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Portrait | Gary Payton, le gant et le verbe

NBA – Principal artisan du « Sonic Boom » avec Shawn Kemp, Gary Payton (56 ans, ce 23 juillet) eut un impact prodigieux des deux côtés du parquet. Rarement meneur aura paru aussi complet.

« The Glove » est, avec Michael Jordan, Alvin Robertson et Sidney Moncrief, le seul arrière jamais élu Défenseur de l’année. Il put regarder Sa Majesté droit dans les yeux au cours d’une Finale qui vit « MJ » signer sa plus petite moyenne de points à ce niveau de compétition. Dommage que Payton ait eu besoin, pour tutoyer l’excellence, de se nourrir des pires provocations verbales. Le plus grand trash-talker de la Ligue connut la consécration sur le fil, à 37 ans, dans les rangs du Miami Heat.Dans l’imaginaire collectif, la ville de Seattle est associée à la pluie, Boeing, Starbucks, le mouvement grunge, Bill Gates ou encore le Space Needle. Quelques séries télé de renom comme « Grey’s Anatomy » y ont planté leur action. Lorsque Meg Ryan poussa un soupir en découvrant qui se cachait derrière Sam Baldwin dans « Nuits blanches à Seattle », toutes les midinettes de la Terre versèrent leur petite larme. La cité émeraude, c’était aussi, jusqu’en 2008, les Supersonics. Une équipe phare de la deuxième moitié de la décennie 90, portée par l’un des plus formidables duos jamais constitués dans le basket US moderne. A l’époque, Gary Payton et Shawn Kemp faisaient rêver tous les jeunes Américains.

Le point guard de Seattle fut-il le meilleur meneur des années 90 ? C’est la question que posait de manière indirecte Phil Barber dans un article de « Sporting News » paru en septembre 2000. Celui que l’on surnommait « The Glove » avait tout pour lui : il plantait à gogo, défendait comme un mort de faim et se comportait comme un vrai général sur le parquet. Il offrait tout ce que l’on pouvait attendre d’un point guard et fit preuve d’un sens aiguisé de la compétition. Rarement meneur aura paru aussi complet.

Si l’on veut bien consentir à écarter Magic Johnson et Isiah Thomas, plutôt associés aux années 80, et Penny Hardaway qui était davantage un combo guard, l’opposition se limite à deux concurrents : John Stockton et Jason Kidd. Sans doute étaient-ils de meilleurs manieurs de balle et playmakers, rappelle Phil Barber. Mais Kidd a toujours été un shooteur médiocre. Stockton était plus une petite peste en défense qu’une véritable sangsue (appréciez la nuance) et s’il était adroit aux tirs, il était moins prolifique au scoring. Par rapport à ses rivaux, Payton était un attaquant naturel, capable de créer son propre shoot. Il faut remonter à Dennis Johnson (R.I.P.) pour trouver un meneur avec ce profil, étant entendu que Magic et Isiah brillaient d’abord en attaque.

Un caractère forgé sur les playgrounds

Ancien coéquipier de Jerry West chez les Lakers, le Hall of Famer Gail Goodrich estima que Payton était « probablement l’arrière le plus complet jamais vu ». « Gary est le Deion Sanders de la NBA », commentait de son côté Isiah Thomas. « Il est trop rapide en défense… Il est toujours là, il ne bouge pas. Il ne donne pas spécialement l’impression de faire un gros effort, il est simplement là. Vous pouvez éliminer de l’attaque adverse le joueur dont il s’occupe. »

« Quand vous le voyez, vous pensez à des gars avec d’excellentes mains », surenchérissait Kevin Johnson, le meneur des Suns. « Des Maurice Cheeks, des Derek Harper. Gary est comme eux. Mais c’est aussi un grand défenseur, que ce soit en un contre un ou dans le bloc équipe. Il possède les trois caractéristiques. C’est quelque chose de très rare. »

Gary Dwayne Payton naît à Oakland le 23 juillet 1968. Ses parents se prénomment Alfred et Annie. Pour offrir la meilleure vie possible à ses quatre enfants (Gary, Al Jr, Greg et une fille, Sharon), Al occupe trois boulots dans trois restaurants différents et se tape des journées de 20 heures. Il possédera son propre établissement à Fremont. Le petit Gary grandit dans une cité jusqu’à ce que papa remporte 30 000 $ par le biais d’un pari. Il utilise la somme pour faire déménager la petite famille dans un quartier un peu moins déprimant. Alfred s’emploie à protéger ses kids dans une ville qui possède alors une très mauvaise réputation, avec une pauvreté galopante et un taux de criminalité élevé.

« Quand Gary a eu 8 ans, les choses ont commencé à se gâter dans notre quartier », raconta Al. « La drogue a envahi la rue. Pour ceux qui manquaient d’argent, en vendre était la solution la plus facile pour survivre. J’ai juré que cela n’arriverait pas à mon fils. J’ai imposé à Gary un emploi du temps très strict. J’ai voulu qu’il mène une vie saine. Je lui faisais prendre des vitamines, je lui faisais manger ses légumes et je ne voulais pas qu’il traîne dans la rue. »

C’est le même Al qui lui apprit que le respect s’obtient en regardant les gens droit dans les yeux, pas en baissant les siens. Sur sa voiture, Alfred avait fait apposer une plaque d’immatriculation « Mr Mean » (M. Méchant)… Plus tard, il prendra l’habitude de décrocher son téléphone pour appeler le fiston après chaque match NBA jugé médiocre de sa part. C’est de son père que Gary tient cette faculté à intimider son interlocuteur. Les prémices du trash-talking. Il s’agit de conserver une certaine assurance et de ne pas perdre ses moyens face à l’adversité, quelle qu’elle soit. « J’ai un caractère difficile », admit Alfred Payton dans « Sports Illustrated ». « C’est vrai, j’ai appris à Gary comment dévisager quelqu’un, comment prendre l’ascendant… Je lui ai appris à être méchant. »

« Mon père fut mon mentor », confie Gary. « Tout ce que j’ai appris, c’est grâce à lui. » Tout. Surtout en basket. Al et Gary ne se quittent pas. Tout l’entourage du second aura affaire au premier. Tel père, tel fils. Le petit est têtu. Et puis il y a l’exemple de sa sœur aînée Sharon qui n’a pas pour habitude de se laisser faire. « Sur un terrain de softball, elle aurait pu mettre un pain à des garçons… »

Gary se forge un caractère sur les playgrounds des quartiers défavorisés. Ici, l’insulte est facile et le verbe fleuri. Ce n’est pas du Edgar Allan Poe, c’est le langage de la rue. Un bagout d’égout qu’il faut maîtriser un minimum pour simplement exister et ne pas se faire écraser. Cette logorrhée caractérisera le sieur Payton tout au long de sa carrière NBA, le bonhomme comptant parmi les plus grands trash-talkers que le sport professionnel américain ait enfantés. Larry Johnson considérait Gary, Michael Jordan et lui-même comme les trois plus grands trash-talkers de la Ligue dans les années 90. Payton ignore tout simplement la signification du mot « silence ». Sa grande gueule et sa langue bien pendue lui valent le surnom de « The Mouth », utilisé en alternance avec « The Glove » (Le gant).

« Le trash-talking maintient le feu allumé en moi »

Evacuons tout de suite la question du trash-talking. Durant les Jeux Olympiques de Sydney en 2000, l’attitude du trio Gary Payton-Vince Carter-Kevin Garnett parut nauséabonde au possible. On ne comprit pas, notamment dans le camp français, que des basketteurs confirmés et n’ayant plus rien à prouver se la jouent petits caïds de banlieue à coups d’humiliations puériles et de provocations verbales débiles pour ce rendez-vous censé célébrer l’amitié entre les peuples dans le respect et le fair-play. L’attitude de Gary atteignit des sommets de ridicule lors du match USA-Chine : il passa son temps à vociférer des insultes qu’aucun de ses adversaires ne pouvait comprendre…

Payton et Garnett, connus pour ne pas jamais fermer la bouche, se sont maintes fois exprimés sur le sujet. Ils expliquent que cette attitude hostile est dictée par un tempérament de compétiteur ultime, une haine viscérale de la défaite, le besoin d’affirmer sa personnalité et de prendre un ascendant psychologique sur l’adversaire. Ce ne sont pas pour autant des ordures dans la vie. « Quand le match commence, je peux traiter Stephon Marbury de tous les noms. « Motherfucker », « nigger »… Dès que le match est fini, il redevient mon frère pour la vie », déclarait Kevin Garnett.

