Quel est le point commun entre Kiki Vandeweghe, Wally Szczerbiak, Kevin Love, Stephen Curry, Klay Thompson, Kobe Bryant ou encore Al Horford ? Ils ont été All Stars, bien sûr, mais ils sont également les fils d’anciens joueurs NBA.
Si le phénomène n’est pas récent puisque les premiers « fils de » sont arrivés en NBA dans les années 1960, il a tendance à s’accélérer ces dernières années. Alors qu’ils n’étaient encore qu’une poignée au début des années 2000, 26 fils d’anciens joueurs NBA (record historique) ont foulé les parquets NBA cette saison, notamment les deux stars de la dernière Draft, Andrew Wiggins et Jabari Parker.
Et si ce groupe ne représente que 6% de l’ensemble des joueurs NBA, l’évolution est néanmoins notable et significative, surtout quand on sait la difficulté pour tout jeune joueur de basket de rejoindre la ligue américaine.
Pas de reproduction sociale dans le sport
En 1979, le sociologue britannique Frank Parkin expliquait pourquoi il n’existait pas de reproduction sociale dans le sport.
« Il est remarquable de voir combien peu d’enfants de stars du football, de la boxe, du baseball ou du tennis, ou d’enfants d’acteurs et de comiques ont réussi à reproduire le succès de leurs parents. Une raison à cela, c’est que les capacités pour réussir sont ici acquises et développées par chaque individu au cours de sa progression et ne sont pas facilement transmissibles des parents aux enfants. Il ne semble pas non plus y avoir l’équivalent d’un « capital culturel » qui peut être transmis socialement aux enfants et qui leur permettrait d’avoir un avantage dans le monde très compétitif du sport professionnel et du spectacle. Toutefois, si les résultats dans le monde du sport pouvaient être plus ou moins garantis, comme c’est le cas dans l’univers des professions traditionnelles, il est certain que des propositions pour en limiter l’entrée à ceux capables de passer les examens qualifiants dans le monde du sport seraient mises en place. Le but serait de donner un avantage à ceux capables de réussir les examens plutôt qu’à ceux capables d’exceller dans le domaine ».
Pour Frank Parkin, les classes sociales se définissent ainsi par leurs efforts constants pour exclure ceux qui, issus de classes sociales inférieures, tentent d’intégrer la leur. Pour cela, le moyen le plus efficace est le diplôme.
« La raison pour laquelle les sports professionnels, et les professions du divertissement en général, sont résistantes à la « maladie du diplôme » offre une perspective instructive sur la nature des professions de bureau. L’avantage suprême de l’occupation sociale basée sur les diplômes, c’est que ceux qui les ont acquises sont jugés compétents pour le reste de leur vie professionnelle. Il n’est pas question de retester leurs compétences plus tard dans leur carrière. L’insistance attentive des organes professionnels pour que le public ne puisse pas juger les aptitudes de ces salariés leur fournit un ticket restaurant à vie. Par contraste, dans les métiers du sport et du divertissement, les capacités et les aptitudes des professionnels sont soumis au jugement du public en permanence. Ceux qui regardent leurs performances sont également les arbitres ultimes de leur compétence et de leur valeur marchande. Impossible de faire appel à la protection d’une licence professionnelle quand les prouesses sportives et la capacité à divertir sont jugées en déclin par le juge collectif ».
Jugés en permanence par le public, les sportifs ne peuvent évidemment obtenir de « certificats d’aptitude » qui les protégeraient toute leur carrière et leur empêcherait d’être virés.
Les basketteurs des milieux favorisés ont davantage de chances de rejoindre la NBA
De fait, il est impossible à un sportif de haut niveau d’assurer une carrière professionnelle dans le sport à ses enfants. Toutefois, le sociologue polonais Joshua Dubrow a mis en avant le fait que, contrairement à l’impression populaire, les basketteurs NBA venaient en général d’un milieu social favorisé.
Comme celle du New York Times, son étude montre que l’alimentation et le développement personnel d’un jeune basketteur issu d’un milieu favorisé l’aideront à atteindre ses rêves de NBA, là où un jeune issu d’un milieu défavorisé pensera d’abord à survivre. LeBron James, Ben McLemore et Jimmy Butler font donc figure d’exceptions.
« Les données indiquent que la plupart des joueurs NBA viennent des classes moyennes et supérieures, et non pas des classes inférieures », remarque Joshua Dubrow dans son étude de 2010. « En combinant les chiffres, il apparait que 66% des joueurs noirs sont issus des classes moyenne et supérieure tandis que 93% des joueurs blancs sont issus des classes moyenne et supérieure ».
En comparant la représentation des classes sociales en NBA et aux Etats-Unis en général, le sociologue s’est rendu compte de la disproportion. En 2000, 45% des enfants noirs grandissaient ainsi dans la classe inférieure alors que seuls 34% des joueurs noirs de NBA en venaient. Parallèlement, 23% des enfants blancs étaient élevés dans la classe inférieure aux Etats-Unis mais seuls 7% des basketteurs blancs de NBA ne venaient pas des classes moyenne et supérieure.
