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Sur les traces du shoot à la cuillère, une antiquité du basket… toujours utile ?

Shoot emblématique des débuts de l’Equipe de France, le tir à la cuillère a vite disparu du monde professionnel. Sauf aux lancers francs, où il pourrait encore être utile.

Au milieu des années 1970, Red Auerbach est chargé de jouer les vulgarisateurs pour la télévision. L’ancien coach des Celtics reçoit un jour Rick Barry, le meilleur shooteur de lancers francs de l’époque (et toujours le 4e meilleur de l’histoire avec 89.98% de réussite dans l’exercice, juste derrière Stephen Curry, Steve Nash et Mark Price). Il faut dire que le joueur de Golden State a un style particulier : il tire les lancers à la cuillère !

Déjà, à l’époque, Red Auerbach explique que c’est un tir tombé en désuétude depuis près de 40 ans, Rick Barry étant en effet le seul joueur à l’avoir réellement utilisé dans la grande ligue.

Le coach de la grande dynastie de Boston demande alors au champion et MVP des Finals en 1975 s’il recommanderait ce geste aux fans, puisqu’il est le seul à s’en servir. Réponse : « Je recommande la méthode avec laquelle vous pouvez réussir le plus de tirs », répond le Warrior. « C’est la bonne réponse », confirme Red Auerbach. « Il faut trouver la méthode avec laquelle vous vous sentez le plus à l’aise, pour avoir le plus de confiance. La confiance, c’est la clé pour les lancers francs. Dans cette position, je suis simplement extrêmement détendu, donc je ne me soucie pas de me tendre ou de perdre pied, comme on le dit parfois » conclut Rick Barry.

Trop débutant ? Trop démodé ? Trop féminin ?

Mais alors, comment expliquer que Rick Barry ait été le seul à réellement utiliser la technique de la cuillère aux lancers francs dans l’histoire NBA ? Si elle est efficace, il n’y a pas de raison qu’une technique soit oubliée.

« Il peut y avoir des techniques en rupture, par rapport aux considérations esthétiques ou de mode dans un sport, mais il y a un autre exemple, c’est Michael Chang, au tennis, qui sert à la cuillère et qui gagne », explique Luc Robène, historien du sport à l’université de Bordeaux. « Tout ce qui n’est pas interdit est permis. S’il est permis et qu’il est efficace, c’est que c’est le bon geste. Ça peut surprendre dans une perspective académique mais l’objectif d’un sportif ou d’une équipe, c’est de gagner, et la technique, comme disait Marcel Mauss, c’est le geste efficace. »

Sauf qu’il n’est pas simple de s’opposer à des traditions et des normes esthétiques.

« Il faut lutter contre tout un capital technique, une esthétique », continue Luc Robène. « Il y a toute une esthétique des gestes techniques, au basket comme ailleurs. Ce qui est problématique dans le lancer à la cuillère, et on pourrait dire pareil du tennis, c’est que ça fait débutant. On est sur une technique qui ne dote pas le lanceur d’un capital technique très fort. Un enfant ou un débutant pourrait faire la même chose donc ce n’est pas très valorisant dans le spectacle, parce qu’on est aussi dans du spectacle sportif. »

Sans compter qu’il y a un « stigmate féminin » attaché au geste, comme l’ont démontré plusieurs études sur la question. Lorsque Wilt Chamberlain, qui ne tournait qu’à 51.1% de réussite aux lancers-francs en carrière, tente de shooter à la cuillère depuis la ligne de réparation, il en revient rapidement. « Je me suis senti idiot, comme une femmelette, en shootant de cette façon », expliquera-t-il dans son autobiographie. « Je sais que j’avais tort. Je sais que certains des meilleurs shooteurs de l’histoire ont tiré de cette façon. Même maintenant, le meilleur de la NBA, Rick Barry, tire à la cuillère. Mais je ne pouvais pas le faire ».

« J’ai dit à Rick Barry que je préférais shooter à 0% sur la ligne plutôt que de tirer à la cuillère. Je suis trop cool pour ça »

Régulièrement invité à tester la technique, Shaquille O’Neal donne une explication similaire.

« Je ne l’ai jamais fait parce que c’était chiant. Et ce n’est pas efficace. Ce n’est pas prouvé que c’est plus efficace, ce n’est pas parce que quelques gars l’ont fait que tout le monde pouvait le faire. J’ai dit à Rick Barry que je préférais shooter à 0% sur la ligne plutôt que de tirer à la cuillère. Je suis trop cool pour ça. »

On peut tout de même noter que shooter les lancers francs à la cuillère demande de développer une deuxième technique de tir. Mais pour des shooteurs aussi faibles, ce n’est sans doute pas le problème.

« Effectivement, ça fait construire deux habiletés au lieu d’une seule, et c’est une perte de temps quelque part dans l’apprentissage », confirme Eric Claverie, professeur de l’histoire du sport à l’université de Bordeaux. « Mais c’est surtout un tir qui sent le passé, donc qui est rétrograde. En terme d’image, pour un joueur, je peux comprendre que ça n’incarne pas la modernité et l’innovation mais aussi, toute la gestualité à deux mains est une gestualité féminine. Pendant longtemps, en France mais également aux États-Unis, on expliquait que la femme n’avait pas suffisamment de force pour tirer à une main, ni en appui, ni forcément en suspension après donc elle doit tirer à deux mains. Donc le fait de tirer à deux mains réveille sans doute des représentations féminines qui provoquent un obstacle social à son utilisation. »

Une technique plus efficace ?

Depuis sa retraite, Rick Barry encourage régulièrement chaque mauvais shooteur aux lancers francs à changer de technique, pour tenter de tirer à la cuillère. Mais est-ce réellement une stratégie plus efficace ?