« Je ne peux pas me taire. Mon jeu se nourrit aussi de ça. Je peux essayer de changer beaucoup de choses mais pas le trash-talking. C’est ce qui maintient le feu allumé en moi. C’est ce qui me donne de l’énergie. Comme le dit mon père, c’est mon jeu. C’est moi. Je peux le contrôler mais je ne dois pas le perdre », expliquait de son côté Gary Payton. « Mon père me disait toujours : « Parle à ton adversaire. Essaie de le sortir du match. » Si vous martelez à un adversaire que vous pouvez le battre, il va peut-être se mettre à le croire. Tout ceci n’est qu’une question de force mentale et j’en ai. Certains joueurs deviennent dingues et en font une affaire personnelle. C’est comme cela que vous les tenez. Ils ne pensent plus qu’à vous. »

Payton a horreur de perdre. Que ce soit au basket, au billard, aux fléchettes, aux cartes, aux dominos ou aux jeux vidéo… Fierté mal placée ? Sans doute. Toujours est-il que la défaite a le don de le mettre hors de lui. Il a besoin de mettre l’adversaire plus bas que terre avant même que la partie ne commence. « Je ne vais jamais trop loin », assurait-il. « Je ne connais pas les joueurs que j’agresse verbalement. J’essaie juste de sortir mon adversaire du match psychologiquement, de le déconcentrer, d’attirer son attention sur moi. Parfois, on m’accuse de faire du trash-talking alors que ce n’est pas le cas. Les arbitres et les spectateurs s’imaginent tout de suite que je suis en train de pourrir mon vis-à-vis. Or, je peux très bien être en train de lui demander comment se porte sa famille… J’ai acquis cette dureté en apprenant à jouer au basket à Oakland. Là-bas, j’ai compris qu’on pouvait être amis avant et après le match. Mais quand la rencontre démarre, seul le business compte. Fini de rigoler. »

Il y a ceux qui désapprouveront le langage digne d’un charretier mais qui salueront le degré d’exigence et l’investissement sans limites du sportif qui arrive sur le terrain avec le couteau entre les dents, prêt à y laisser ses tripes. Et il y a ceux qui seront consternés par un comportement de racaille dans une activité – le sport – censée contribuer à l’équilibre, l’épanouissement, la bonne santé physique et mentale de l’individu. Visée toujours un peu utopique à ce niveau de compétition où l’ego occupe une place au moins aussi importante que le résultat. Surtout quand on brasse des millions de dollars. La NBA ? Bouffer ou se faire bouffer. Ce que Shaquille O’Neal résumait par une formule hilarante : « Dans cette Ligue, tout le monde cherche à écraser l’adversaire. Quelqu’un a réussi à te postérizer ? Tu te tournes vers lui : « Putain, tu m’as planté un dunk sur la tête ??? Attends, j’arrive tout de suite, salope !!! »

Tout aussi hilarant était le commentaire de Michael Cage, coéquipier de Payton à Seattle de 1990 à 94, dans « Sports Illustrated » : « Quand le match se termine et que vous en avez fini avec Gary, vous n’avez envie que d’une seule chose : trouver une bibliothèque, une librairie, un endroit totalement calme pour reposer vos oreilles… »

Avec le temps, les saillies verbales de Gary deviendront un tantinet moins outrancières. Un tantinet seulement… « Je pense avoir grandi et mûri. Bon, je continuerai toujours à l’ouvrir et à la ramener mais je sais mieux me contrôler aujourd’hui, quand baisser le ton. Je ne me soucie pas vraiment de ce que les gens peuvent penser de moi mais je n’ai pas envie non plus de passer pour une grande gueule toute ma vie. »

Toujours dans le collimateur des arbitres, et le meneur historique des Sonics a récolté le 5e plus gros total de fautes techniques derrière le regretté Jerry Sloan (413), Rasheed Wallace (373), Karl Malone (332) et Charles Barkley (329). Preuve que le personnage n’était pas foncièrement mauvais et que sa vulgarité ne se voulait pas nécessairement blessante, Gary se montra capable d’autodérision. Car le bonhomme ne manquait pas d’humour. Plusieurs émissions de télé parodièrent le personnage du chambreur dans lequel il se complut au fil du temps. En 2001 par exemple, on le voyait tenir un speech de motivation à l’intention de la sélection Ouest lors du All-Star Game de Washington. Six ans plus tard, en réaction aux critiques de Charles Barkley sur la qualité de vie à Oakland, il prit une caméra et s’en alla effectuer un micro-trottoir dans les rues de sa vie natale pour s’enquérir de l’opinion des gens sur « Chuck ». Tchatcheur-né, Gary fut un bon client pour les médias américains. On l’invita sur tous les plateaux (Jamie Foxx Show…).

Coéquipier du futur Jazz, Sonic et Laker Greg Foster à la Skyline High School, Payton est déjà une petite terreur. Cette école joue dans l’Oakland Athletic League (O.A.L.), une ligue très dure où les faibles n’ont pas leur place. Sur le terrain comme dans les tribunes, c’est chaud bouillant. Il faut déplacer des forces de l’ordre pour protéger les joueurs et les spectateurs.

« C’était des matches de voyous », expliqua le Californien. « Les joueurs adverses en avaient après vous, les arbitres en avaient après vous, le public en avait après vous. Il fallait répliquer ou alors vous passiez pour une poule mouillée. On vous faisait dégager de cette ligue. Certaines personnes venaient armées. Après les matches, c’était parfois dur de sortir du gymnase… Les policiers devaient se déployer partout. Heureusement qu’ils étaient là. Les patrouilles de flics étaient très régulières dans la ville. Ce sont souvent eux qui nous ont séparés. »

« La gueule d’un mec à problèmes »

Le petit Gary s’éclate beaucoup sur les terrains mais beaucoup moins en classe. L’école le fait clairement suer. C’est un élève infernal qui s’accommode assez mal de la discipline. Une véritable peste. Durant son année sophomore, le coach le suspend à cause de ses mauvais bulletins et de son comportement. Craint par ses adversaires, détesté par ses coéquipiers, critiqué par son entraîneur, Gary prend tout le monde en grippe. La sanction tombe : interdiction de fréquenter toute salle de basket pendant deux mois. « J’ai déconné », admet Payton. « Je me battais souvent, j’étais irrespectueux envers les profs et envers mes coaches, j’avais des embrouilles avec tout le monde. »

Al intervient souvent pour recadrer le fiston, parfois devant ses petits camarades d’école. Pour montrer qu’on ne peut pas se passer de lui, il bosse comme un dingue. Gary n’a pas d’autre choix que de se calmer. Le problème, c’est que sa réputation est faite. Les plus grands coaches universitaires viennent le voir mais repartent illico. Gary se la raconte un peu. Il porte une boucle d’oreille en diamant et des bijoux avec ses initiales. Il se fait une coiffure avec le dollar comme symbole. En coulisses, on le dit un peu timbré. On décrit un basketteur talentueux mais avec un sale caractère, difficilement gérable. Les coaches NCAA ne sont pas très chauds à l’idée d’accueillir une tête de lard. Il en va de la quiétude et de la cohésion même du vestiaire. Endurci par l’expérience vécue sur les playgrounds de la Baie, Gary affiche en permanence un petit air narquois et une moue dédaigneuse qui n’augurent rien de bon. St. John’s University lui propose une bourse avant de se raviser, un peu effrayé par le profil du prospect californien. « Gary avait un sale air. La gueule d’un mec à problèmes », souligne Jim Harrick, ancien entraîneur de UCLA.

Payton prend finalement la direction d’Oregon State University, une fac de la Conférence Pac 10 établie à Corvallis. Il choisit des études en communication audiovisuelle. Le coach, Ralph Miller, est connu pour sa poigne. Il n’a pas pour habitude de laisser ses étudiants lui pourrir la vie très longtemps. Raser les murs est un premier challenge pour Gary. Le second sera de s’investir en défense, lui qui a toujours été naturellement tourné vers l’attaque. On lui fait comprendre qu’il ne gagnera pas sa place dans le cinq s’il joue uniquement d’un côté du parquet.

« Au lycée, je ne pensais qu’à marquer des points », reconnut-il. « J’aimais énormément le jeu de George Gervin. C’est le basketteur que je préférais regarder quand j’étais gamin. Il était si malin… Et comme vous le savez, il ne jouait pas en défense. Il ne faisait strictement rien en défense. »

L’investissement du kid d’Oakland se matérialise en 1987 par deux titres de « Freshman de l’année » et « Défenseur de l’année » de la Pac 10. Première saison conclue sur une moyenne de 12.5 points, 4 rebonds et 7.6 passes. Ses 229 offrandes sont le sixième total le plus élevé pour un joueur de première année en NCAA. Durant la deuxième année, ses notes en classe piquent du nez. La sanction tombe : inéligibilité. Alfred intervient personnellement. Gary est invité à s’intéresser à ce qui se passe en cours. Il obtient de réintégrer l’équipe. Sa production offensive augmentera régulièrement, passant à 14.5, 20.1 puis 25.7 points par match lors de sa saison senior, en 1989-90. Le 5 mars 1990, Gary fait la Une de l’hebdomadaire spécialisé « Sports Illustrated » avec un titre explicite : « The player of the year. Oregon State do-everything say-anything Gary Payton »

All-American à l’unanimité, Payton totalise trois sélections dans le cinq All-Pac 10. Il sera également retenu dans l’équipe de la décennie de la Conférence. Gary quitte Oregon State avec le meilleur total de points (2 172), le meilleur total de passes (938), le meilleur total d’interceptions (321) – le seul qui tienne encore – et le meilleur total de paniers primés (178) de la fac. Sa dernière saison fut très significative : le meneur des Beavers délivra 235 passes tout en chipant 100 ballons. S’il fut désigné « Joueur universitaire de l’année » par « Sports Illustrated », Lionel Simmons, l’ailier senior de LaSalle, lui fut préféré pour le trophée John Wooden qui récompense le meilleur basketteur NCAA. Dans un match face à South Carolina, Payton planta 58 points, à trois longueurs du record de la Conférence Pac 10 détenu par Lew Alcindor (futur Kareem Abdul-Jabbar). Son entraîneur déclara : « C’est la plus belle démonstration de basket que j’aie jamais vue dans toute ma carrière ».

