En sport, les matches et les actions de légende se suffisent souvent à eux-mêmes mais on aime quand ils sont enrobés d’une dramaturgie ou d’une mythologie qui laissent une trace encore plus indélébile dans l’histoire. Untel a brillé en jouant sur une patte, avec 40 de fièvre, en souvenir d’un proche disparu tragiquement, après avoir veillé toute la nuit sur son enfant malade, etc. Le « Flu Game » est de ceux-là. C’était il y a 20 ans jour pour jour…
Rappel des faits : nous sommes en juin 1997. Chicago, tenant du titre, et Utah s’affrontent en Finales NBA. Les deux équipes sont à égalité après l’avoir emporté à chaque fois à domicile. A l’époque, les Finales sont au format 2-3-2 et le Game 5 a donc lieu, comme les deux précédents, au Delta Center de Salt Lake City. Jordan connaît une série en montagnes russes. Un panier au buzzer pour le Game 1. Un Game 2 proche du triple-double avec 38 points, 13 passes et 9 rebonds. Les deux matches au Delta Center sont plus compliqués. Deux perfs moyennes pour lui avec 26 (9/22) et 22 pions (11/27).
On évoque un empoisonnement…
Le Game 5 de ce mercredi 11 juin s’annonce des plus importants. La veille, Michael Jordan se réveille en sueur et nauséeux. Il a du mal à s’asseoir dans son propre lit et se sent comme paralysé. De sa chambre, il appelle le médecin du club. En fait, « MJ » souffre d’une intoxication alimentaire et on évoquera même plus tard un empoisonnement. Pour le médecin, la star des Bulls ne peut pas jouer le mercredi. Mike reste dans son lit pendant 24 heures, manquant les entraînements du mardi matin et du mercredi. Il est déshydraté et perd même quelques kilos. Malgré tout, trois heures avant le début de la rencontre, il quitte l’hôtel et se rend à la salle.
Une heure et demie plus tard, Scottie Pippen voit enfin Jordan et ses propos ne sont pas rassurants. « A aucun moment, je n’ai pensé qu’il pouvait être en tenue. Je ne l’avais jamais vu comme cela. Il n’allait pas bien. Je veux dire, vraiment pas bien… » Jordan se rend malgré tout au vestiaire. Il met sa tenue et va voir Phil Jackson. Il peut et va jouer ce match.
Titulaire, « MJ » débute son match par un fadeway mais on sent bien qu’il n’est pas à 100 %. Il gère ses courses, ne met pas d’intensité dans son jeu et dès qu’il le peut, il se courbe avec les mains sur les genoux. A la fin du premier quart-temps, il a marqué 4 points à 2/5. Chicago est à -13 (29-16). Après trois minutes dans le second quart-temps, l’écart est monté à +16 (36-20). C’est le moment où le n°23 retrouve son jeu. Il va sur la ligne des lancers, chose qu’il n’avait pas faite lors du Match 4, enfile les paniers à mi-distance et retrouve de l’agressivité en attaquant le panier. Sous son impulsion (17 pts), les Bulls recollent au score. 53-49 à la mi-temps pour le Jazz.
En troisième quart temps, la fatigue et les nausées reviennent, limitant son impact sur le terrain. Utah fait le break au début du moneytime mais Jordan élève de nouveau son niveau de jeu et Chicago réussit un 10-0. A moins d’une minute de la fin, Mike obtient deux lancers francs. Il réussit le premier, manque le second mais prend le rebond et remet en place l’attaque. Il reste 40 secondes et le score est de 85-85. Jordan envoie Scottie Pippen poste bas sur Jeff Hornacek et le Jazz commet une erreur tactique en faisant prise à deux. Utah laisse Jordan tout seul à 3 points. Pippen voit l’ouverture et « MJ » sanctionne. 88-85 pour les Bulls avec 25 secondes à jouer.
Deux actions plus tard, nouvelle erreur du Jazz qui oublie de faire faute. Jordan s’écroule dans les bras de Pippen. Les Bulls s’imposent 90-88 et reprennent la tête de la série. Mike termine la rencontre avec 38 points à 13/27, 7 rebonds, 5 passes et 3 interceptions.
« C’est probablement la chose la plus difficile que j’aie jamais faite. Si on avait perdu, j’aurais été anéanti. Je réalise que j’ai mis ma santé en jeu pour un match de basket », déclare-t-il, épuisé.
LE MATCH
LA VERSION NON OFFICIELLE
Si vous vous êtes procuré « Michael Jordan, The Life » de Roland Lazenby, paru le 16 juin aux éditions Talent Sport, et si vous avez bien avancé dans votre lecture sur la plage, vous savez qu’une autre version circule au sujet de ce match passé à la postérité. Pizza avariée ? Intoxication alimentaire ? « Pipeau », assurent des sources qui affirment que « Son Altesse » aurait passé la nuit précédente à s’amuser dans un chalet appartenant à Robert Redford…
Premier extrait de la bio fleuve de Lazenby (720 pages)
« Des années après l’événement, une rumeur persiste selon laquelle Jordan aurait passé la nuit précédant le Match 5 à jouer aux cartes et à boire, en fumant des cigares, dans un chalet des montagnes de l’Utah. La version officielle avancée le lendemain fut qu’il était atteint d’une « maladie virale ».
