Jean-Jacques n’en a pas fermé l’œil de la nuit. « Impossible de trouver le sommeil… » Il a appris la nouvelle en direct, sur ESPN. C’était encore le début de soirée à Portland. « On attendait le match entre les Mavs et les Nuggets. Et là, c’est un putain de coup de tonnerre qu’on a pris dans la tronche. En plus, on apprend que c’est un Français qui a chopé cette saloperie… » Comme tout le monde, le Français a été estomaqué par l’annonce de la contamination de Rudy Gobert par le coronavirus, entraînant la suspension du championnat.
La nouvelle vient de remettre en question le projet de toute une vie, celui de Jean-Jacques, sa femme et leurs enfants, de vivre une saison NBA au rythme des 30 franchises. Un projet fou, démarré en octobre dernier, dont la famille originaire de Biarritz ne va pas voir le bout. Ils venaient d’arriver de Denver où ils avaient assisté à la rencontre face aux Bucks. Portland devait être la 25e étape de leur long périple, rythmé de cinq ou six rencontres NBA mensuelles.
« Nous sommes inconsolables, au fond du trou, » lâche le père de famille, contacté par téléphone au cœur de la nuit américaine. « Des mois de travail pour s’arrêter si près du but… » Tel un marathonien, dont il fait l’analogie, incapable de finir sa course à quelques centaines de mètres. Ironie de l’histoire, la famille a récemment chamboulé son agenda et pensait se rendre… à Salt Lake City plus tard dans le mois, où les Spurs devaient jouer, avec la perspective d’y voir Boris Diaw, avec qui ils ont une connaissance en commun.
« Le verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide »
À San Antonio justement, l’association Spurs Nation France (100 membres) doit aussi revoir ses plans. Les 25 fans texans sont arrivés sur place en début de semaine dans l’optique de voir trois matches des Spurs. Ils n’en verront qu’un seul, une grosse victoire face aux Mavs. Ils garderont aussi le souvenir d’avoir eu la chance de jouer sur le parquet de l’AT&T Center pendant plusieurs heures. « C’était privatisé rien que pour nous, » décrit Jean-Patrick Nourricier, président de l’association, qui organise régulièrement des voyages de groupe sur place depuis 2017. « Devin Brown (ex-Spur) et son fils ont joué avec nous. C’était un super moment. »
Alors même si le voyage est contrarié, ces fans de France, Belgique ou Suisse, qui vivaient pour la plupart leur première expérience NBA, préfèrent voir « le verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide ». Sans match, ce sera option tourisme et shopping. Sur le plan financier, le responsable assure que tous les remboursements seront assurés par la société de voyage. Une inconnue persiste sur le vol retour. Donald Trump a annoncé la suspension tous les voyages de l’Europe vers les États-Unis pour un mois. « Et si c’était le cas dans l’autre sens ? », s’interroge le fan des Spurs.
Match repéré dès la sortie du calendrier
Eux ont au moins goûté à leur rêve de NBA, là où d’autres s’apprêtaient à décoller. C’est le cas de Julien qui devait prendre son vol à la fin du mois avec sa femme. Cap sur New York, à l’occasion de la venue des Wolves dont il est fan. Ce match, que le couple avait repéré dès la sortie du calendrier l’été dernier, devait être leur premier à eux aussi. « C’était un rêve, » décrit le supporter qui alimente le compte Twitter @TwolvesFRA. « Cela faisait trois semaines qu’on était pendu à la blessure de Karl-Anthony Towns… » Avec l’espoir de le voir fouler le parquet du Madison Square Garden, un enjeu qui n’a plus aucune importance aujourd’hui.
Billets d’avion, hôtel, accès à la salle… Tout était calé pour ce voyage estimé à environ 2 300 euros. Julien devrait désormais mener la course aux remboursements. « On est au fond du seau, on est dépités, dépités, » répète-il. « On se laisse encore une semaine en fonction de la réponse de l’hôtel. Même si Trump était contraint de revenir sur sa décision, on devrait remettre ce voyage. » Pas de match NBA, pas de voyage en gros.
Scénario comparable pour Dominique. Ce fidèle lecteur âgé de 42 ans, basé à Rennes, devait assister au derby Clippers-Lakers du 9 avril. Il s’était reporté sur ce match-ci après avoir fait une croix sur un Warriors-Lakers, programmé initialement le même jour avant d’être avancé, après une recomposition du calendrier liée à la mort de Kobe Bryant. Avec cette suspension, c’est aussi un « rêve d’enfant » qui s’envole. « C’est la douche froide, » poursuit celui qui s’est contenté jusqu’ici d’assister au Spurs – Grizzlies de 2003, en exhibition à Bercy. « Quand on se lève toutes les nuits, même si j’ai de plus en plus de mal à me lever (!), ce match représentait un aboutissement. »
Comme les autres fans, il va devoir se refaire au quotidien sans NBA, un rythme inhabituel à cette période de l’année. « Les nuits vont être plus longues ! », en sourit Jimmy, qui rentre de Californie après son voyage annuel qu’il a organisé avec sa structure Frenchies Love, pour un peu moins d’une vingtaine de personnes. Comme tout le monde, il va attendre : « J’imagine qu’ils vont reprendre à huis clos, puis interdire les touristes. Y aller étape par étape. » Son passage en juin à Los Angeles, où ce fan des Lakers se rend chaque année pour plusieurs mois, sera sans doute compromis.
La famille compte repartir, pour une saison complète cette fois
Mathieu Delarche rentre lui aussi, tout juste, des États-Unis. À une semaine près, son groupe de 30 passionnés, qu’il a fait voyager son association HardWork, auraient été les « victimes » collatérales de la suspension. « J’ai un gros karma ! », lâche celui qui était derrière la « Dwyane Wade Week ». Après plus de dix ans d’expérience dans le voyage, il fait face à une situation inédite. Au moment même où il pense à faire évoluer son activité en société, pour répondre à une demande de plus en plus forte.
Pour la saison prochaine, il a déjà sept voyages en préparation, dont Los Angeles et New York à la Toussaint. « J’ai 110 personnes pré-inscrites, » chiffre-t-il. « Les gens me demandent si c’est maintenu. J’espère que ce sera réglé à la Toussaint… » Le responsable s’attend dans tous les cas à voir le montant des garanties financières, les assurances, partir à la hausse. Mais pour le moment, c’est « stand-by ».
« C’est le flou artistique », reprend Jean-Jacques à Portland, en s’interrogeant lui aussi sur son vol retour prévu à la mi-avril. Si la déception est immense chez elle, la famille vient malgré tout de l’acter : il y aura une deuxième saison à leur périple ! Une saison complète, cette fois. « Mon job pour les six mois à venir, ça va être de trouver un sponsor », annonce le père de famille qui évalue le budget d’un voyage comme le leur à un prix compris entre 30 000 et 40 000 euros. Un bon moyen pour eux de se projeter sur la suite, malgré les nombreuses inconnues. « C’est un passage, ça va revenir », espère Julien.