C’est l’été et pour la plage, vous allez avoir besoin de lecture. On a pensé à vous : en juillet et août, Basket USA vous proposera la lecture de l’autobiographie de Phil Jackson, « Un coach, onze titres NBA ».
On le dit et on le répète, c’est un « must read ». Parce que le « Maître Zen » évoque son parcours comme joueur, les joueurs et les légendes qu’il a coachés (Chicago Bulls de Michael Jordan, Los Angeles Lakers de Shaquille O’Neal et Kobe Bryant) mais aussi ses techniques de management, qui peuvent inspirer beaucoup de chefs d’entreprise.
Comment gérer les egos ? Comment faire cohabiter des personnalités très différentes ? Comment casser la routine et maintenir le degré de motivation des troupes ? Comment prévenir ou résoudre les conflits ? Régalez-vous avec ce document exceptionnel qui aborde aussi la philosophie et la méditation orientale.
Chapitre 2 : Les onze commandements de Jackson
« Vous ne pouvez pas transgresser les règles avant de savoir comment jouer le jeu. »
Rickie Lee Jones
Avant d’aller plus loin, j’aimerais vous donner un aperçu des principes fondamentaux de leadership que j’ai développés au fil des années pour aider à transformer les équipes désorganisées en championnes. Vous ne trouverez pas de grandes théories de management ici. Pour le leadership, comme pour la plupart des choses de la vie, la plus simple des approches est toujours la meilleure.
1. Laisser son for intérieur être leader
Certains entraîneurs aiment se comporter comme des moutons. Ils consacrent énormément de temps à étudier ce que font les autres coaches puis essayent d’élaborer de nouvelles techniques afin d’avoir un avantage sur leurs adversaires. Ce genre de stratégie basée sur ce que font les autres peut s’avérer payant à court terme si vous avez une personnalité énergique et charismatique mais cela se retourne inévitablement contre vous lorsque les joueurs se lassent d’être persécutés et décrochent ou, encore plus probable, que vos adversaires le réalisent et mettent au point une façon intelligente de contrer votre dernier coup.
Je suis contre les moutons par nature. Cela remonte à mon enfance, quand j’ai été gavé de dogme religieux par mes parents, tous deux pasteurs. On attendait de moi que je me comporte d’une manière rigoureusement prescrite. Sitôt adulte, j’ai essayé de me libérer de ce conditionnement précoce et de développer une manière de vivre plus ouverte avec une signification personnelle.
Pendant longtemps, j’ai cru que je devais séparer mes convictions personnelles de ma vie professionnelle. Dans ma quête de réconciliation avec mon propre désir spirituel, j’ai expérimenté un large éventail d’idées et de pratiques, du mysticisme chrétien à la méditation zen en passant par les rituels amérindiens. Finalement, je suis arrivé à une synthèse qui semble authentique pour moi. Et si au début, je craignais que mes joueurs puissent trouver mes opinions peu orthodoxes et farfelues, j’ai découvert au fil du temps que plus je parlais avec le cœur, plus les joueurs m’écoutaient et tiraient profit de mes discours.
2. Mettre les egos de côté
Un jour, un journaliste a demandé à Bill Fitch, mon entraîneur à l’université de North Dakota, si le fait d’avoir affaire à des personnalités difficiles lui donnait des brûlures d’estomac, ce à quoi il avait répondu : « C’est moi qui donne des brûlures d’estomac aux joueurs, pas l’inverse. » Fitch, qui est ensuite devenu un coach NBA couronné de succès, représente l’un des styles de coaching les plus courants : l’autoritaire « C’est ma méthode ou rien du tout » (ce qui, dans le cas de Bill, était tempéré par un diabolique sens de l’humour). L’autre genre classique est le coach lèche-bottes, qui essaie d’amadouer les stars de l’équipe et d’être leur meilleur ami – un exercice d’imbécile au mieux.
J’ai opté pour une approche différente. Après des années d’expérimentations, j’ai découvert que plus j’essayais d’exercer le pouvoir directement, moins je devenais puissant. J’ai appris à mettre mon ego de côté et à répartir le pouvoir aussi largement que possible sans pour autant renoncer à mon autorité finale. Paradoxalement, cette approche a renforcé mon efficacité car elle m’a permis de me concentrer sur mon travail en tant que gardien de la vision d’équipe.
