Si Ray Allen possède le surnom de Jesus, c’est un petit peu grâce à lui.
La scène se déroule dans le film « He Got Game », de Spike Lee. Jake Shuttlesworth, incarné par Denzel Washington, discute avec son fils Jesus, joué par Ray Allen. La discussion porte sur l’origine du prénom Jesus, objet d’une querelle en début de film entre les deux hommes.
Jake explique alors que son joueur préféré se nommait Earl Monroe et que son surnom lors de ses années sur les playgrounds de Philadelphie fut Jesus. D’où le prénom de son fils.
La référence est pointue, mais pas anodine : Earl Monroe a réussi un exploit, en restant dans les esprits de chacun sans aucune performance de légende ou sans statistiques de folie. En fait, il a marqué les esprits par la seule chose qui compte vraiment, à savoir le terrain.
Pas facile, dans une ligue dominée à l’époque par un certain Kareem Abdul Jabbar ou quelques gros scoreurs comme Julius Erving, Rick Barry et George Gervin…
La légende des playgrounds
Vernon Earl Monroe voit le jour le 21 novembre 1944, du côté de Philadelphie, en Pennsylvanie. Il grandit dans le sud de Philly et, très jeune, il se passionne pour le sport. Pas le basket, mais plutôt le baseball, voire le football US. Sauf qu’avec sa taille de 1m91 à seulement 14 ans, beaucoup d’entraîneurs de ballon orange s’intéressent à son profil…
Son intégration dans le basket se passe tellement bien qu’il devient immédiatement fan de ce sport. Il est alors propulsé pivot dans son équipe, un poste qu’il occupera la plupart du temps dans sa jeunesse.
Dans le même temps, Earl Monroe perfectionne son jeu sur les playgrounds de Philadelphie et sa réputation grandit, à tel point qu’il est surnommé « Black Jesus ». La légende raconte même que son vrai surnom fut Jesus, mais les médias à majorité blanc créèrent une distinction en apposant l’adjectif noir. Black Jesus.
Pendant ses années lycées à John Bartram, et pour qualifier son immense jeu offensif, ses coéquipiers l’appellent « Thomas Edison », en référence à l’inventeur américain.
Earl Monroe s’oriente ensuite vers la petite faculté noire de Winston-Salem State, basée en Caroline du Nord, à environ 145 kilomètres d’une certaine fac’ de Chapel Hill. La future de… Michael Jordan.
Le natif de Philadelphie y progresse chaque année. En témoignent ses moyenne de points : 7.1 points en freshman, 23.2 comme sophomore et 29.8 points en junior.
Le coach Clarence Gaines, membre du Hall of Fame depuis 1982, devient une figure paternelle importante aux yeux d’Earl Monroe et, durant son année senior, son plus célèbre surnom est inventé par un journaliste local. L’expression d’origine est « Earl’s Pearls », un pluriel utilisé par l’auteur pour décrire sa façon spectaculaire de marquer ses points. L’histoire retiendra « The Pearl », ou la perle en français.
En effet, en 1966/67, « Earl the Pearl » tourne à 41.5 points par match, est élu meilleur joueur du pays et emmène sa fac’ jusqu’au titre NCAA.
Ses années Bullets
Grace à ses magnifiques performances à l’université, Earl Monroe est choisi par les Bullets de Baltimore en 2e position de la Draft 1967, derrière Jimmy Walker, le père de Jalen Rose.
Il réussit une très belle campagne, avec 24.3 points de moyenne, soit la 13e meilleure performance de l’histoire pour un rookie, avec notamment une pointe à 56 unités contre les Lakers. Dans son sillage, les Bullets remportent 16 rencontres de plus que la saison précédente.
L’année suivante, Earl Monroe confirme sa bonne saison rookie en grimpant à 25.8 points par match, la meilleure marque de sa carrière. En plus de son talent individuel, Baltimore a construit une magnifique équipe autour de lui. Si magnifique qu’elle gagne 57 matchs.
Les éléments de ce succès sont multiples. Tout d’abord le pivot Wes Unseld, auteur de 13.8 points et 18.2 rebonds de moyenne, devient rookie de l’année et MVP, un événement rarissime dans l’histoire, puisque seul Wilt Chamberlain avait réussi cela, en 1960. Depuis, personne n’a égalé cette performance !
Ensuite, on retrouve quelques jolis talents de la ligue à cette époque, comme Gus Johnson, Jack Marin et Kevin Loughery, le tout étant porté par un « run-and-gun » ultra efficace et la fantastique présence défensive de Wes Unseld.