Chassez le naturel, il revient au galop. Au cours d’un match, Payton demande un temps mort, se dirige vers le banc adverse et balance au coach : « Veux-tu bien trouver quelqu’un dans ton équipe qui puisse défendre sur moi ? »

Intenable, la petite peste se révèle une merveille de basketteur. « Durant ma première saison à la fac, j’étais bien », commenta Gary. « Durant la deuxième, j’ai progressé. Durant la troisième, j’étais sur le chemin d’une nomination comme All-American. Et durant la quatrième, boum ! Je suis devenu « M. Everything ». J’ai adoré toutes ces années chez les Beavers. Si j’étais parti à New York, j’aurais peut-être été All-American deux ans plus tôt mais qui sait ce que j’aurais connu dans une ville aussi grande ? Ici, j’ai eu une vie tranquille. Je me suis assagi, j’ai beaucoup dormi, j’ai commencé à prendre soi de moi, de mon corps et de mon hygiène. Le trash-talking et les embrouilles, ça s’est calmé aussi. A ce niveau, c’est tout pour la compétition. »

Ralph Miller apprécia la mutation de son meneur qui n’allait toutefois pas tarder, au niveau supérieur, à retrouver ses réflexes et ses pulsions les plus primaires… « Le côté trash-talker de Gary était une vraie préoccupation pour nous. Mais ça fait quasiment partie de son style. Vous ne pouvez pas retirer ça sans défigurer le basketteur et trahir sa nature profonde. Cette forme d’arrogance et de suffisance est ce qui le rend aussi nocif dans le jeu. »

Tout le monde ne prend pas ombrage de ses agressions verbales. Eldridge Recasner, passé à la postérité pour avoir été le passager malheureux de Derrick Coleman, défendit cette forme d’outrance et d’offense faite au jeu parce qu’elle y injectait une intensité et une dureté supplémentaires.

« Gary n’a jamais blessé quelqu’un en faisant du trash-talking », expliqua l’arrière de l’université de Washington. « C’est son caractère de battant qui le pousse à déborder. Mais au fond, il ne pense pas un mot de ce qu’il dit. Il n’est jamais impliqué dans des bastons parce qu’il ravale chaque mot prononcé de travers. »

Malheureusement pour la fac, l’équipe ne fit jamais long feu dans le tournoi NCAA sous l’ère Payton. Trois fois de suite, entre 1988 et 1990, elle disparut au premier tour, face à Louisville, Evansville et Ball State. Gary fera son entrée au Hall of Fame de l’université le 25 juillet 1996, en même temps que A.C. Green. Son maillot sera retiré le 25 octobre suivant. « Un jeune homme comme moi dans un Hall of Fame ? Je ne sais pas quoi en penser », disait-il à l’époque. « Mais c’est un truc énorme. Je pense avoir fait un excellent choix en allant à Oregon State. »

En juin 1990, le natif d’Oakland (1,93 m, 82 kg) est drafté en deuxième position par les Supersonics, derrière Derrick Coleman. C’est le choix le plus élevé dont a jamais bénéficié la franchise. Seattle sort alors d’une saison à 50% de victoires, sans playoffs. Durant sa première année dans la Ligue, l’ancien Beaver tourne à 7.2 points, 6.4 assists et surtout 2 interceptions sur 27.4 minutes. Il dispute l’intégralité des matches, tous démarrés comme starter. Parmi les débutants, il finit meilleur passeur et intercepteur. Il est retenu dans le deuxième cinq des rookies avec Chris Jackson (futur Mahmoud Abdul-Rauf), Felton Spencer, Travis Mays et Willie Burton mais ne balaie pas les doutes de tous ceux qui considèrent que Seattle a commis une grosse erreur en le retenant aussi haut. Son adaptation à la NBA fut laborieuse et il eut du mal à assimiler les consignes du nouveau coach des Sonics, K.C. Jones.

« Quand j’ai quitté le college, j’ai cru que les choses allaient continuer de rouler toutes seules. Seulement, j’ai été contraint de développer un type de basket qui ne me convenait pas du tout. J’étais incapable de jouer à un rythme aussi lent. Le coach n’avait pas confiance en moi. Sur un plan psychologique, j’étais en faute. J’ai prêté le flanc à la critique. Je me suis remis en question. Cet été-là, je suis retourné chez moi, à Oakland, et j’ai remis l’ouvrage sur le métier. Je pensais que c’était foutu. Un an dans la Ligue et déjà la fin de l’aventure Je me voyais baladé d’équipe en équipe. »

Difficile à croire quand on se remémore sa première conférence de presse. A la presse incrédule, il déclara : « Ne vous inquiétez pas. Dans quelques années, on dira que Magic Johnson jouait comme un certain Gary Payton »

Michael Jordan : « Toi, tu achètes des Ferrari. Moi, on me les offre ! »

On croit rêver… Prétentieux et arrogant, il justifiait les attaques de ses détracteurs formulées le soir de la Draft. Si on louait le joueur capable de donner le tournis à n’importe quel arrière, on vomissait le petit « branleur » capable de prendre la tête à tout le monde. Durant ses deux premières années chez les pros, Gary apprend le sens du mot « modestie ». Il ne fait plus peur. Il a beau parler, il y a toujours plus fort que lui en face.

En 1990-91, pour la deuxième saison de suite, Seattle équilibre son bilan (41-41). Défaite 3-2 face à Portland au premier tour des playoffs. Durant l’été, Payton troque le n°2 contre le n°20. L’exercice suivant est fatal à K.C. Jones, viré le 16 janvier 1992 après une série de trois défaites. L’équipe affiche alors un 18-18. Kip Motta, assistant, prend lui aussi la porte. Bob Kloppenburg assure l’intérim jusqu’à la nomination de George Karl. L’arrivée au sein du staff de Tim Grgurich est déterminante pour la progression du meneur sophomore. Gary affirme lui devoir son futur statut d’All-Star. Grgurich coacha l’université de Pittsburgh de 1975 à 1980 et entraîna brièvement UNLV en 1994-95. Avant de prendre en charge les Panthers de « Pitt », il officia comme assistant de Charles Ridl. A son départ de Pennsylvanie, il rejoignit les Running Rebels et leur apporta les schémas défensifs de Ridl. Les équipes de feu Jerry Tarkanian, réputées intraitables, durent beaucoup à la « ameoba defense » qui génère des steals et des contre-attaques.

« Tim est la personne qui a transformé mon jeu », expliqua Gary. « Nous avons laissé filer la deuxième partie de la saison. Je me suis repris mais j’avais l’esprit un peu chamboulé. Je n’étais toujours pas convaincu d’avoir le niveau pour évoluer dans cette Ligue. »

Au lendemain d’une élimination face au Jazz (4-1) en demi-finales de Conférence Ouest, au printemps 1992, Grgurich invite Payton chez lui, dans l’Utah. Pas seulement pour bosser. Ils refont le monde, parlent de tout et de rien. Tim lui montre des vidéos de ses matches à Oregon State. Gary refait peu à peu le plein de confiance. Grgurich le fait bosser sur les fondamentaux – l’équilibre du corps, la position des jambes, la répétition des gestes – avant d’attaquer les moves post-up. Ce travail portera ses fruits au bout de 3 ou 4 ans. En 1994-95, Payton passera la barre des 20 points de moyenne avec une adresse royale (50.9%).

« Durant le premier été, nous avons marché et parlé pendant des heures », raconte Gary. « Notre seul sujet de discussion, c’était mes années chez les Beavers. Tim n’a pas changé mon shoot. Tout ce qu’il a fait, c’est regonfler ma confiance. Avant, à chaque fois que je shootais, je pensais que ça ne rentrerait pas. Maintenant, à chaque fois que j’arme mon tir, je suis convaincu que la balle va finir dans le panier. Je me fiche de manquer sept ou huit tirs de suite, je sais que ça va finir par sourire. »

On rapporte une anecdote savoureuse au sujet de la saison sophomore de Payton. Gary se veut l’égal des meilleurs mais il ne l’est pas encore. Un soir, il met Michael Jordan dans sa poche. Le lendemain, il est dans le bureau du boss pour renégocier son contrat à la hausse. Banco. Quelques jours plus tard, « MJ » est de retour en ville. Par presse interposée, Payton lui promet un régime minceur au tableau d’affichage. Il lance à Mike : « Je viens de signer mon contrat, je vais m’acheter une Ferrari comme toi ».

Jordan, sur la voie d’un deuxième titre NBA, lui rétorque : « Toi, tu les achètes. Moi, on me les offre ! »

C’est vache… D’autant que, l’air de rien, « MJ » lui passe 40 points. Gary est secoué. Dur, dur de jouer dans la cour des superstars. Les progrès de l’équipe emmenée par Ricky Pierce, Shawn Kemp et Eddie Johnson se matérialisent en 1992-93 par une 2e place dans la division Pacific (55-27) et une finale de Conférence intense contre le champion de la poule, Phoenix. Le suspense reste entier jusqu’au Match 7, perdu 123-110 dans l’Arizona. C’est dans cette série que Gary Payton gagne son surnom « The Glove » (le Gant). Le meneur des Sonics a l’air d’envelopper ses adversaires directs. Au cours de la finale face aux Suns, il reçoit un coup de fil d’un cousin admiratif devant le boulot qu’il réalise sur le meneur adverse : « Tu tiens Kevin Johnson comme un gant tient une balle de baseball ».

