomme. Sous le soleil de Californie, il y a Magic et son pote à lunettes, « Jesse James ». Worthy le bandit. Il se mit à porter ces lunettes caractéristiques (les « goggles ») après une blessure à l’œil survenue en mars 1985 contre Utah. Le malheureux, aussi.
Pour un moment de faiblesse, un instant passé avec deux filles du trottoir (ou supposées telles), sa vie bascule. C’était en 1990 au cours d’un déplacement à Houston. James Worthy appelle un service d’escort girls et demande qu’on lui envoie deux filles dans sa chambre du Stouffer Hotel. Manque de bol, la police a déjà démantelé le service en question et les deux « péripatéticiennes » qui frappent à la porte sont en fait deux femmes officiers de police chargées de lutter contre les réseaux de prostitution… Arrêté, l’ailier risque six mois de prison.
Mike Dunleavy, son coach, tombe des nues. « Je suis extrêmement surpris… Tout ce que je sais, c’est que James a été un citoyen modèle et un exemple pour la franchise entière. Pour moi, il fut une personne et un joueur formidables. »
Stupeur un peu partout en Amérique. Le très probe M. James croquerait donc dans la pomme comme tout le monde ? Peut-être Worthy a-t-il un peu trop joué les « Monsieur Propre ». Grand désordre dans le monde bien rangé et très clean de la NBA. L’ailier des Lakers est montré du doigt, sa valeur marchande dégringole.
Sa vie familiale s’inscrit en pointillé (il divorcera d’Angela Wilder en 1996 et le couple, qui s’était marié en 1984, a eu deux filles). Ça va mal, mais bon sang, quel rapport avec le basket ? L’être humain n’est pas de bois. On peut aussi se demander si Worthy ne casque pas pour les autres…
À deux doigts de partir aux Hornets…
Toujours est-il que cette malheureuse affaire n’a aucune incidence sur la suite de sa carrière. Il s’en tire avec une année de probation, 1 000 dollars d’amende et 40 heures à passer au service de la communauté. James finira sa carrière sous le maillot jaune. Au lendemain des Finals 1991 (perdues 4-1 contre Chicago), certains le voient en partance pour Charlotte en échange du numéro 1 de la Draft, Larry Johnson, mais une extension de contrat jusqu’en 1996 avec environ 3 millions de dollars par an et 8 millions la dernière année décide du contraire.
« Ça ne me dérangeait pas d’aller à Charlotte car j’y ai beaucoup d’amis, souligne Worthy, mais je suis heureux à Los Angeles. Et puis au fond de moi, je suis complètement Laker. »
Et les Lakers sont complètement Worthy. Moins spectaculaire que Magic, assurément. Moins prolifique qu’Abdul-Jabbar, forcément. Mais tout aussi indispensable par sa polyvalence, sa vitesse, son efficacité et ses qualités de finisseur, quelle que soit la main utilisée. Dunks, « finger rolls », « spin moves », « turnaround jumpshots », jeu dos au panier : James maîtrise parfaitement la partition de l’attaquant moderne.
Sa spéciale : le dunk « Statue de la Liberté » et le « finger roll » plongeant. Dans le basket up-tempo pratiqué par Pat Riley durant les années 1980, avec une multiplication des contre-attaques, le natif de Gastonia se régale. « Big Game » ne brille jamais autant que durant les playoffs. L’année 1988 voit sa consécration, puisqu’il décroche le titre et se voit élu meilleur joueur des Finals.
Voilà l’homme et la star que le public de Bercy va découvrir. Ce type a survolé une décennie de basket mondial. Discrètement, dans l’ombre du magicien Magic qui —et il le sait— lui doit beaucoup.
Sa saison rookie s’était achevée de manière dramatique, avec une fracture de la jambe durant l’un des derniers matches de saison régulière. Qu’importe : l’année suivante, il délogea Jamaal Wilkes du cinq majeur. Dans le Game 2 des Finals contre les Celtics, James Worthy commet une bourde monumentale en lançant une longue passe hasardeuse. Gerald Henderson récupère la gonfle et égalise. Les Lakers perdent en prolongation, Boston est sacré champion après 7 matches.
James se rattrape l’année suivante en tournant à 21.5 points sur les playoffs (à 62%) et même 23.7 lors des Finals contre les mêmes Celtics. Premier titre NBA.
L’homme des grands rendez-vous
Devenu l’un des joueurs les plus en vue de la ligue, le numéro 42 s’offre en 1986 la première de ses sept sélections All-Star. Durant les playoffs 1987, il carbure toujours au super (23.6 points de moyenne). Los Angeles ne perd que trois matches en playoffs. Dans les Finals 1988 face aux Pistons, Worthy prend ses responsabilités et gagne son surnom —« Big Game James », attribué par le commentateur historique des Tar Heels, Woody Durham— en tournant à 22 points, 7.4 rebonds et 4.4 passes sur sept matches.
Stratosphérique dans les Game 6 (28 points, 9 rebonds) et Game 7 (36 points, 16 rebonds, 10 passes), il est logiquement élu MVP. Mais toute « success story » a une fin : retraite de Kareem Abdul-Jabbar en 1989, retraite de Magic Johnson en 1991. Deux blessures à la cheville et au genou en 1991 et 1992.