Certains entraîneurs insistent pour avoir le dernier mot mais j’ai toujours essayé de favoriser un environnement dans lequel chacun jouait un rôle de leader, du rookie le plus inculte à la superstar expérimentée. Si votre objectif principal est de mettre l’équipe dans un état d’harmonie et d’unité, il ne sert à rien d’imposer votre autorité de manière inflexible.
Mettre son ego de côté ne signifie pas être une chiffe molle. C’est une leçon que j’ai apprise de mon mentor Red Holzman, l’ancien coach des Knicks, l’un des leaders les plus désintéressés que j’aie jamais connus. Une fois, alors que l’équipe s’envolait pour un road trip, le radiocassette d’un joueur s’est mis à jouer du heavy rock à plein volume. Red s’est dirigé vers le joueur et lui a demandé : « Hey, est-ce que tu as du Glenn Miller dans ta playlist ? » Le gars a regardé Red, perplexe. « Eh bien, quand tu en auras, tu pourras jouer un peu de ma musique et un peu de la tienne. En attendant, éteins cette fichue chose. » Puis Red s’est assis à côté de moi et m’a dit : « Tu sais, les joueurs ont des egos mais parfois, ils oublient que les coaches en ont également. »
3. Laisser chaque joueur découvrir son propre destin
L’une des choses que j’ai apprises en tant que coach est que vous ne pouvez pas imposer votre volonté aux personnes. Si vous voulez qu’elles agissent différemment, vous devez les inciter à changer elles-mêmes. La plupart des joueurs ont l’habitude de laisser leur coach réfléchir à leur place. Quand ils rencontrent un problème sur le terrain, ils regardent nerveusement en direction du banc de touche, espérant que l’entraîneur leur apporte une solution. Beaucoup de coaches se feront un plaisir de les aider. Mais pas moi. J’ai toujours préféré laisser les joueurs penser par eux-mêmes de sorte qu’ils puissent prendre des décisions difficiles dans le feu de l’action.
La règle empirique en NBA est de prendre un temps mort dès que l’équipe adverse vous inflige un 6-0. Au grand dam de mon staff d’entraîneurs, je laisse souvent défiler le chrono dans ces moments-là, de sorte que les joueurs s’obligent à trouver une solution eux-mêmes. Il ne s’agit pas seulement de forger une certaine solidarité mais aussi d’accroître ce que Michael Jordan avait l’habitude d’appeler « le pouvoir de réflexion collective » de l’équipe.
Sur un autre plan, j’ai toujours essayé de donner à chaque joueur la liberté de se tailler son propre rôle au sein de la structure d’équipe. J’ai vu des dizaines de joueurs s’enflammer puis disparaître, non pas par manque de talent mais parce qu’ils ne parvenaient pas à comprendre comment s’intégrer dans le modèle tranchant du basket qui prévaut en NBA.
Mon approche a toujours été de considérer chaque joueur comme une personne entière et pas seulement comme un rouage de la machine basket. Cela impliquait de le pousser à découvrir quelles qualités distinctes il pouvait apporter, au jeu au-delà de la prise de tirs et des passes décisives. Quel courage avait-il ? Quelle ténacité ? Qu’en était-il de sa force de caractère sous la pression ? Beaucoup de joueurs que j’ai coachés n’avaient rien d’extraordinaire sur le papier mais dans le processus consistant à se créer eux-mêmes un rôle, ils sont devenus de formidables champions. Derek Fisher en est un exemple type.
Il a commencé en tant que meneur remplaçant aux Lakers avec une rapidité et des qualités de tir moyennes. Mais il a travaillé sans relâche et s’est transformé en un joueur décisif très précieux et l’un des plus grands leaders que j’aie coachés.
