« Bigger than life »… Cette expression presque intraduisible en français colle comme un gant à Shaquille O’Neal. Personnalité extravertie, spécimen physique unique, O’Neal est devenu le Shaq à force d’exploits rocambolesques, de pitreries tordantes, et tout simplement par son comportement presque « surhumain ».
Des rêves de gosse plutôt humbles
Mais le jeune O’Neal grandit dans une famille recomposée, sans connaître son père biologique. Il écoute religieusement son beau-père, un sergent dans l’armée qui est établi à San Antonio, à qui il obéit au doigt et à l’oeil. On est alors loin du Shaq hors-norme que la NBA révélera dans les années 90…
« Il faut d’abord dire que je jouais au foot quand j’étais gamin. » explique Shaq sur NBA TV. « J’aimais bien ça. Mais un jour, mon père est rentré et il bougonnait. Il m’a dit : ‘Si tu pouvais arrêter tes conneries, voilà ce que tu pourrais faire’, en me balançant un journal à la figure. J’ai ouvert le journal et j’ai vu que Jon Koncak venait de signer pour 15 millions de dollars sur 3 ans. On est allé voir les Hawks jouer les Spurs. Et je regarde Jon jouer. Et je me suis dit, mais c’est ce que je sais déjà faire ! Et je peux faire un peu plus. Si je fais comme lui, je vais gagner 5 millions par an. J’ai donc mis le foot de côté et je me suis concentré sur le basket. »
Le rêve du petit O’Neal commence donc à prendre forme autour de la silhouette anguleuse d’un pivot à mulette des Hawks.
« Mon rêve, c’était de gagner 8 millions de dollars en 10 ans. J’avais déjà tout prévu. Je voulais m’acheter une petite maison, un Jimmy Blazer [un 4×4, ndlr] et une Mercedez-Benz. Tout était déjà réfléchi. J’ai vraiment dépassé toutes mes attentes… »
Le déconneur discipliné
Et pour cause, le Shaq va amasser plus de 292 millions de dollars, rien qu’en contrats NBA entre Orlando, Los Angeles, Miami, Phoenix, Cleveland et Boston. Imaginez maintenant avec la douzaine de films où il apparaît, plus son contrat actuel chez TNT et tous les contrats publicitaires signés à travers une carrière riche en sponsoring.
Pourtant, le jeune Shaquille manquait clairement de confiance en lui. L’acteur et le déconneur intarissable qu’on connaît aujourd’hui n’apparaissaient que par courtes séquences dans le foyer O’Neal. En témoigne cette anecdote narrée par le Shaq.
« Un jour, on jouait contre des gars de 1m80, 1m85, 1m90 au mieux, je savais qu’ils ne pourraient pas m’arrêter. Du coup, je me suis dit que je pouvais en profiter pour travailler sur mon jeu. Je faisais des petits dribbles entre les jambes, des shoots en suspension. J’avais déjà mis 40 points et on menait de 30. Et puis, sur une action, je pars au layup et je veux faire un finger roll… mais je le rate ! Mon père est alors entré sur le terrain comme une furie en demandant un temps-mort [sachant que son père est alors simple spectateur du match, ndlr] . Il m’emmène dehors. ‘Qu’est-ce que tu fous là ?’ ‘Je bosse mon jeu, je veux jouer comme Dr. J’. Là, il m’a pris par le maillot et, boum, m’a plaqué contre le mur : ‘Tu ne sera pas Dr. J, tu seras Shaq !’ Et j’étais tellement énervé contre lui que j’ai commencé à dunker sur tout le monde. Et c’est à partir de là que j’ai compris ce que c’était de dominer son adversaire, de le voir reculer. Il m’a fait comprendre à sa manière que, si je voulais réaliser mon rêve à la Jon Koncak, je devais me remuer. »
A LSU pour honorer une promesse
L’adolescent mal dans sa peau et dégingandé va cependant trouver du réconfort ailleurs que chez ses parents. En l’occurrence, Dale Brown, le coach de LSU, a senti le coup (et a eu beaucoup de chance) en discutant avec le jeune O’Neal… Avant qu’il ne devienne le Shaq !