Les Bullets arrivent jusqu’en demi-finale de division, époque oblige, car le découpage en conférence n’apparait qu’en 1970, mais leurs espoirs sont brisés par les Knicks, qui leur infligent un sweep. Rebelote l’année suivante, mais cette fois-ci, Baltimore s’incline lors du Game 7, toujours contre New York, futur champion.
En 1970/71, Earl Monroe découvre les Finals contre les Bucks, mais le duo Kareem Abdul-Jabbar — Oscar Robertson est bien trop fort et cette série se conclut après 4 petits matchs…
L’avenir semble donc radieux pour les Bullets car, avec quelques bonnes pioches supplémentaires, le titre n’est pas impossible à décrocher. Seulement, des problèmes de salaires ternissent les rapports entre « The Pearl » et sa franchise.
Le 10 novembre 1971, après seulement 3 matchs, l’impensable finit par se produire : le combo-guard est transféré chez les Knicks, l’ennemi juré, contre Mike Riordan, Dave Stallworth et des liquidités.
Sa période new-yorkaise
Earl Monroe arrive à New York avec 23.7 points de moyenne en quatre saisons pleines à Baltimore. Il retrouve alors son meilleur adversaire et compagnon de Draft, Walt Frazier.
Depuis 1967, Earl Monroe a effectivement affronté Frazier à 21 reprises et le jeu offensif de « The Pearl » était toujours mis à rude épreuve avec la légendaire défense de « Clyde ». Mais ce transfert pose aussi quelques questions : comment faire cohabiter les deux hommes et, surtout, comment intégrer au parfait jeu collectif des Knicks un talent offensif si fort mais si demandeur de ballons ?
Earl Monroe connait quelques difficultés à s’intégrer. Il porte moins le ballon et devient moins efficace. En plus, il souffre de problèmes aux genoux et aux chevilles, ne disputant finalement que 60 matchs, pour 21 minutes de moyenne, ce qui le fait chuter à 12 points par rencontre. Malgré tout, New York atteint de nouveau les Finals, mais Los Angeles s’impose en 5 manches.
Puis la seconde saison, la greffe prend, « The Pearl » score 15.5 points de moyenne et son association avec Walt Frazier est qualifiée de Rolls Royce des backcourt. Les Knicks remportent 57 matchs et Monroe retrouve les Bullets en playoffs et gagne la série en 5 matchs. Ensuite, les New-Yorkais éliminent les Celtics, pourtant favoris, pour retrouver les Lakers pour une troisième confrontation au stade des Finals.
Earl Monroe inscrit 23 points lors du Game 5 victorieux et les Knicks remportent le second titre de leur histoire, trois ans après celui de 1970. Mais cet exploit est aussi le dernier pour New York, car le Rookie de l’année 1968 voit tous ses coéquipiers partir à la retraite, saison après saison, et même Walt Frazier est transféré à Cleveland, en 1977.
Se retrouvant seul aux commandes, « The Pearl » retrouve ses sensations offensives, avec trois nouvelles campagnes à 20 points par match, mais ses deux exercices se soldent par des vacances anticipées. Il prend sa retraite en 1980, à l’âge de 35 ans, et deviendra ensuite manager dans l’industrie musicale, avant de revenir au basket, comme commentateur.
Un virtuose du jeu
En 1989 Earl Monroe intègre le Hall of Fame et devient l’un des 50 meilleurs joueurs de l’histoire NBA en 1996. Ultime hommage le 1er décembre 2007 : les Wizards de Washington (anciennement Baltimore) retirent son numéro 10.
Mais ce qui restera de « The Pearl », c’est la virtuosité de son jeu. Son spin-move était parfait et son imagination offensive n’avait aucune limite. Mais il était aussi un joueur très intelligent, arrivé à New York avec l’étiquette de maestro du un-contre-un, et il a réussi à se fondre dans le jeu des Knicks, en devenant l’un des chouchous du Madison Square Garden.
Earl Monroe a ainsi joué de manière très collective, préférant souvent passer le ballon a un coéquipier démarqué, doté aussi d’une meilleure implication en défense, pour soulager Walt Frazier. Un professionnel hors-pair et une légende du jeu…
Statistiques
926 matchs en 13 saisons
18.8 points, 3.0 rebonds, 3.9 passes et 1.3 interception de moyenne
46.4 % aux tirs, 80.7 % aux lancers francs
Palmarès
Hall of Famer
Membre du Top 75 NBA
Champion NBA en 1973
All-NBA First Team en 1969
Rookie de l’année en 1968
All-Star en 1969, 1971, 1975 et 1977