Ce surnom ne le quittera plus, d’autant que Gary a toujours l’air de caresser la gonfle et de shooter avec beaucoup de toucher. En 1993-94, il passe deuxième meilleur marqueur des Sonics derrière le « Reign Man » (16.5 pts, 6 pds, 2.3 ints). Courant février à Minneapolis, le n°20 fête la première de ses neuf sélections pour le All-Star Game. Après avoir piqué sa crise et dénoncé une persécution, il est intégré dans la liste à l’Ouest. « Je voulais être All-Star et je le méritais. Je veux gagner un titre. Je veux être une star du basket. »

Les Sonics, bande d’allumés joyeux et chambreurs

Pour le titre, Gary devra encore transpirer. La route est longue. Et la rue ne reconnaît plus le gamin d’Oakland. Un an plus tôt, il faillit y laisser sa vie. Il profita du All-Star break pour retourner chez lui, couvert de bijoux scintillants et plein de pognon dans sa BMW. Un luxe tapageur, déplacé. Toujours aussi frimeur, Gary passe dans son quartier avec sa fiancée pour faire un coucou à sa famille et à ses amis. La nouvelle fait le tour de la ville. Les braqueurs sont sur sa piste. On le guette… Un pote l’interpelle au coin d’un immeuble. Il y va comme au bon vieux temps. Erreur. Le gus est armé d’un gros calibre. Il le met sur la tempe du Sonic, le dépouille de sa Rolex, de ses bijoux en or, de son argent liquide. Dans un réflexe, Payton se dégage et court en zigzaguant. Des balles sifflent autour de lui.

Au terme de la saison 1993-94, il sera retenu dans le troisième cinq All-NBA et surtout dans le premier cinq défensif, performance qui se répétera à neuf reprises. Un record seulement partagé par Sa Majesté Jordan. L’arrivée de l’ailier allemand Detlef Schrempf booste, si besoin était, l’attaque des Sonics qui se maintient dans le Top 5 de la Ligue. Seattle s’assure confortablement la pole position (63 victoires, 5 de plus que le 2e) et se présente comme le favori pour le titre. En contre-attaque, les passes millimétrées de Payton font merveille, surtout avec un ailier aussi véloce, explosif et aérien que Shawn Kemp. Les deux gus forment l’un des duos les plus fabuleux de l’histoire du basket. « Gary et moi, c’est une bonne combinaison », explique le « Reign Man ». « Son jeu a vraiment fait un bond en avant ces deux dernières années. J’adore jouer avec lui. Je n’aimerais vraiment pas l’avoir comme adversaire. »

George Karl trouve une formule irrésistible : « On a parfois envie de lui rentrer dedans mais il emmerde quand même plus nos adversaires que nous ».

Rien ne semble pouvoir stopper l’irrésistible ascension des Sonics. C’est une bande d’allumés qui font peur. Joyeux, chambreurs, adeptes d’un basket tout en mouvement, sans véritable pivot et avec une défense propre mais d’une férocité incroyable. Payton n’a jamais été aussi bavard et frimeur. On n’entend que lui. Sur le terrain, dans les vestiaires, à la télé. Faire le pitre, c’est son dada. Mais Seattle entre dans la légende par la petite porte et plus personne ne rigole. Denver, tête de série n°8 sans véritable star, crée l’une des plus grosses surprises de l’histoire en sortant le n°1 de la Ligue au premier tour des playoffs, après deux victoires en prolongation dont une à la Key Arena dans le Game 5. On revoit encore Dikembe Mutombo étendu sur le parquet, ivre de bonheur. Après l’élimination, Gary prend la feuille de stats. Il l’épluche longuement et sort le bazooka. « Eh, toi ! Tu n’as pas pris assez de shoots. Tu as le temps de repartir à la salle avant qu’on n’éteigne les lumières. »

Chacun en prend pour son grade. Même le coach. Trop, c’est trop. « Ferme-la ! », crie le boss de la franchise.

Mais Gary a déjà entendu cette supplique des centaines de fois. Sur le parquet comme dans son quartier d’enfance. Il ne s’est jamais exécuté. « Nous avons tous été nuls aujourd’hui. C’est une honte. Avoir bossé toute la saison pour en arriver là, c’est lamentable. Je serai un jour champion NBA. Sans vous. »

Silence pesant. Payton a 25 ans. C’est sa quatrième saison en NBA. Le basket, c’est sa raison de vivre. La majorité de ses copains d’enfance sont dans une prison à Oakland. Ils ont plongé pour avoir dealé. Lui doit tout au basket. Pour Gary, cette cuisante défaite est un coup de massue monumental. « Plus d’un mois après l’élimination, je n’étais toujours pas retourné à Oakland », raconta-t-il. « Je suis resté à Seattle et j’ai longuement réfléchi à ce qui s’était passé. »

Dominé par Nick Van Exel et Robert Pack…

En février 1995 à Phoenix, pour son deuxième All-Star Game, le meneur des Sonics termine 2e dans l’élection du MVP derrière Mitch Richmond. Dans la victoire 139-112 de l’Ouest, il se loupe aux tirs (6 pts à 3/10) mais cumule 15 passes décisives. Pour la première fois, il dépasse les 20 points de moyenne en saison régulière (20.6 pts, 3.4 rbds, 7.1 pds). Dans sa cinquième année NBA, il apparaît comme l’un des meilleurs point guards de la Ligue.

« Souvent, il s’amuse avec ses adversaires directs », commente son coéquipier Nate McMillan dans « The Oregonian ». « Il a incroyablement progressé ces deux dernières années. Sa confiance en lui est extrêmement élevée. Avec lui, les choses ont paru faciles cette saison. »

Mais il manque toujours un petit truc comme en témoigne une élimination (3-1) face aux Lakers au premier tour des playoffs, au terme d’un exercice marqué par 57 victoires. Ce revers est doublement humiliant pour Gary, retenu dans le deuxième cinq All-NBA. Coup sur coup, il vient de se faire dominer par Robert Pack et Nick Van Exel qui sont de bons meneurs mais qui ont objectivement une ou deux classes de moins (surtout Pack). Payton part se ressourcer en famille. Il discute longuement de cet échec avec son père.

« Il m’a remis les idées en place. Il m’a reparlé de ses colères passées. Ma réaction à l’époque, c’était d’aller prendre l’air puis de bosser deux fois plus dur. Il m’a dit que si George Karl était toujours sur mon dos, c’était pour mon bien. Le coach se souciait de moi, il voulait m’aider. Il m’a rappelé que ça se passait aussi comme ça avec Ralph Miller à Oregon State. L’un et l’autre essayaient d’emmener l’équipe à un niveau supérieur, c’est tout. »

L’arrivée du shooting guard Hersey Hawkins au cours de l’été 1995 se révèle déterminante. Hawkins, échangé contre Kendall Gill, apporte le soupçon d’expérience et de sagesse qui faisait défaut à un groupe trop souvent ouvert aux caprices, aux enfantillages et aux crises d’ego. Hersey est un bon défenseur et un shooteur adroit de loin. Detlef Schrempf et Sam Perkins ne sont pas maladroits non plus. Et comme la connexion Payton-Kemp tourne à plein régime, cela donne une saison à 64 victoires pour les Sonics, n°1 à l’Ouest.

A titre personnel, Gary (27 ans) atteint une forme de plénitude dans son jeu. Il ne se contente plus d’un rôle de chien de garde, c’est désormais un meneur archi-complet. Epatant en attaque (19.3 pts), effrayant en défense (2.9 ints, n°1 NBA), précis à la passe (7.5 assists, meilleure moyenne en carrière). Le n°20 de Seattle fait main basse sur le titre de Défenseur de l’année qui échappe traditionnellement aux arrières. C’est le premier guard ainsi distingué depuis Michael Jordan en 1988 et le premier meneur. Payton s’autoproclame meilleur point guard de la Ligue. Il n’est pas loin de la vérité. John Stockton, retenu comme lui dans le deuxième cinq All-NBA, est plus un cerveau du jeu et Penny Hardaway un combo guard. Après 6 ans en NBA, le natif d’Oakland fait partie des figures incontournables de la Ligue. Il a mis Seattle sous sa coupe. Le patron, c’est lui.

« Je dirige un peu mieux l’équipe que ces deux ou trois dernières années », commente-t-il dans « Sporting News ». « Je l’admets sans problème : je suis plus sérieux. Plus productif. On me voit plus sur le parquet, pas pour épater la galerie ou pour palabrer sans fin mais pour faire toutes les petites choses qui ont réellement de l’importance. »

Coup de balai sur les Rockets, double champion en titre !