James n’est plus tout à fait le même. Il sait qu’il ne retrouvera pas son niveau et décide d’arrêter les frais en 1994, après 12 ans de NBA. Moins de deux ans plus tard, « The Silent Assassin » (l’Assassin silencieux) sera retenu parmi les 50 meilleurs joueurs de l’histoire.
S’il ne fut jamais élevé au rang de Magic Johnson et Kareem Abdul-Jabbar, James Worthy reste considéré comme un élément déterminant dans l’acquisition des trois titres californiens de 1985 à 1988. Il est devenu Hall of Famer en 2003, son maillot est l’un des 12 retirés par les Lakers (les 11 autres étant ceux de Magic Johnson, Kareem Abdul-Jabbar, Gail Goodrich, Elgin Baylor, Wilt Chamberlain, Jerry West, Shaquille O’Neal, Kobe Bryant, Pau Gasol, Jamaal Wilkes et George Mikan).
Et, outre son activité de consultant pour une télé de Los Angeles, il s’est occupé de sa boîte, Worthy Enterprises, spécialisée dans le conseil aux entreprises.
Stats en carrière
— 12 ans
— 926 matchs (717 titularisations)
— 17.6 points, 5.1 rebonds, 3.0 passes, 1.1 interception, 0.7 contre
— 52% aux tirs, 24% à 3 points, 77% aux lancers francs
Palmarès
— Champion NBA : 1985, 1987, 1988
— MVP des Finals : 1988
— All-Star : 1986, 1987, 1988, 1989, 1990, 1991, 1992
— All-NBA Third Team : 1990, 1991
— NBA All-Rookie Team : 1983
— Champion NCAA + MOP : 1982
James Worthy | Pourcentage | Rebonds | |||||||||||||
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Saison | Equipe | MJ | Min | Tirs | 3pts | LF | Off | Def | Tot | Pd | Fte | Int | Bp | Ct | Pts |
1982-83 | LAL | 77 | 26 | 57.9 | 25.0 | 62.4 | 2.0 | 3.1 | 5.2 | 1.7 | 2.9 | 1.2 | 2.3 | 0.8 | 13.4 |
1983-84 | LAL | 82 | 30 | 55.6 | 0.0 | 75.9 | 1.9 | 4.4 | 6.3 | 2.5 | 3.0 | 0.9 | 2.2 | 0.9 | 14.5 |
1984-85 | LAL | 80 | 34 | 57.2 | 0.0 | 77.6 | 2.1 | 4.3 | 6.4 | 2.5 | 2.5 | 1.1 | 2.5 | 0.8 | 17.6 |
1985-86 | LAL | 75 | 33 | 57.9 | 0.0 | 77.1 | 1.8 | 3.4 | 5.2 | 2.7 | 2.6 | 1.1 | 2.0 | 1.0 | 20.0 |
1986-87 | LAL | 82 | 34 | 53.9 | 0.0 | 75.1 | 1.9 | 3.8 | 5.7 | 2.8 | 2.5 | 1.3 | 2.1 | 1.0 | 19.4 |
1987-88 | LAL | 75 | 35 | 53.1 | 12.5 | 79.6 | 1.7 | 3.2 | 4.9 | 3.9 | 2.3 | 1.0 | 2.1 | 0.7 | 19.7 |
1988-89 | LAL | 81 | 37 | 54.8 | 8.7 | 78.2 | 2.1 | 4.0 | 6.0 | 3.6 | 2.2 | 1.3 | 2.3 | 0.7 | 20.5 |
1989-90 | LAL | 80 | 37 | 54.8 | 30.6 | 78.2 | 2.0 | 4.0 | 6.0 | 3.6 | 2.4 | 1.2 | 2.0 | 0.6 | 21.1 |
1990-91 | LAL | 78 | 39 | 49.2 | 28.9 | 79.7 | 1.4 | 3.2 | 4.6 | 3.5 | 1.5 | 1.3 | 1.6 | 0.5 | 21.4 |
1991-92 | LAL | 54 | 39 | 44.7 | 20.9 | 81.4 | 1.8 | 3.8 | 5.7 | 4.7 | 1.7 | 1.4 | 2.4 | 0.4 | 19.9 |
1992-93 | LAL | 82 | 29 | 44.7 | 27.0 | 81.0 | 0.9 | 2.1 | 3.0 | 3.4 | 1.1 | 1.1 | 1.7 | 0.3 | 14.9 |
1993-94 | LAL | 80 | 20 | 40.6 | 28.8 | 74.1 | 0.6 | 1.7 | 2.3 | 1.9 | 1.0 | 0.6 | 1.2 | 0.2 | 10.2 |
Total | 926 | 32 | 52.1 | 24.1 | 76.9 | 1.7 | 3.4 | 5.1 | 3.0 | 2.1 | 1.1 | 2.0 | 0.7 | 17.6 |
Comment lire les stats ? MJ = matches joués ; Min = Minutes ; Tirs = Tirs réussis / Tirs tentés ; 3pts = 3-points / 3-points tentés ; LF = lancers-francs réussis / lancers-francs tentés ; Off = rebond offensif ; Def= rebond défensif ; Tot = Total des rebonds ; Pd = passes décisives ; Fte : Fautes personnelles ; Int = Interceptions ; Bp = Balles perdues ; Ct : Contres ; Pts = Points.