« J’ai décidé d’aller à LSU parce que, quand j’étais en Allemagne, j’étais complètement nul. J’étais affreux. J’avais 13 ans, je faisais 2m05 [1m96 en fait, ndlr], je n’arrivais pas à dunker, j’étais maladroit. Je me suis confié à coach Brown et il m’a donné quelques astuces. Il m’a également dit que si je voulais jouer au basket, il m’offrirait une bourse scolaire. Quand j’avais 13 ans ! J’ai ensuite réussi à me faire un nom et quand tout le monde me voulait, j’ai décidé d’aller à LSU. Car coach Brown m’écrivait des lettres bien avant que je sois le Shaq. »
Une fois en NBA, O’Neal fait rapidement du dégât avec 23 points, 14 rebonds et 3 contres de moyenne. Il est logiquement élu Rookie de l’année. Et il joue également les GM pour le Magic, en soumettant l’idée à sa franchise de drafter Anfernee Hardaway plutôt que Chris Webber.
« C’était parfait. C’était le remix du duo Magic Johnson – Kareem Abdul-Jabbar ! J’avais rencontré [Penny] sur le plateau de tournage de Blue Chips. Je l’avais un peu testé. Du coup, quand je suis rentré, j’ai été discuter avec le GM [Pat Williams, ndlr]. Je lui ai dit : je sais qu’on a le premier choix de draft, et je sais que vous voulez C-Webb [Chris Webber] mais je reviens juste de jouer avec ce gars, Penny Hardaway, et c’est le gars qu’il nous faut. J’ai mis un petit coup de pression en parlant de ma fin de contrat qui arrivait dans deux ans, s’il ne le prenait pas… J’ai failli tout casser dans ma maison quand ils ont pris C-Webb. Mais quand ils ont échangé de casquette, tout allait mieux. Et on a tout de suite bien joué ensemble tous les deux. »
Kobe Bryant, le « Will Smith de la NBA »
Plus tard, à Los Angeles, Shaq rencontre un autre petit génie de la balle orange. Quand la légende Jerry West vient effectivement convaincre O’Neal de les rejoindre à LA, Shaq donne évidemment raison à l’énorme chèque des Lakers… mais il entend déjà parler du prodige, Kobe Bryant !
« Avec Kobe, j’ai dû faire preuve de beaucoup de patience au début. C’est le type de gars qui veut toujours jouer et gagner. A 18 ans, il m’avait dit qu’il voulait devenir le Will Smith de la NBA. Il était clairement le gars qui venait deux heures avant l’entraînement, et repartait deux heures après. Et j’ai rapidement compris qu’il avait un sacré potentiel. »
Mais le gamin intrépide connaît, comme tout le monde, des difficultés…
« Quand il prend ses trois tirs en playoffs face au Jazz. Et qu’il fait trois air balls, je l’ai pris sous mon bras et je lui ai dit que si tout le monde se moquait de lui à ce moment précis, il allait leur faire craindre de prendre ces mêmes tirs plus tard [dans sa carrière]. Et je ne me suis pas trompé ! En plus, personne ne voulait les prendre ces tirs. » explique Shaq dans sa « Big » conversation avec son collègue actuel, Ernie Johnson. « Il n’y a jamais eu de haine entre nous. Je dirais qu’il y a eu d’abord beaucoup de patience, puis une lutte respectueuse pour le leadership de l’équipe. »
Une quatrième bague avec le Heat
La fin de l’épisode Lakers, Shaq l’a comparée à ses films préférés, les films de mafia, où « il ne peut y avoir qu’un seul patron ». Recruté par le Heat, O’Neal découvre un autre univers. Et encore un autre jeune qui monte, Dwyane Wade.