« Cette inégalité au niveau du basket montre explicitement que l’inégalité joue un rôle majeur », nous explique Joshua Dubrow. « L’ascension sociale est rare et peu de personnes réussissent à atteindre les sommets en partant du bas. Il y a des forces qui s’exercent contre cela. Pour une superstar du playground, accéder à un programme universitaire, même de petit niveau, demande des opportunités, un entraînement sportif supérieur, des relations dans le milieu et dans le monde professionnel ainsi que, et c’est très important, dans les organisations et les institutions qui fournissent cet accès. Rocky est une histoire qui fait rêver mais la réalité, c’est qu’il y a peu de Rocky Balboa et beaucoup d’Ivan Drago, qui réussissent parce qu’ils ont accès aux ressources nécessaires ».
Noah, Parker, Diaw… Les fils d’athlètes sont encore plus favorisés
De façon inconsciente, la NBA n’a-t-elle d’ailleurs pas favorisé cette discrimination sociale en haussant l’âge d’entrée dans la ligue à 19 ans, imposant de fait un année à l’université, Adam Silver souhaitant aller plus loin encore ?
Si les stars lycéennes issues de milieux défavorisés comme Brandon Jennings et Emmanuel Mudiay trouvent un échappatoire et de l’argent immédiat en partant à l’étranger (avant de se présenter à la Draft), cette règle semble exclure des joueurs moins talentueux du processus de recrutement. Même si, pour Joshua Dubrow, elle n’a finalement qu’un rôle infime.
« Je ne crois pas que cette règle influence beaucoup l’égalité d’accès à la NBA. Le processus de la naissance au lycée est ce qui influence vraiment une carrière sportive. Grandir dans une classe sociale moyenne ou élevée sera toujours un facteur positif d’accès à une carrière professionnelle. Quand ils auront l’âge d’atteindre l’université, toutes les forces auront déjà exercé leurs effets. À la fac, les jeunes hommes et les jeunes femmes peuvent dépasser leur milieu social pour s’offrir une meilleure vie. Néanmoins, s’ils n’ont pas eu accès aux meilleurs encadrements sportifs à leur arrivée en NCAA, leurs chances d’atteindre la NBA seront très, très faibles ».
S’il n’y a pas de forces directes qui favorisent les fils d’anciens joueurs NBA pour accéder à la ligue, un tas de forces indirectes sont néanmoins en place.
« Un basketteur NBA aura probablement l’argent, les connections, l’accès et la connaissance de la ligue qui pourront intéresser son fils. Contrairement à d’autres « entreprises familiales » où l’envie de succession est incertaine – le fils d’un fabricant de jouets ayant peut-être peu envie de succéder à son père, par exemple – la NBA est une entreprise très attractive pour un jeune garçon sportif qui recherche l’aventure », confirme Joshua Dubrow. « Les enfants élevés par leurs parents sont socialisés par leurs parents. Ces enfants sont donc au contact de la NBA, qu’ils le veuillent ou non. Ils la connaissent parce que leurs pères en parlent, parce que les amis de leurs pères en parlent et parce que leurs propres amis en parlent aussi ».
Cet accès aux ressources sportives, ainsi que l’imprégnation familiale, sont également une réalité parmi les joueurs français de NBA. Tony Parker et Nicolas Batum sont les fils d’anciens basketteurs professionnels tandis que la mère de Boris Diaw, Élisabeth Riffiod, est une des légendes du basket français.
Quant à Evan Fournier, ses deux parents sont des anciens judokas de très haut niveau. Sans oublier Joakim Noah évidemment, dont on ne présente plus le père, ou encore Rudy Gobert, dont le papa fut l’un des premiers basketteurs français formés en NCAA.
Des joueurs plus sûrs pour les franchises NBA ?
Toutefois, comment expliquer la hausse du nombre de fils d’anciens joueurs en NBA depuis le milieu des années 2000 ? Faut-il désormais plus de ressources, mises en place depuis la plus tendre enfance, pour accéder à la ligue ? Pour un scout d’une franchise, cela pourrait également s’expliquer par une évolution des processus de sélection et de formation.
Marqués par de retentissants échecs à la fin des années 1990 et au début des années 2000, les clubs NBA et les universités ont « compris que l’entourage d’un joueur a un rôle primordial dans sa réussite dans la ligue ». Au lieu de miser uniquement sur le potentiel athlétique et le talent intrinsèque des jeunes joueurs, les franchises se sont mises à privilégier ceux qui, à niveau égal, présentaient le plus de chances de réussir à « s’adapter au monde de la NBA », fait de tentations et de pièges.
Puisque leur famille connaît déjà cet environnement, les enfants d’anciens joueurs NBA semblent particulièrement bien préparés pour cette transition, leur donnant un avantage supplémentaire aux yeux des franchises.
« Je ne sais pas s’il s’agit d’une tendance ou d’une coïncidence », tempère toutefois Ryan Blake, directeur du scouting pour la ligue (et lui-même fils de l’ancien directeur du scouting de la ligue). « Stephen Curry a un frère plus âgé qui joue en D-League. Quand un joueur professionnel ou un coach a des enfants, ces derniers ont évidemment des accès au basket que les autres n’ont pas. Ça accroît également leur attirance pour ce sport. J’ai grandi en voyageant pour voir des matches de basket, à l’époque de l’ABA, alors que mon père y était joueur. Je ne suis pas devenu professionnel mais j’ai connu ce monde et il m’a séduit depuis mon plus jeune âge. Au final, on en revient toujours à l’étude des capacités et il y a beaucoup d’exemples de fils d’anciens joueurs qui n’ont pas ces capacités ».
Mais quand ils les ont, il leur est alors beaucoup plus facile d’atteindre la grande ligue.