4. La route de la liberté est un système génial
Lorsque j’ai rejoint les Chicago Bulls en 1987 comme assistant coach, mon collègue Tex Winter m’a appris un système de jeu, connu sous le nom d’attaque en triangle, qui collait parfaitement avec les valeurs de dévouement et de conscience que j’avais apprises dans le bouddhisme zen. Tex avait appris les bases du système quand il était étudiant à l’université de Californie du Sud, sous les ordres du coach légendaire Sam Barry. Lorsqu’il a été coach à l’université du Kansas, Tex a redéfini le système et l’a utilisé pour mener les Wildcats à huit titres de Conférence et deux apparitions au Final Four. Il s’est également appuyé dessus quand il était entraîneur des Houston Rockets. Bill Sharman et Alex Hannum, coéquipiers de Tex à USC, ont peaufiné leurs propres versions de l’attaque en triangle pour remporter des titres avec, respectivement, les Lakers et les Sixers.
Malgré le succès extraordinaire de Tex et moi-même avec ce triangle aux Bulls et aux Lakers, il y a encore beaucoup d’idées fausses sur la manière dont fonctionne le système. Les critiques le qualifient de strict, démodé et compliqué à apprendre. Rien de tout cela n’est vrai. En fait, le triangle est une attaque plus simple que la plupart des systèmes des équipes NBA aujourd’hui. Surtout, il stimule automatiquement la créativité et le travail d’équipe en évitant aux joueurs d’avoir des dizaines de schémas de jeu à mémoriser.
Ce qui m’a attiré vers l’attaque en triangle, c’est la manière dont elle responsabilise les joueurs, donnant à chacun un rôle vital ainsi qu’un haut niveau de créativité dans une structure claire et bien définie. La clé est de former chaque joueur à lire la défense et à réagir en conséquence. Cela permet à l’équipe d’avancer de façon coordonnée, selon l’action à un moment donné. Avec l’attaque en triangle, vous ne pouvez pas rester inactif et attendre que la magie des Michael Jordan ou Kobe Bryant opère. Les cinq joueurs doivent être pleinement engagés à chaque seconde, sinon le système entier échouera. Cela stimule un processus continu de résolution des problèmes de groupe en temps réel, pas seulement sur la tablette du coach pendant les temps morts. Lorsque l’attaque en triangle fonctionne bien, elle est pratiquement impossible à arrêter car personne ne sait ce qui va se passer après, pas même les joueurs.
5. Transformer le banal en sacré
Quand j’étais petit garçon, j’avais l’habitude de m’émerveiller devant la manière dont mes parents créaient une communauté, transformant la vie misérable dans les plaines du Montana et du Dakota du Nord en expérience sacrée.
Vous connaissez le cantique :
Béni soit le lien
Qui nous unit au Christ,
Le saint amour, l’amour divin,
Que verse en nous l’Esprit !
C’est l’essence même de ce que signifie rassembler des individus et les unir pour quelque chose de plus grand qu’eux. J’ai entendu ce cantique des milliers de fois quand j’étais jeune et j’ai été témoin de ce qui se passe quand l’Esprit touche les gens et les unit. Les rituels ont eu un effet profond sur moi – et sur mon approche du leadership – même si plus tard, je me suis éloigné de la foi pentecôtiste et j’ai trouvé une nouvelle direction spirituelle.
Un jour, alors que les Bulls montaient dans le bus après une courte victoire venue d’ailleurs, mon entraîneur Chip Schaefer a dit qu’il adorerait pouvoir mettre en bouteille l’énergie de la fin de match. Comme une potion magique que nous pourrions boire à chaque fois que nous en aurions besoin. C’était une bonne idée mais j’ai appris que les forces qui unissent harmonieusement les gens ne sont pas si évidentes. Elles ne peuvent pas être fabriquées à volonté mais vous pouvez faire de votre mieux pour créer les conditions qui favorisent ce genre de transformation – ce qui est très similaire à ce que mes parents essayaient de faire chaque dimanche à l’église.
D’après moi, mon job en tant que coach était de réaliser quelque chose de significatif dans l’une des activités les plus banales de la planète : jouer au basket professionnel. Malgré tout le glamour entourant le sport, jouer jour après jour dans une ville puis une autre peut être un exercice démoralisant. C’est pourquoi j’ai commencé à intégrer la méditation dans les entraînements. Je voulais donner aux joueurs quelque chose de plus pour se concentrer. Qui plus est, nous inventions souvent nos propres rituels pour insuffler un sens du sacré aux entraînements.