Le « Sonic boom » se confirme en playoffs avec une qualification rapide face aux Kings (pourtant vainqueurs du Game 2 à la Key Arena) 3-1 et surtout un sweep infligé au double champion sortant, Houston. Rien à faire : chez Gary, chambrer est une seconde nature. Après la victoire 114-107 en prolongation dans le Game 4, il tourne en ridicule la formule utilisée par Rudy Tomjanovich un an plus tôt : « Ne surestimez jamais le cœur d’un champion fatigué… »

« Rudy T » ne peut que s’incliner devant le génie de son vainqueur : « Gary est la clé de tout ce que les Sonics entreprennent. C’est le moteur de leur attaque par sa façon de pénétrer et de pousser la balle. C’est lui aussi qui donne le ton en défense, qui dicte le degré d’agressivité avec lequel Seattle vous prend à la gorge. »

La finale de Conférence Ouest 1996 face au Jazz fait saliver tous les observateurs. Elle offre au meneur des Sonics l’adversaire direct le plus redoutable du moment, celui qui se classera meilleur passeur et intercepteur en carrière. Entre Gary Payton et John Stockton, ce n’est pas le grand amour. Pour Gary, c’est physique : la gueule du meneur du Jazz ne lui revient tout simplement pas… Toujours bien rasé, poli et propre sur lui, Stockton est l’antithèse de la star NBA. C’est un bonhomme tranquille, sans histoires, qui prend soin de sa petite famille et va à la messe tous les dimanches. Sur le parquet en revanche, le père John n’a rien d’un saint. Sa compréhension du jeu est innée. Son sens du vice aussi. Mais dans cette opposition de caractères, il y a aussi une certaine forme de respect. Payton considère Stockton comme son adversaire le plus coriace. Pour autant, il ne lui envie rien. Il n’a rien à envier à personne, d’ailleurs. Enfin, si : le crossover de Tim Hardaway le laisse rêveur…

Après sa victoire 88-86 à Salt Lake City le dimanche 26 mai 1996, Seattle mène 3-1 et semble avancer tranquillement vers la troisième Finale NBA de son histoire. Mais Utah résiste. Le Jazz prend le Match 5 après prolongation sur le terrain de son adversaire (98-95) puis égalise à 3-3 en réussissant un blow out (118-83). Le Game 7 a lieu le dimanche 2 juin à la Key Arena. Cela fait six jours que Chicago a décroché son billet à l’Est (sweep contre Orlando). Les mormons sont au bout du rouleau. Karl Malone (22 pts) shoote à 36.4%, Bryon Russell (13) et Jeff Hornacek (10) à 30%… En face, aucun joueur du cinq Payton-Hawkins-Schrempf-Kemp-Perkins n’est en dessous des 50% aux tirs. Stockton remporte son duel (22 pts à 21 ; 8 rbds à 6 ; 7 pds à 5 ; 4 ints à 1) mais Seattle s’impose de 4 points, 90-86, et avance jusqu’aux Finales NBA.

On promet l’enfer aux Sonics face à la meilleure équipe de l’histoire (72-10), comme le résume une Une de « Sports Illustrated » barrée d’un « Mission: impossible ». La légende précise : « Votre tâche, M. Payton, est d’arrêter les Bulls. Bonne chance, Gary. »

Ce Chicago-Seattle offre un affrontement de rêve entre deux joueurs qui se ressemblent en bien des points. Compétiteurs-nés, Michael Jordan et Gary Payton partagent la même dureté, le même degré d’exigence, le même instinct guerrier. Le second n’a rien à envier au premier sur le plan mental. On l’a dit : ce sont les seuls arrières auréolés du titre de « Défenseur de l’année ». Payton rend 6 cm à Jordan mais il est tout à fait apte à défendre sur lui. Il est suffisamment véloce, athlétique, agile, robuste – et malin – pour cela. Il possède de longs bras et des mains agiles et rapides. Et puis on le dit fort comme un bœuf…

Les Bulls n’ont lâché que 10 matches en saison régulière, donc, mais aussi un seul match en playoffs (le Game 3 de la demi-finale de Conférence Est face aux Knicks et encore, en prolongation). La démonstration se poursuit en Finales avec trois victoires 107-90, 92-88 et 108 à 86. Un peu partout aux Etats-Unis, on s’interroge pour savoir si Chicago n’aligne pas tout simplement la meilleure équipe de tous les temps. Seattle est au bord du K.-O. Gary Payton étouffe sous la défense rugueuse de Ron Harper qui l’a empêché à chaque fois d’atteindre la barre des 20 points. Mais les Sonics refusent d’abdiquer. Le capitaine de l’équipe, Nate McMillan, montre l’exemple en tenant sa place malgré un dos douloureux.

Ça ne rigole plus pour Michael Jordan

George Karl demande à Payton de s’occuper personnellement du cas Jordan. Les Matches 4 et 5 se soldent par une victoire de Seattle avec un Gary à 21 et 23 points et un « MJ » limité à 31.6% aux tirs dans la quatrième manche. Pour un total de 23 points, son plus petit dans un rendez-vous des Finales. Les chiffres ne trompent pas : durant ses trois premières Finales NBA, le n°23 des Bulls avait tourné à 36.3 points de moyenne, atteignant la barre des trente 14 fois sur 17. En 1996, il tourne à 27.3 points et n’atteindra cette barre des 30 qu’une fois, dans le Game 3. Dans la cinquième manche, « Air Jordan » doit se contenter de 26 points (et seulement 2 dans le quatrième quart-temps), son deuxième plus mauvais total. Ses 22 dans la sixième constitueront un nouveau « record »… Aucune autre équipe ne parvint à le limiter sous la barre des 30 unités plus de deux fois. « Si nous sommes capables de jouer comme nous l’avons fait sur les deux derniers matches, nous avons une chance de les battre », clame le n°20 des Sonics après le Game 5.

Blessée dans son amour-propre, Sa Majesté refusa d’accorder un quelconque crédit au principal responsable de ses tourments. « Personne ne peut m’arrêter. Moi seul peux m’arrêter. J’ai loupé des tirs faciles, c’est tout. »

Le dimanche 16 juin, Chicago accueille le Game 6. Payton joue 47 minutes. Jordan est dans un mauvais soir aux tirs (5/19) mais il se rattrape aux lancers francs (11/12). Et surtout, Dennis Rodman capte 19 rebonds, dont 11 offensifs. C’en est trop pour une équipe de Seattle dominée dans tous les compartiments du jeu et peu inspirée derrière l’arc (20.8%). Payton termine la soirée avec 19 points, 4 rebonds, 7 passes et 2 interceptions. Les Bulls sont champions pour la quatrième fois sous l’ère Jordan. « The Glove » termine la série avec une moyenne de 18 points (à 44% et 33.3% à 3 pts), 6.3 rebonds, 7 passes et 1.5 interception. « On leur tire tous notre chapeau », déclare le meneur des Sonics. « Ils ont fait du très bon boulot et je les félicite sincèrement pour leur victoire. »

A la télé, Bill Walton souligne ce que tout le monde a constaté de visu : dans la deuxième partie de la série, le n°20 des Sonics a contenu « MJ », auteur de ses plus petits scores à ce niveau de compétition (23, 26 et 22 pts donc). George Karl regretta ouvertement de ne pas avoir mis son meneur sur le dos du n°23 chicagoan dès le coup d’envoi de la Finale.

L’année s’achève sur une bonne note. USA Basketball invite Gary Payton à représenter la nation lors des Jeux Olympiques qui ont lieu à Atlanta. Payton n’était pas censé faire partie de la « Dream Team III ». Glenn Robinson, victime d’une blessure au tendon d’Achille, dut céder sa place. Michael Jordan n’est pas là mais Lenny Wilkens, le coach, n’a pas à se plaindre du matos mis à sa disposition (Shaq, Olajuwon, Barkley, Pippen, Malone, Stockton, Robinson, Penny Hardaway…). Les USA remportent aisément leur poule avant de dégommer le Brésil (98-75), l’Australie (101-73) et la Yougoslavie (95-69).

Les mœurs ont bien changé : au milieu des années 90, être free-agent n’empêche pas de participer à une grande compétition internationale. Gary est libre. New York le veut. Miami aussi. Il estime que Seattle est l’équipe la plus proche du titre NBA dans cette configuration-là. Aussi, il décide de prolonger son séjour dans l’Etat de Washington. Montant de son nouveau contrat : 85 millions de dollars sur 7 ans. Comme pour justifier la montagne de billets verts formée à ses pieds, le Californien signe sa meilleure saison NBA (21.8 pts, 4.6 rbds, 7.1 pds, 2.4 ints). Elle lui vaudra une troisième citation dans le deuxième cinq All-NBA.

Malheureusement, l’équipe commence à traverser une zone de fortes turbulences. Shawn Kemp ne joue pas à son véritable niveau. Champion de la division Pacific (57-25) pour la deuxième année de suite, Seattle a besoin de cinq matches pour sortir Phoenix, orphelin de Charles Barkley, au premier tour des playoffs. Un an après un sweep embarrassant, Houston prend sa revanche en demi-finales de Conférence (4-3). Ce n’est rien en comparaison du venin qui s’est propagé dans les veines de l’équipe. Kemp fait la gueule, miné par ses problèmes d’alcool, agacé par le refus opposé à ses demandes d’augmentation et excédé par les 35 millions de dollars offerts à Jim McIlvaine. Il va au clash avec la direction des Sonics et demande à être transféré. Requête satisfaite le 25 septembre 1997 avec un trade à trois équipes expédiant l’indélicat à Cleveland. Chez les Sonics, il est remplacé par Vin Baker, triple All-Star sous le maillot de Milwaukee. Dans un premier temps, cet échange apparaîtra profitable. Kemp parti, Payton (29 ans) s’impose comme le leader indiscutable d’un vestiaire qui accueille un revenant, Dale Ellis, vu chez les Sonics entre 1986 et 91.