« Ce titre a été spécial. Car je commençais à prendre de l’âge et je savais que j’entamais mon déclin physique. Mais Pat Riley était génial, D-Wade était génial. Dès le début, on est allé au restaurant avec D-Wade et je lui ai raconté tout « les mauvaises choses » qui s’étaient passées entre moi et Kobe. Et je lui ai dit que je ne voulais surtout pas que ça nous arrive. Demain, je vais aller à ma conférence de presse et je vais dire que c’est ton équipe. Je suis fatigué, c’est ton équipe. Je serai là pour te conseiller et on va bosser ensemble. Et c’est ce qu’on a fait. »
Et comment ! Dwyane Wade devient Flash lors des finales 2006 durant lesquelles les Mavs de Dirk Nowitzki se font littéralement renverser.
« Sans lui, on n’aurait pas gagné ce titre. » avoue sans fard le Shaq. « Je n’étais pas vraiment moi-même pendant les finales. Mais j’ai toujours eu confiance en mes coéquipiers. (…) Quand on était à 0-2, on a eu une réunion plutôt chaude. Je montrais GP [Gary Payton] du doigt, il me montrait du doigt. On s’est sauté dessus pendant une demi-heure et on a ensuite réfléchi stratégie. On savait qu’on pouvait les battre. On devait prendre les matchs les uns après les autres. »
Dans cette aventure, Pat Riley a également un rôle majeur. Comme dans les films de mafieux que Shaq adore. Et l’actuel président de la franchise floridienne n’a pas manqué de rendre un superbe hommage à son pivot récemment.
« A 3-2, Pat Riley est revenu tout énervé dans les vestiaires et il nous a dit tout net : demain, on ne s’entraîne pas. On va aller là-bas et je vous préviens, je veux que chacun n’emmène qu’un seul costard. Demain midi à l’aéroport, je vérifierai chaque bagage. Et si vous avez plus d’un costard, vous ne montez pas dans l’avion ! Véridique, c’est ce qu’il a dit. Et de fait, il a vérifié… »
Une fin de carrière plus tragique que comique
Passé ensuite par les Suns, où il deviendra le Big Cactus aux côtés de Steve Nash, puis chez les Cavs aux côtés de LeBron James, et enfin à Boston, aux côtés du Big Three local, O’Neal vit une fin de carrière plus chaotique. Avec pas mal de pépins physiques et plusieurs belles occasions manquées…
« C’était horrible ! Je savais que j’approchais de la fin. Et je me sentais vraiment mal car le Shaq que les gens connaissent, c’est 28 [points] et 15 [rebonds]. Et c’est comme ça que je voulais que les gens se souviennent de moi. Quand j’étais à 12 ou 14, je ne me sentais vraiment pas bien. Le seul truc qui me sauvait, c’est que je savais que j’avais déjà 4 titres. Si je ne les avais pas eus, ça m’aurait rendu fou. Avec ce matelas de titres, j’essayais simplement de m’amuser. Mais à la fin, quand ma jambe m’a lâché, j’ai presque dit merci. Je savais que c’était fini pour moi. Je n’allais pas essayer de revenir, de faire de la rééducation ou quoi que ce soit. Je n’étais pas en double figure et c’était inédit pour le Shaq… J’ai essayé d’être un joueur de rôle mais c’était horrible. »
Plus grand que la vie, Shaquille O’Neal l’a été pendant une bonne partie de sa carrière, expliquant encore récemment qu’il n’avait pu montrer que « 30% de son jeu« . Et puis, le retour sur terre a lentement mais sûrement calmé les velléités d’un des pivots les plus costauds de l’histoire de la ligue.
Dominateur, ainsi qu’il aime à se décrire, Shaq aura également été un des personnages les plus marquants de l’histoire, par ses facéties hors terrain. Et pour tout ça, on ne risque pas de l’oublier de sitôt…
https://www.youtube.com/watch?v=thGOucIbG5A