Au début du camp d’entraînement, par exemple, nous avions pour habitude d’effectuer un rituel que j’avais emprunté à la légende du football américain Vince Lombardi. Les joueurs devaient former un rang sur la ligne de fond et je leur demandais de s’engager à accepter d’être entraînés pendant la saison, en leur disant : « Dieu m’a ordonné de vous entraîner, jeunes hommes, et j’embrasse le rôle qui m’a été confié. Si vous voulez bien accepter le jeu que j’adopte et suivre mon coaching, faites un pas devant cette ligne comme signe de votre engagement. » Comme par merveille, ils l’ont toujours fait.
Nous procédions ainsi de manière ludique mais avec une intention sérieuse. L’essence du coaching est de faire en sorte que les joueurs acceptent d’être coachés sans réserve puis de leur procurer le sentiment de contrôler leur destin en tant qu’équipe.
6. Un souffle, un esprit
Quand j’ai repris les Lakers en 1999, ils étaient talentueux mais pas déterminés. Ils s’écroulaient souvent en playoffs car leur attaque était très désorientée et indisciplinée, si bien que les meilleures équipes, comme les San Antonio Spurs ou le Utah Jazz, avaient compris comment neutraliser leur arme la plus puissante : Shaquille O’Neal.
Certes, nous aurions pu effectuer un certain nombre de modifications tactiques pour contrer ces faiblesses mais ce dont les joueurs avaient réellement besoin, c’était un moyen de stopper leurs réflexions dans leur tête pour se concentrer sur la manière de gagner des matches de basket. Lorsque j’étais à la tête des Bulls, les joueurs devaient gérer le battage médiatique autour de Michael Jordan. Mais ce n’était rien comparé aux distractions auxquelles devaient faire face les Lakers dans le ventre de la culture de la célébrité. Pour que les joueurs se posent, je les ai initiés à un outil que j’avais utilisé, avec succès, chez les Bulls : la méditation relative à la pleine conscience du moment présent.
J’ai été victime de beaucoup de moqueries de la part d’autres entraîneurs vis-à-vis de mes expériences avec la méditation. Une fois, les coaches universitaires Dean Smith et Bobby Knight sont venus à un match des Lakers et m’ont demandé : « Est-il vrai, Phil, que vous vous asseyez en rond avec les joueurs dans une pièce sombre avant les matches en vous tenant par la main ? »
Tout ce que je pouvais faire était de rire. Bien que la méditation de pleine conscience vienne du bouddhisme, c’est une technique facile d’accès pour apaiser l’esprit agité et attirer l’attention sur tout ce qui se passe dans le moment présent. C’est extrêmement utile pour les joueurs de basket qui doivent souvent prendre des décisions en une fraction de seconde sous une pression énorme. J’ai aussi découvert que lorsque les joueurs étaient assis en silence, en respirant de manière synchronisée, cela les aidait à se placer à un niveau non verbal de manière beaucoup plus efficace que des mots. Un souffle est égal à un esprit.
Un autre aspect de l’enseignement bouddhiste qui m’a influencé, c’est l’accent mis sur l’ouverture et la liberté. Le maître zen Shunryu Suzuki a comparé l’esprit à une vache dans un pâturage. Si vous enfermez la vache dans une petite cour, elle deviendra nerveuse et frustrée et commencera à manger l’herbe des voisins. Mais si vous lui donnez un grand pâturage dans lequel errer, elle sera contente et moins encline à s’échapper. D’après moi, cette approche de la discipline mentale a été extrêmement rafraîchissante, comparée à la manière de penser restreinte enracinée en moi quand j’étais enfant.
J’ai également trouvé que la métaphore de Suzuki pouvait s’appliquer à la gestion d’une équipe. Si vous imposez trop de restrictions aux joueurs, ils passeront un temps démesuré à essayer d’inverser le système. Comme nous tous, ils ont besoin d’un certain degré de structure dans leur vie mais aussi de suffisamment de latitude pour s’exprimer de façon créative. Sinon, ils vont commencer à se comporter comme des vaches parquées.