« Cette année, je serai plus que le patron de l’équipe. J’essaierai d’obtenir que tout le monde se sente impliqué à 100%. »

Le n°20 de Seattle a entretenu des relations orageuses avec son entraîneur au fil des ans. Mais George Karl est bien contraint d’admettre que « The Glove » est un joueur à part. Au terme de l’exercice 1997-98, il sera retenu dans le meilleur cinq de la Ligue aux côtés de Michael Jordan, Karl Malone, Tim Duncan et Shaquille O’Neal. « Gary n’a pas un super shoot, il n’est pas hyper rapide, il ne possède pas un excellent jumper et ce n’est pas non plus le meilleur manieur de balle de la Terre. Mais c’est un winner dans l’âme », explique l’entraîneur des Sonics à « The Oregonian ». « C’est un battant, un gagneur. John Stockton est un meilleur playmaker. Il y a de meilleurs meneurs shooteurs que lui dans cette Ligue. Mais si on fait la somme de ce qu’il apporte en défense et sur tous les autres plans, c’est le meilleur point guard en NBA. » « Je ne pourrais imaginer meilleur 1 pour cette équipe », ajoutait-il dans « Sports Illustrated ». « Il y a de formidables meneurs dans cette Ligue mais personne que je préférerais voir à la place de Gary. »

Au moment du All-Star break 1998, l’équipe est nantie du meilleur bilan de la Ligue (37-10) mais elle doit finalement partager la tête de la poule Pacific avec les Lakers (61-21) et s’incline nettement face à ces mêmes Lakers en demi-finales de Conférence (1-4). Le lock-out fait très mal à l’équipe de la cité émeraude. Au départ de George Karl pour Milwaukee s’ajoute la lente descente aux enfers de Vin Baker qui prend quelques libertés avec la balance et la bouteille. A 30 ans, Gary Payton termine meilleur scoreur (21.7 pts) d’une franchise qui équilibre son bilan (25-25) mais loupe les playoffs pour la première fois depuis 1990. Une première aussi pour « The Glove » en 9 ans de NBA.

Au cours de l’été 1999, le vestiaire des Sonics accueille quelques nouvelles têtes : Brent Barry, lui aussi sorti d’Oregon State, Ruben Patterson, Vernon Maxwell, Horace Grant… Rashard Lewis attaque son année sophomore. Seattle se classe 7e d’une Conférence Ouest (45-37) qui attend l’explication au sommet entre deux rosters hollywoodiens, celui des Lakers et celui des Trail Blazers. Gary Payton est retenu pour la deuxième fois dans le premier cinq NBA (avec Jason Kidd, Kevin Garnett, Tim Duncan et le Shaq) mais Seattle n’a pas sa place dans ce casting de rêve. Utah non plus. La paire Stockton-Malone a laissé passer son ultime chance de remporter le titre l’année précédente. Le Jazz se paie Seattle au premier tour des playoffs (3-2) avant de s’incliner pour la deuxième année de suite face à Portland en demi-finales de Conférence (4-1).

Durant l’été, « The Glove », co-capitaine de la sélection américaine avec Jason Kidd et Alonzo Mourning, décroche à Sydney une deuxième breloque olympique dans les conditions que l’on sait. Les USA se font une grosse frayeur face à la Lituanie en demi-finales (85-83) avant de battre la France de 10 points (85-75) pour s’adjuger leur troisième titre des J.O. consécutif et le douzième en 14 participations. Avec 16 points de moyenne, Payton avait terminé meilleur scoreur US lors du Tournoi des Amériques 1999 à Porto Rico, qualificatif pour la XXVIIe Olympiade. Les Etats-Unis avaient remporté la compétition en gagnant leurs dix matches.

Jason Kidd, l’ami de 30 ans

Parmi les médaillés « australiens » figurait une vieille connaissance. Aîné d’une famille de six enfants, Jason Kidd vit le jour à San Francisco. Il grandit dans un quartier d’Oakland réservé à la classe moyenne et joua au basket sur les playgrounds du coin. C’est là qu’il rencontra Gary. Dans la ville chère aux Pointer Sisters, le basket donna naissance à une amitié indéfectible. Kidd a toujours considéré Payton comme son mentor. Comme toute personne originaire de « Frisco », ils vibrèrent aux exploits de Joe Montana, le quarterback des 49ers. Gary eut également un faible pour les Giants, l’équipe de baseball locale. Et une certaine admiration pour son homonyme de NFL. Il considère sa rencontre avec Walter Payton, le coureur légendaire des Chicago Bears décédé en 1999, comme l’une des plus belles de sa vie.

De 2000 à 2002, les Sonics restent dans le positif (44 et 45 victoires) sans voir la couleur d’une demi-finale de Conf’ (défaite 3-2 contre San Antonio au premier tour des playoffs 2002). A 33 ans, Gary est encore un homme frais. Il a disputé 82 matches et 40.3 minutes par rencontre, rapportant 22.1 points, 4.8 rebonds et 9 passes. Comme A.C. Green, autre ancien d’Oregon State, Payton est un authentique « iron man ». Un homme de fer dont la longévité ferait rêver tous les Greg Oden et les Yao Ming de la Terre. On en vient à se demander, avec le recul, comment le meneur des Sonics a pu disputer 1 335 matches sur 1 362 entre 1990 et 2007, auxquels il faut ajouter 9 All-Star Games, 154 rencontres de playoffs et deux campagnes avec la sélection américaine…

Du 16 janvier 1992 au 13 mars 1996, il joua 354 matches consécutifs. Entre le 18 mars 1996 et le 17 janvier 2001, 356. S’il n’avait pas fait sa mauvaise tête, le Californien aurait évité quelques suspensions et passé encore plus de temps sur les parquets. « The Glove » n’est pas une chochotte ni une poule mouillée. Il possède un cœur énorme et une faculté de résistance inouïe. Autrement dit, il faut plus qu’une blessure pour le dissuader de se mettre en tenue. Sur la décennie 90, seul Karl Malone joua plus que lui et depuis 1990, date de son arrivée sur le circuit, aucun autre joueur n’a passé autant de minutes sur un terrain.

« La résistance et la longévité ont toujours été l’un des points forts de Gary », écrivait « Sporting News ». « Il a manqué seulement deux matches en 10 ans (ndlr : de 1990 à 2000) et on a quasiment toujours pu compter sur lui pour une débauche d’efforts totale sur presque toute la durée d’un match, malgré des douleurs récurrentes au dos qui nécessitaient des séances de stretching intense et l’application régulière de poches de chaleur. »

Le février 2003, un blockbuster trade expédie Gary Payton (20.8 pts, 8.8 pds) et Desmond Mason chez les Bucks, où le premier retrouve George Karl. Seattle récupère Ray Allen, Flip Murray, Kevin Ollie et un premier tour de Draft 2003 (utilisé pour retenir Luke Ridnour). Pourquoi ce trade après 12 ans et demi de vie commune ? Le contrat du meneur des Sonics, alors âgé de 34 ans, expirait en fin de saison. Rick Sund, le GM des Sonics, ne voulait pas voir filer un joueur neuf fois All-Star sans contrepartie. Aussi, quand on lui proposa l’un des shooteurs les plus purs de la Ligue, trois fois All-Star, plus jeune de 7 ans et meilleur scoreur de Milwaukee avec 21.3 points de moyenne, il n’hésita pas une seconde… Payton était également dans le viseur des Pacers.

Le départ de Ray Allen libère le spot de shooting guard des Bucks pour Michael Redd mais l’arrivée du double champion olympique bouche subitement l’horizon de Sam Cassell… Ce trade fait un autre déçu : Nate McMillan, l’actuel coach des Pacers et coéquipier du n°20 dans le backcourt de Seattle huit ans durant jusqu’à sa retraite, en 1998.

« Contribuer au départ de Gary de la ville de Seattle est l’une des épreuves les plus difficiles que j’ai eu à affronter au cours de ma vie », explique-t-il au cours d’une conférence de presse. « Il est dur pour moi de montrer une quelconque forme d’enthousiasme. Je ne perds pas seulement des joueurs, je perds aussi un ami très proche. »

Payton ne quitte pas le Nord-Ouest des Etats-Unis le cœur léger. Mais ses relations avec le front office des Sonics étaient devenues hyper tendues. Son agent, Aaron Goodwin, négocia en vain une extension de contrat. Ce ne fut pas non plus le joueur le plus facile à gérer au locker room. Il fallut multiplier les amendes et les suspensions pour obtenir un minimum de discipline chez un élément caractériel, lunatique et un brin égoïste. Attitude de starlette directement héritée du trash-talking. Un joueur irascible et soupe au lait qui se comporte comme un petit démon sur le parquet ne peut pas (re)devenir un ange une fois la partie terminée.