« Je commentais ce match, souligna Matt Guokas, ancien analyste pour NBC, qui travaillait avec Marv Albert. Marv était excellent pour commenter les actions de jeu. Il avait un grand sens théâtral. Sur ce match en particulier, je me disais en moi-même : “C’est quoi, le problème ? Michael sort le grand jeu à chaque fois.” Mais Marv avait saisi le sens de ce moment et il en a fait un moment d’anthologie pour les fans. L’autre élément, c’était qu’il y avait des théories conspirationnistes sur l’état de santé de Michael. Nous avons pris pour argent comptant le fait qu’il ait la grippe et avons commenté ce match. Mais d’après certaines rumeurs, il aurait passé la soirée précédente, dans le chalet de montagne de Robert Redford, à jouer au poker et aurait fait la fête toute la nuit de façon excessive. »
Jalen Rose, consultant pour ESPN, fit un récit similaire dans une vidéo parue sur Internet en 2012. Véritable virus ou « grippe de Milwaukee » ? Cela restera gravé dans le mystère Jordan. Sans aucun doute, il avait la réputation de dormir peu et de jouer beaucoup, pendant et en dehors de sa vie dans le basket. Indépendamment de ce qui l’a rendu malade, son jeu a bel et bien été authentique ce soir-là. »
On ne connaîtra peut-être jamais le fin mot de l’histoire (comme pour la taupe qui a informé Sam Smith, auteur des « Jordan Rules », bouquin à charge paru au début des années 90). Ce qu’on sait, c’est que Michael possédait une endurance et une capacité de récupération largement au-dessus de la moyenne, elles aussi… Il était capable de s’amuser toute la nuit (dans les casinos, dans sa chambre d’hôtel, etc.) et de tenir normalement sa place pour ses engagements du jour (entraînements et matches, loisirs, opérations avec des sponsors).
Deuxième extrait de la bio fleuve de Lazenby, le « must read » de l’été :
« Le groupe prit du champagne au dîner. C’était le genre d’endroit où ils pouvaient choisir leur homard dans un aquarium et voir leurs steaks en train d’être préparés. Après avoir mangé – leur note fut bien supérieure à 1 000 dollars -, Jordan se leva pour aller jouer au billard à côté, avec trois des danseuses. Il passa à côté de Mock juste au moment où Charles Oakley lui expliquait qu’ils allaient jouer au golf au Firethorne Country Club de bonne heure le lendemain matin. Mock, un golfeur assidu, avait travaillé dans ce club.
« Jordan dit : “Ouais, Firethorne est difficile”, se souvint Mock. Je lui ai dit que j’y avais travaillé.
– Vraiment ?, dit Jordan en s’arrêtant soudain puis en regardant Mock. Dis-m’en davantage. »
Le barman se lança alors dans une grande description du profil du parcours et proposa des conseils sur quels clubs utiliser sur les différents trous, où utiliser un bois 3, où ne pas l’utiliser. « Il s’est assis là cinq minutes en me fixant, comme s’il enregistrait tout, narra Mock. Puis il est allé jouer au billard. Il joua en double, lui et cette petite gazelle chinoise contre deux grandes blondes, du type Pamela Anderson. Elles jouent la poitrine nue. Il a un gros cigare dans la main et il joue d’une main. À chaque fois qu’il allait pour frapper, il se tenait là avec ce gros cigare dans la bouche. Il avait une main dans le dos, il laissait sa queue au contact de la table. Et à chaque fois qu’il allait pour frapper, l’une des filles se mettait sur la table et suspendait ses seins au-dessus. J’étais assis là avec Oakley. Il m’a dit : “Oh, c’est juste une soirée parmi d’autres pour Mike.” Ç’a été comme ça toute la nuit. »
Johnson partit tôt mais Mark Cuban, Jordan et Oakley restèrent jusqu’à la fermeture, à plus de 2h du matin. Mock était stupéfait d’apprendre qu’ils avaient rendez-vous à 5h au golf. Mock se leva le lendemain et appela un professionnel du club, l’un de ses vieux amis, qui l’informa que le staff avait voulu qu’il démarre son parcours à 6h30. « Il a dit que c’était trop tard, se souvint le barman. Il a réussi à leur faire accepter qu’il démarre à 5h45, juste au moment où le soleil commençait à se lever. Je lui ai dit : “Ils sont restés debout jusqu’à 3h.” Et il m’a dit : “Non ! Deux heures de sommeil ?” »
Le joueur professionnel lui demanda comment il savait qu’ils avaient veillé si tard. Mock lui raconta qu’ils étaient venus au Men’s Club. « Il m’a dit : “Pas possible !”, se souvenait Mock en riant. Il a ajouté : “Nous avons plusieurs membres qui voulaient faire le parcours derrière eux. Aussi, Jordan a acheté quatre parcours afin de n’avoir personne autour d’eux.” Donc, ils ont acheté quatre parcours après avoir été au club jusqu’au petit matin, en ayant dépensé Dieu sait combien. Je crois que la fille a dit que la note était aux alentours de 1 800 dollars. Je suis quasi sûr que c’est Cuban qui a tout payé. »
Le joueur professionnel rapporta que Jordan, Oakley et Cuban avaient avalé le parcours à toute allure et en avaient terminé à 9h30. L’appétit, semblait-il, était encore féroce. »