7. La clé du succès est la compassion
Dans sa nouvelle adaptation du texte sacré chinois Tao Te King, Stephen Mitchell propose une vision provocatrice de l’approche du leadership de Lao-Tseu :
Je n’ai que trois choses à enseigner :
La simplicité, la patience, la compassion.
Toutes trois sont tes plus grands trésors.
Simple en actions et en pensées,
tu retournes à la source de l’être.
Patient avec tes ennemis comme avec tes amis,
Tu te mets en accord avec la réalité.
Compatissant envers toi-même,
tu réconcilies tous les êtres du monde.
Tous ces trésors ont fait partie intégrante de mon coaching mais la compassion a été le plus important. En Occident, nous avons tendance à concevoir la compassion comme une forme de charité mais je partage l’avis de Lao-Tseu selon lequel la compassion pour tous les êtres – et pas seulement pour soi-même – est la clé pour faire tomber les barrières entre les gens.
De nos jours, la compassion est un mot qu’on n’entend plus si souvent que ça dans les vestiaires. Mais j’ai pensé que quelques mots réfléchis pouvaient avoir un fort effet transformateur sur les relations, même avec les hommes les plus difficiles de l’équipe.
Parce que j’ai commencé en tant que joueur, j’ai toujours été capable de comprendre ce que ressentent de jeunes hommes confrontés aux dures réalités de la vie en NBA. La plupart des joueurs vivent dans un état d’anxiété constante, se souciant de savoir s’ils vont être blessés ou humiliés, coupés ou échangés ou, pire encore, s’ils vont faire une erreur stupide qui va les hanter jusqu’à la fin de leur vie. Quand je jouais avec les Knicks, j’ai été écarté des terrains pendant plus d’un an à cause d’une blessure handicapante au dos. Cette expérience m’a permis de parler, avec des joueurs que j’ai coachés, de ce que l’on ressent quand votre corps lâche et que vous devez glacer chaque articulation après un match ou même rester assis sur le banc pour toute la saison.
Au-delà de cela, je pense qu’il est essentiel, pour les athlètes, d’apprendre à ouvrir leur cœur de sorte qu’ils puissent collaborer avec l’autre de manière significative. Quand Michael Jordan est revenu aux Bulls en 1995 après une année et demie passée en ligue mineure de baseball, il ne connaissait pas la plupart des joueurs et se sentait complètement en décalage avec l’équipe. Jusqu’à ce qu’il se batte avec Steve Kerr à l’entraînement et qu’il réalise qu’il devait connaître plus intimement ses coéquipiers. Il a eu besoin de comprendre ce qui les mettait en rogne pour pouvoir travailler avec eux de manière plus productive. Cet instant de lucidité a aidé Michael à devenir un leader compatissant et, finalement, l’équipe à se transformer en l’une des plus grandes de tous les temps.
8. Gardez l’œil sur l’esprit, pas sur le tableau d’affichage
Le gourou du management Stephen Covey raconte ce vieux conte japonais sur un guerrier samouraï et ses trois fils : le samouraï voulait enseigner la puissance du travail d’équipe à ses fils. Il donna donc une flèche à chacun d’entre eux et leur demanda de la casser. Aucun problème. Chaque fils le fit facilement. Puis le samouraï leur donna un paquet de trois flèches liées ensemble et leur demanda de répéter le processus. Mais aucun d’entre eux ne put le faire. « C’est votre leçon, dit le samouraï. Si vous restez tous les trois soudés ensemble, vous ne serez jamais vaincus. »
Cette histoire reflète simplement quelle force peut avoir une équipe lorsque chacun de ses membres renonce à son intérêt personnel pour un intérêt bien plus grand. Quand un joueur ne force pas un shoot ou n’essaie pas d’imposer sa personnalité à l’équipe, ses dons d’athlète se manifestent pleinement. Paradoxalement, en jouant dans la limite de ses capacités naturelles, il apporte un potentiel plus grand pour l’équipe, transcende ses propres limites et aide ses coéquipiers à dépasser les leurs. Quand cela se produit, l’ensemble commence à s’élever davantage que la somme de ses parties.