Aux Lakers pour une « super team » avant l’heure

Chez les Bucks, le finaliste NBA 1996, starter pour le Match des Etoiles en 1997 et 98, demeure un produit tout à fait rentable (19.6 pts, 7.4 pds) mais on sait par avance qu’il effectue là une simple pige, contraint et forcé. Au lendemain d’une élimination 4-2 face aux Nets au premier tour des playoffs, « The Glove » se met sans surprise en quête d’une nouvelle équipe. Les Lakers posent un chèque de 4,9 M$ sur la table, soit la midlevel exception. D’après Aaron Goodwin, Portland en propose 30 de plus, ce qui paraît hautement improbable compte tenu de la masse salariale de l’équipe. Les Trail Blazers n’ont sans doute pas mieux à offrir que les Californiens. Et comment dire « Non » à l’équipe qui a remporté trois titres au début de la décennie ? Le crime de lèse-majesté commis par San Antonio en demi-finales de Conférence Ouest (4-2 en 2003) ne peut pas rester impuni.

Le 16 juillet, Los Angeles croit réussir le coup du siècle en obtenant les signatures de Gary Payton et Karl Malone. Les « 4 Fantastiques » Payton-Bryant-Malone-O’Neal sont nés. A l’époque, aucune franchise n’a jamais aligné un quatuor aussi prestigieux. Mais à Detroit, cinq Pistons liés comme les doigts de la main donnent une leçon de solidarité et d’efficacité avec un basket conjuguant précision et cohésion.

La blessure de Karl Malone au genou gauche complique un peu plus le scénario d’une Finale mal engagée, côté californien, avec la perte du Game 1 au Staples Center. Au Palace d’Auburn Hills, porté par un public chauffé à blanc, Detroit se révèle proprement injouable. La formation coachée par Larry Brown devient la première équipe à remporter les trois matches du « milieu » dans le format 2-3-2. Quatre victoires à une. Game over. S’il s’est retrouvé coincé dans une attaque en triangle qui limite traditionnellement le rayonnement du meneur, Gary Payton n’a pas livré une saison déshonorante (14.6 pts à 47.1%, son meilleur pourcentage depuis 1996-97, 4.2 pds et 5.5 pds). Simplement, il n’est plus le défenseur qu’il a été et la mainmise du MVP Chauncey Billups sur cette Finale (21 pts, 3.2 rbds, 5.2 pds, 1.2 int) est là pour le rappeler. En faillite aux tirs, Payton a terminé la série avec une moyenne de 4.2 points (à 32.1% et 20% à 3 pts), 3 rebonds, 4.4 passes et 1.2 steal. On est très en dessous de sa production tout au long de l’année. Los Angeles en tire les conclusions qui s’imposent : à 35 ans, « The Glove » semble être un homme du passé.

Les papys du Heat font de la résistance

Le 6 août, Payton est cédé à Boston en compagnie de Rick Fox. Los Angeles lâche un premier tour de Draft 2006 (qui servira à récupérer Rajon Rondo) et du cash. La contrepartie est censée se composer de Chucky Atkins, Marcus Banks, Chris Mihm et un deuxième tour de Draft mais Payton refuse catégoriquement de déménager sur la Côte Est – sa fille est scolarisée à l’autre bout du pays – et sèche la visite médicale d’usage. Dans un trade restructuré, Jumaine Jones remplace Marcus Banks et Boston conserve son deuxième tour de Draft. Les Celtics ne peuvent se résoudre à perdre Banks si la bouderie de Payton dure plus que de raison. Mais à moins d’arrêter sa carrière, le vétéran n’a pas d’autre choix que de se mettre au service d’une équipe sweepée par Indiana au printemps précédent, au premier tour des playoffs.

En février 2005, les Celtics font revenir Antoine Walker dans le Massachusetts en proposant Tom Gugliotta, Michael Stewart et Gary Payton à Atlanta. Les Hawks ne veulent pas de l’ancien Sonic et le coupent le 1er mars. Trois jours plus tard, l’intéressé signe… à Boston. Il disputera un total de 77 matches (tous comme starter) pour une moyenne de 11.3 points et 6.1 passes. Les Celtics s’inclinent à nouveau face aux Pacers au premier tour des playoffs. Indiana perd le Match 6 chez lui en prolongation (92-89) mais réussit à limiter son adversaire à 70 points sur ses terres, dans le Match 7.

« The Glove » souffle ses 36 bougies le 23 juillet. Il n’est pas question pour lui d’arrêter le basket. L’arrivée de Shaquille O’Neal au Heat en 2004 a provoqué un séisme à peine moins important que celui engendré par la constitution du « Méga 3 » cet été. La finale de Conférence Est 2005 est restée indécise jusqu’au bout (88-82 pour Detroit dans le Game 7 en Floride alors que Miami menait de 6 pts à 3 mn de la fin). Antoine Walker, Jason Williams, James Posey et Jason Kapono mettent le cap sur South Beach. Gary Payton est engagé sur son expérience au minimum syndical : 1,1 million de dollars la saison.

On ne trouve personne pour croire que ce curieux attelage ait le label « champion ». O’Neal et Payton ont largement dépassé la trentaine, comme Alonzo Mourning. Antoine Walker est un arroseur-né et Jason Williams un spécialiste de la passe dans le décor. La saison démarre cahin-caha (11-10). Stan Van Gundy rend son tablier, remplacé par le Kirk Douglas du coaching, Pat Riley. Miami peine à croquer les gros – battu deux fois par San Antonio, champion sortant, et Phoenix, battu de 36 points par Dallas, futur adversaire en Finales – mais poste un bilan de 52 victoires-30 défaites et termine 2e à l’Est.

C’est moins bien que l’année précédente (1er, 59-23). Seulement, le Heat force son destin. Face à Chicago (4-2), avec un Udonis Haslem expulsé dans le Match 1 pour avoir craché son protège-dents sur l’arbitre. Face à New Jersey (4-1), après avoir perdu le Match 1 à l’AmericanAirlines Arena. Face à Detroit (4-2), dans la revanche de la finale de Conférence 2005. Dallas est à deux doigts de mener 3-0 en Finales sans un incroyable numéro de Dwyane Wade qui maintient Miami en vie. Dans le Game 3, « Flash » rapporte 42 points et 13 rebonds. Les hommes de Pat Riley accusaient un retard de 13 points à 6 minutes de la fin…

Dans la manche suivante, Wade ajoute 36 pions. Dallas n’inscrit que 7 points dans le quatrième quart-temps (record en Finales). Le Heat devient la deuxième équipe à remporter trois matches consécutifs à domicile. Wade rapporte 43 points en shootant autant de lancers francs que tous les Mavs réunis… Ses 21 lancers réussis dans ce Match 5 établissent un nouveau record. La sixième manche dans le Texas est du même tonneau : un « Flash » intersidéral (36 pts à 10/18, 10 rbds, 5 pds, 4 ints, 3 cts) offre à la franchise floridienne le premier titre de son histoire. Seuls Boston en 1969 et Portland en 1977 avaient remonté un handicap de 2-0 pour remporter le trophée.

Gary Payton disputait là, à presque 38 ans, ses troisièmes Finales NBA. Sa contribution fut très modeste si l’on s’arrête à la lecture des chiffres (2.7 pts, 2 rbds et 2 pds de moyenne) mais il planta deux shoots déterminants dans la série : le tir de la victoire dans le Game 3 (98-93), à 9.3 secondes de la fin, alors qu’il n’avait pas marqué un seul point auparavant, et le dernier panier du Heat dans le Game 5 (victoire 101-100 en overtime). Une forme d’injustice est réparée avec l’obtention, sur le fil, de cette bague de champion. Le bonheur de Gary fait plaisir à voir. Celui d’Alonzo Mourning aussi. Pour l’ensemble de leur œuvre, pour tous les services rendus au basket, ces deux-là – comme tant d’autres, de Charles Barkley à Karl Malone en passant par Patrick Ewing et Penny Hardaway – méritaient de connaître une issue heureuse. Peu importe, au fond, que « The Glove » ait dû jouer les mercenaires pour cela.

Au cours de l’été, les deux champions olympiques de Sydney rempilent pour tenter de réussir un très hypothétique back-to-back. Le combat de trop. Le match d’ouverture de la saison 2006-07 est une humiliation à lui seul (66-108). Jamais Miami n’avait pris une telle tôle à domicile. Aucun champion sortant n’avait été ainsi ridiculisé. Payton loupe trois semaines de compétition en raison d’une blessure au mollet. L’année se termine comme elle avait commencé : par une branlée face aux Bulls. Au premier tour des playoffs, Miami est balayé sans ménagement, une première pour un champion en titre depuis 1957. Une première aussi pour la franchise.

Payton a 38 ans. Au lendemain d’une 17e campagne tristounette (5.3 pts et 3 pds en 22.1 mn), il prend la meilleure décision possible : stopper les frais. En 17 ans de NBA, il n’aura loupé que 27 matches sur un total de 1 362… « The Mouth » possède toute une ribambelle de distinctions. Neuf fois All-Star, 9 fois All-Defensive First Team, 9 fois All-NBA… Il se classe 31e pour le nombre de points marqués en carrière (21 813), 217e pour les rebonds, 8e pour les passes (8 966), 4e pour les interceptions (2 445), 16e pour les matches (1 335) et 101e au rating (18.88). C’est le meilleur scoreur, passeur et intercepteur de l’histoire des Sonics. Le seul joueur NBA à totaliser 20 000 points, 5 000 rebonds, 8 000 passes et 2 000 steals en carrière. Le seul aussi, avec John Stockton et Jason Kidd, à totaliser 8 000 assists et 2 000 interceptions. Ses 15 passes dans le All-Star Game 1995 et 13 dans l’édition 1998 furent les deux meilleures marques pour un Match des Etoiles disputé dans les années 90. Il termina meilleur scoreur de l’Ouest en 1996 avec 18 points à San Antonio, le même total que David Robinson.