De nombreuses études ont été publiées sur le sujet, sans que le débat ne soit réglé, faute de joueurs professionnels volontaires. Les partisans du shoot à la cuillère comme Curtis Rist assure que c’est un shoot bien plus précis aux lancers francs que le tir désormais classique. En fait, pour des sujets n’ayant jamais joué au basket, les études (Schneider & Williams, 2010) suggèrent qu’il n’y a pas de stratégie préférentielle dans l’apprentissage, les bons shooteurs à la cuillère étant aussi les bons shooteurs « classiques ».

Cependant, une étude de modélisation dynamique d’Hiroki Okubo et Mont Hubbard, en 2006, donne quelques détails physiques supplémentaires, qui pourraient expliquer l’avantage du tir à la cuillère.

Pour faire simple, en étudiant la vitesse du lancer du ballon par rapport à l’angle, il y a cinq façons de voir le cuir rentrer dans le cercle. Soit (I) le ballon tape l’avant du cercle et rentre, soit (II) c’est un « swish », soit (III) il tape l’arrière du cercle ou la planche et l’arrière du cercle et rentre, soit (IV) il tape la planche et rentre, soit (V) il tape la planche puis l’avant du cercle et finit par rentrer.

La représentation du shoot à la cuillère avec un effet rétro (en jaune) a ceci de particulier que les zones I et II sont collées, ce qui signifie que contrairement aux autres techniques de shoot, si on ne touche que l’avant du cercle (bien sûr vers l’intérieur du panier), on est quasiment assuré de rentrer le tir. Comme d’autres chercheurs, Hiroki Okubo et Mont Hubbard expliquent que ce phénomène, dû à l’effet rétro donné au moment du tir, est essentiel à l’efficacité du tir à la cuillère. Un autre avantage est la tenue à deux mains du ballon, qui permet un meilleur contrôle de la trajectoire.

Enfin, l’angle de pénétration dans le panier doit être au plus proche de 45°. Pour les joueurs de « petite » taille, c’est assez facilement réalisable avec une trajectoire de shoot haute mais les pivots lâchent eux leur ballon beaucoup plus haut avec une technique de shoot classique, et leur angle de pénétration est donc plus faible. C’est donc principalement pour eux que la technique à la cuillère pourrait être utile, s’ils acceptaient de la tester…

Le tir à la cuillère en match, un style bien « gaulois »

Cette modélisation physique en rappelle d’ailleurs une autre, beaucoup plus simple. Car dans les années 1920, à Paris, le très jeune Charles Laffargue, ingénieur des Arts et Métiers, écrit à 19 ans un premier fascicule, La technique du basket-ball, où il tente d’appliquer ses connaissances en physiques au basket.

« Ce qui est intéressant dans le personnage, c’est que le premier qui a utilisé des connaissances scientifiques puisqu’il a décrit les effets du ballon sur le panneau de basket avec des forces qui s’exercent, en transposant le modèle du billard français, des chocs de la bille sur les bandes, avec les problèmes d’effets et de contre-effets sur la bande », explique Eric Claverie. « Il transpose donc ça par des schémas mécaniques au tir du basket, en expliquant que ce qui est important dans l’efficacité, c’est ce dosage de l’effet sur le ballon. C’est la première théorisation de ce type en France. Je ne sais pas s’il y avait déjà eu des théorisations de ce type aux États-Unis mais c’est très probable, la France ayant alors vingt à trente ans de retard sur le plan technique. »

Parmi les pionniers du basket parisien et même français, Charles Laffargue explique que son petit fascicule intéressait les Américains, qui voulaient le traduire pour étudier son « tir à effet ».

Un tir à deux mains, depuis les genoux, avec un effet rétro, qui devient un marqueur des débuts de l’équipe de France, les joueurs pouvant le tenter de partout, même depuis le milieu du terrain !

« Jacques Personne est entraîneur de l’équipe de France féminine et professeur à l’INS, l’Institut National des Sports, à la sortie de la Seconde guerre mondiale », continue Eric Claverie. « Je l’avais interviewé et c’est lui qui m’avait dit que la tradition du tir français, c’était ce tir par en-dessous, qu’il avait appelé le « tir à la gauloise ». Il faut savoir qu’entre le début du championnat français, en 1921, les premiers matchs internationaux français, rapidement après (1926), et la Seconde guerre mondiale, donc dans ce laps de temps d’une grosse quinzaine d’années, il y a un style français qui se développe : le Ripopo. C’est un style débrouillard, improvisé, qui se justifie par une personnalité collective française. C’est la particularité du tempérament français, l’impétuosité, l’intelligence qui est également mise en avant, surtout par opposition au style américain, réputé trop rationnel, trop lent, trop réfléchi… Le basket français se revendique impétueux et imprévisible et il y a une véritable revendication identitaire d’une stylisation française assez forte. »

Évidemment, c’est un tout autre basket, avec peu de dribbles et des défenses très lâches.

« Il faut aussi replacer dans le contexte, et dans l’opposition entre attaquants et défenseurs. Ce tir de très bas était également permis parce que la défense se tenait très, très loin. Il n’y avait pas de proximité défensive. J’avais montré dans ma thèse que le tir n’a cessé d’évoluer en hauteur, des genoux puis en appui, puis en suspension, du fait du rapprochement défensif. Ce n’est pas curieux que les joueurs n’utilisent plus ce geste qu’aux lancers-francs, parce que c’est le seul qui se fait sans opposition. C’est une habileté fermée, contrairement à toutes les autres habiletés du basket, qui sont ouvertes. » Ce n’est en effet que là qu’il reste efficace, à condition d’être utilisé.

Car pour le revoir en NBA, il faudra sans doute attendre un joueur qui se moque complètement du regard des autres et des commentaires moqueurs, comme Rick Barry en son temps…

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