Exemple : nous avions un joueur aux Lakers qui cherchait obstinément à intercepter le ballon en défense. Si son esprit avait été occupé par le scoring de l’autre côté du terrain au lieu de l’être par les interceptions, il n’aurait pas été capable de bien effectuer chacune de ces tâches. Lorsqu’il s’est vraiment engagé en défense, ses coéquipiers l’ont remplacé de l’autre côté du parquet, parce qu’ils savaient intuitivement ce qu’il allait faire. Puis, soudainement, tout le monde a été capable de trouver son équilibre et de bonnes choses ont commencé à arriver.
Il est intéressant de noter que les autres joueurs n’étaient pas conscients qu’ils étaient en train d’anticiper le comportement de leur coéquipier. Ce n’était pas une expérience de sortie du corps ou quelque chose comme cela. Mais d’une certaine manière, mystérieusement, ils sentaient juste ce qui allait se passer ensuite et agissaient en conséquence.
La plupart des coaches se prennent la tête avec la tactique. Je préfère me concentrer sur le fait de voir les joueurs se déplacer ensemble de manière courageuse. Michael Jordan avait pour habitude de dire que ce qu’il aimait dans mon style de coaching, c’était ma patience dans les dernières minutes d’un match, semblable à celle de son coach à l’université, Dean Smith. Ce n’était pas du cinéma. Ma confiance a grandi en sachant que lorsque l’esprit était juste et les joueurs à l’écoute les uns des autres, le match était susceptible de tourner en notre faveur.
9. Vous devez parfois sortir le bâton
Dans la forme la plus stricte du zen, des moniteurs parcourent la salle de méditation en tapant les méditants endormis ou apathiques avec un bâton de bois plat, appelé keisaku, pour attirer leur attention. Ce n’est pas conçu comme une punition. En fait, le keisaku est parfois considéré comme un « bâton de compassion ». Le but de ce coup est de revigorer le méditant et de le rendre plus éveillé dans le moment.
En pratique, je n’ai jamais manié un bâton keisaku, même si parfois, j’aurais aimé en avoir un sous la main. Malgré tout, j’ai eu recours à quelques astuces pour réveiller les joueurs et élever leur niveau de conscience. Une fois, j’ai voulu que les Bulls s’entraînent en silence ; à une autre occasion, je leur ai fait jouer un match d’entraînement avec les lumières éteintes. J’aime faire bouger les choses et laisser les joueurs dans l’incertitude. Pas parce que je tiens à leur rendre la vie misérable mais parce que je veux les préparer à l’inévitable chaos qui se produit à la minute où ils entrent sur un terrain de basket.
L’un de mes stratagèmes favoris était de séparer les joueurs en deux équipes déséquilibrées pour un match d’entraînement puis de ne siffler aucune faute contre la plus faible des deux. J’aimais observer comment les joueurs de la meilleure équipe réagissaient quand tous les coups de sifflet étaient dirigés contre eux et que leurs adversaires menaient de trente points. Cette situation avait pour habitude de rendre dingue Michael Jordan car il ne supportait pas de perdre, même s’il savait que le match était truqué.
L’un des joueurs avec lesquels j’ai été particulièrement dur a été l’ailier des Lakers Luke Walton. Je jouais parfois à des jeux d’esprit avec lui afin qu’il comprenne ce que cela faisait d’être stressé sous la pression. Une fois, je lui ai infligé une série d’exercices particulièrement frustrante et au vu de sa réaction, je pouvais m’apercevoir que je l’avais poussé trop loin. Après cela, je me suis assis avec lui et je lui ai dit : « Je sais que tu envisages de devenir coach un jour. Je pense que c’est une bonne idée mais le coaching n’est pas une partie de plaisir. Parfois, aussi gentil sois-tu, tu vas devoir être un connard. Tu ne peux pas être coach si tu as besoin d’être apprécié. »
10. Dans le doute, abstiens-toi
Le basket est un sport d’action et la plupart des personnes impliquées dans ce dernier sont des individus débordants d’énergie qui aiment faire quelque chose pour résoudre les problèmes. Cependant, il y a des occasions où la meilleure solution consiste à absolument ne rien faire.