Le 10e meilleur meneur de l’histoire pour ESPN

On pourrait étirer la liste sur plusieurs pages… Alors, sachez simplement qu’en 2009, « Slam » l’a classé en 38e position des meilleurs basketteurs NBA de l’histoire. Pour ESPN, c’est le 10e meilleur meneur de tous les temps. La plus belle distinction est peut-être venue de TNT. En 2006, dix ans après la désignation des 50 meilleurs joueurs de l’histoire pour les 50 ans de la NBA, la chaîne composa sa liste des 60. Il fallait donc rajouter 10 noms. Parmi les pré-sélectionnés figuraient Maurice Cheeks, Kevin Johnson, Dirk Nowitzki, Steve Nash, Dwyane Wade, Joe Dumars, Adrian Dantley, Alex English, LeBron James, Tracy McGrady (si, si…) ou Dennis Rodman. Le « Club des 10 » accueillait Kobe Bryant, Tim Duncan, Kevin Garnett, Connie Hawkins, Allen Iverson, Jason Kidd, Bob McAdoo, Reggie Miller, Dominique Wilkins et Gary Payton.

Fort logiquement, Gary Payton intègrera d’ailleurs plus tard la liste des 75 meilleurs joueurs de tous les temps.

De toutes parts, les éloges affluèrent. En 1999, Charles Barkley désignait « The Glove » comme « le plus grand basketteur au monde » (comprenez du moment). Kevin Johnson, à qui il devait son surnom, abonda dans ce sens : « Gary est certainement parmi les meilleurs toutes époques confondues. Il est aussi intimidant que l’étaient Magic Johnson, Isiah Thomas, Tiny Archibald et Maurice Cheeks. Peut-être même plus encore. »

« Je ne saurais pas qui prendre pour diriger le jeu à sa place », ajoutait George Karl. « On peut me citer Jason Kidd mais à chaque fois qu’ils se sont affrontés, Gary a remporté le duel. »

Le fameux Top 10 des meneurs proposé par ESPN place Magic en tête devant Oscar Robertson, Isiah Thomas, John Stockton, Bob Cousy, Walt Frazier, Jason Kidd, Tiny Archibald, Steve Nash et Gary Payton, « plus frimeur qu’un bandit armé ». Avec ce commentaire : « Un grand scoreur qui pouvait faire tourner une équipe et porter la franchise sur son dos quand c’était nécessaire. Il n’a pas très bien géré sa carrière et fut sous-évalué. Défensivement, il fut l’un des rares points guards de la classe de Walt Frazier. »

Frazier, la référence ultime. Le meilleur défenseur parmi les meneurs (7 fois dans le premier cinq défensif). Un manieur de balle surdoué qui éleva l’interception au rang d’art. Auteur d’un Match 7 étourdissant face aux Lakers lors des Finales 1970 (36 pts, 19 pds, 5 ints), le meneur des Knicks double champion NBA créa un modèle d’équilibre entre attaque et défense sur le poste 1. Sans doute aurait-il scoré encore plus si le roster new-yorkais n’avait pas fait le plein de futurs Hall of Famers.

L’équilibre, c’est précisément ce qui caractérisa le jeu de Gary Payton tout au long de la décennie 90. Le scoreur prolifique des débuts apprit à marquer « le point gagnant » en défense, que ce soit en un contre un ou dans un effort collectif. Aussi l’hebdomadaire « Sporting News » considéra-t-il que « The Mouth » avait créé un précédent avec un impact équivalent des deux côtés du parquet. De quoi en faire le meilleur de tous ? Non. Son jeu d’attaque était au-dessus de la moyenne. Mais pas au niveau des meilleurs. Ce n’était pas un grand shooteur. Par chance, il était beaucoup plus physique que ses principaux adversaires. Il utilisa son corps, sa puissance et sa vitesse pour se frayer un chemin jusqu’au cercle.

Le trash-talker avait bon cœur

Plus jeune, Gary rêvait d’avoir un bar de sports ou son propre restaurant. Il épousa Monique le 26 juillet 1997. Ils eurent trois enfants, Gary Jr, Julian et une fille, Raquel. Gary eut un autre enfant, Gary II, d’une autre femme. La famille Payton partagea son temps entre Oakland et Summerlin, dans la banlieue de Las Vegas. Raquel joue au basket à l’université St. John, une fac catholique privée à New York qui a vu passer Chris Mullin, Mark Jackson, Bill Wennington, Jayson Williams, Malik Sealy et Ron Artest. L’un des frères de Gary joua brièvement au basket en Nouvelle-Zélande. « Gary est un très bon père », expliquait Monique. « Il passe autant de temps que possible avec les enfants et il se comporte toujours bien avec eux. »

« La paternité a eu un effet positif sur moi », expliquait le n°2 de la Draft 1990. « Quand vous devenez père, vous devez mûrir en même temps que vos enfants grandissent. Etre un papa avec beaucoup de responsabilités à la maison m’a aidé à grandir en tant que joueur. Je ne voulais pas que mes enfants entendent dire par leurs copains que leur père se comportait comme un clown ou un taré sur un parquet. »

Le Payton des dernières années s’était calmé. Shaquille O’Neal et Antoine Walker expliquaient prendre beaucoup de plaisir à évoluer à ses côtés. Après son départ de Milwaukee, « The Glove » joua un rôle de mentor auprès des joueurs les plus jeunes. Ses conseils étaient souvent les bienvenus. NBA TV fit appel à lui comme consultant il y a quelques saisons. Au début de l’année 1998, il animait une émission sur une radio de Seattle. Pendant deux heures, une fois par semaine, il pouvait donner libre cours à sa passion pour le hip-hop, son genre préféré avec la musique old school. On le vit également au cinéma dans « Les blancs ne savent pas sauter » (1992) et « Eddie » (1996). Comme tout businessman averti, il plaça ses ronds dans plusieurs restaurants et magasins.

Le double champion olympique fut impliqué par ailleurs dans de multiples opérations caritatives. La Gary Payton Foundation permit à des enfants déshérités d’Oakland de suivre une scolarité normale. Avec sa femme Monique, Gary aida à lever des fonds pour la prévention contre le sida. Les enfants de Los Angeles et Miami ont bénéficié plusieurs fois de sa générosité, que ce soit en billets de match ou en jouets et cadeaux divers. C’est dire si le personnage ne doit pas être jugé à l’aune du trash-talking.

Figure majeure de la NBA des années 90, Gary Payton est indissociable de la ville de Seattle. Le maire avait proclamé le 6 juin 2000 « Gary Payton Day ». L’intéressé a exprimé le souhait que son maillot ne soit pas retiré à Oklahoma City, où la franchise a déménagé en 2008. Secrètement, il rêve de piloter la reconstruction d’une équipe dans le Nord-Ouest des Etats-Unis mais pour l’instant, tous ses efforts ont échoué… « Au moment de prendre ma retraite, je voulais m’accorder du temps pour réfléchir à la suite. Je ne voulais pas replonger immédiatement dans le basket. Aujourd’hui, j’ai envie à nouveau de faire ce que j’ai toujours aimé faire. J’aimerais décrocher un bon poste dans un staff, me rendre utile et conseiller les jeunes.»

Après son shoot victorieux dans le Game 3 des Finales 2006, on lui avait demandé quelle serait l’importance d’un titre NBA dans sa carrière. Réponse : « Tout le monde veut remporter le titre NBA… Si je disais que ce n’est pas quelque chose d’important pour moi, je mentirais. Après avoir passé autant d’années dans cette Ligue, oui, j’aimerais devenir champion. Si je ne le suis pas, je me considérerai assez chanceux pour avoir évolué dans le meilleur championnat du monde et pour avoir eu l’opportunité d’accomplir tout ce que j’ai accompli. »

Stats

17 ans

1 335 matches (1 233 fois starter)

16.3 pts, 3.9 rbds, 6.7 pds, 1.8 int, 0.2 ct

46.6% aux tirs, 31.7% à 3 pts, 72.9% aux lancers francs

Palmarès

Champion NBA : 2006

Défenseur de l’année 1996

All-Star : 1994, 95, 96, 97, 98, 2000, 01, 02, 03

All-NBA First Team : 1998, 2000

All-NBA Second Team : 1995, 96, 97, 99, 2002

All-NBA Third Team : 1994, 2001

All-Defensive First Team : 1994, 95, 96, 97, 98, 99, 2000, 01, 02

All-Rookie Second Team : 1991

Champion olympique : 1996, 2000

Records

44 points à Minnesota le 4.03.01

16 rebonds à San Antonio le 8.02.00

18 passes à Houston le 5.11.02

8 interceptions (deux fois)

3 contres (deux fois)

Gains

104,3 M$

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