Cela est particulièrement vrai lorsque les médias sont impliqués. Les journalistes se moquaient souvent de moi car je n’affrontais pas directement mes joueurs quand ils agissaient de manière immature ou disaient quelque chose de stupide dans la presse. Un jour, T.J. Simers, du Los Angeles Times, a écrit une chronique drôle sur ma propension à l’inactivité et a conclu ironiquement : « Personne ne fait rien mieux que Phil. » J’apprécie la plaisanterie. Mais j’ai toujours été méfiant à l’idée d’affirmer mon ego avec légèreté juste pour donner aux journalistes de quoi écrire. A un niveau plus profond, je crois que se concentrer sur autre chose que le business en jeu peut être le moyen le plus efficace de résoudre des problèmes complexes. Quand on permet à l’esprit de se détendre, l’inspiration suit souvent d’elle-même.
La recherche commence à le prouver. Dans un commentaire sur CNNMoney.com, Anne Fisher, rédactrice en chef de Fortune, a indiqué que les scientifiques avaient commencé à réaliser « que les gens (réfléchissaient) mieux quand ils ne se (concentraient) pas du tout sur le travail ». Elle cite des études publiées dans la revue Science par des psychologues néerlandais qui ont conclu : « L’inconscient est un formidable résolveur de problèmes complexes quand le conscient est occupé à autre chose ou, peut-être mieux encore, pas du tout surmené. » C’est pourquoi j’adhère à la philosophie de feue Satchel Paige qui a dit : « Parfois je m’assois et pense, et parfois je m’assois seulement. »
11. Oublier la bague de champion
Je déteste perdre. Ça a toujours été le cas. Quand j’étais enfant, j’étais tellement compétiteur que j’éclatais souvent en sanglots et cassais le panier en morceaux si l’un de mes frères aînés, Charles ou Joe, me battait à plate couture dans un match. Ils adoraient me taquiner lorsque je piquais une colère de mauvais perdant, ce qui me rendait encore plus déterminé à gagner le match suivant. Je m’entraînais encore et encore jusqu’à ce que je trouve un moyen de les battre et d’effacer les sourires suffisants de leur visage.
Même arrivé à l’âge adulte, j’étais réputé pour ne pas laisser passer l’occasion. Une fois, après une défaite particulièrement embarrassante contre Orlando en playoffs, je me suis rasé une grande partie de la tête et j’ai piétiné pendant près d’une heure dans le vestiaire jusqu’à ce que la colère s’apaise.
Et pourtant, en tant que coach, je sais qu’être obsédé par la victoire (ou plus véritablement par le refus de la défaite) est contre-productif, surtout lorsque cela vous fait perdre le contrôle de vos émotions. Qui plus est, l’obsession de la victoire est un jeu de perdant : le mieux que nous puissions espérer, c’est créer les meilleures conditions possibles de réussite puis accepter le résultat. Le chemin est beaucoup plus amusant ainsi.
La légende des Boston Celtics Bill Russell, qui a gagné plus de bagues de champion en tant que joueur que quiconque (onze), a révélé dans ses mémoires, Second Wind, qu’il encourageait parfois secrètement l’équipe adverse pendant les grands matches car elle était en train de bien jouer. Cela voulait dire qu’il aurait des émotions plus intenses.
Lao-Tseu a vu les choses autrement. Il pensait qu’être trop compétitif pouvait vous détraquer spirituellement :
Le meilleur athlète veut son adversaire au meilleur de sa forme.
Le meilleur général pénètre l’esprit de son ennemi.
Chacun d’eux incarne la vertu de la non-compétition.
Non qu’ils n’aiment rivaliser,
Mais ils le font dans l’esprit du jeu.
C’est pourquoi au début de chaque saison, j’encourageais toujours les joueurs à se concentrer sur le cheminement plutôt que sur le but. Ce qui importe le plus est de jouer de la bonne manière et d’avoir le courage de progresser, aussi bien en tant qu’être humain qu’en tant que joueur de basket. Quand vous faites cela, la bague vient d’elle-même.
A suivre…
– A lire : Le premier chapitre « Le Cercle d’amour »
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