Prodige en Caroline du Sud où il suivra bientôt les traces de Kevin Garnett, du lycée à la NBA, Jermaine O’Neal a longtemps dû ronger son frein chez les Blazers avant de percer dans la Grande Ligue, dans l’Indiana où il remportera notamment le titre de meilleure progression en 2002.
Quand il a enfin réussi à se faire sa place au soleil chez les Pacers, six fois All-Star de 2002 à 2007, c’est le terrible orage de la « Malice at the Palace » qui viendra définitivement assombrir sa carrière.
Membre de la fameuse Draft 1996, alors qu’il n’avait que 17 ans, O’Neal était pour ainsi dire un basketteur en couche-culottes à son arrivée dans une ligue encore dominée par Michael Jordan et ses impitoyables Bulls.
Le X-Man à la rescousse
« J’ai connu une enfance chaotique », concède O’Neal dans le podcast The Knuckleheads. « Je n’ai rencontré mon père que quand j’avais 30 ans ! J’ai toujours lutté avec ça en grandissant. J’ai beaucoup changé d’écoles. Je me suis stabilisé quand j’ai rencontré Coach [George] Glymph, qui est devenu ma figure paternelle. Il a tout changé pour moi. Mais j’ai toujours joué face à des gars plus âgés que moi. Quand j’étais sophomore et junior, j’ai joué contre Xavier McDaniel. Il défonçait tout le monde. Il avait tout en magasin. Et surtout, dès qu’il entendait parler de moi, il venait me voir pour me rappeler ce que je devais faire si je voulais accomplir mon objectif de passer pro. »
All-Star en 1988 avec les Sonics, et originaire de Caroline du Sud, McDaniel a pris le jeune O’Neal sous son aile. Avec son franc-parler et son exigence, Jermaine a filé droit. Jusqu’à cet entraînement volontairement écourté pour aller retrouver sa petite copine de l’époque chez elle…
« J’ai risqué la prison durant mon année senior [au lycée]. J’encourais une peine de dix ans [vingt même] de prison ! J’avais 17 ans et ma copine en avait 16, j’étais avec elle depuis déjà deux ans. On s’est fait surprendre en pleine action chez elle et son père a voulu me poursuivre en justice, alors même qu’elle avait dit que c’était évidemment consentie. Mais dans l’État de Caroline du Sud, on se fiche de ce qu’elle dit, c’est ce que les parents disent. J’ai réussi à surmonter cette épreuve pour être réintégré à l’équipe [du lycée]. Mais la moitié de la ville me considérait comme un criminel quand l’autre moitié me soutenait. C’est devenu une situation très tendue. Malheureusement, je me suis blessé à mon retour. Une hyperextension du genou. Dans une salle remplie de coachs universitaires et de scouts NBA en plus. »
Doublement malheureux dans l’affaire, O’Neal a néanmoins démontré toute sa valeur sur le terrain avec une saison à 22 points, 12 rebonds et 5 contres, réalisant une véritable razzia de récompenses individuelles : Meilleur cinq de l’état, Meilleur joueur de Caroline du Sud, « Mr. Basketball », Meilleur cinq USA Today, McDonald’s All American Game… Il a mis tout le monde d’accord sur les planches !
Mais, allait-il sauter le pas et entamer sa carrière professionnelle en NBA ?
Le périlleux saut du lycée à la NBA
« J’ai rencontré Rick Pitino par la suite, dans le salon chez ma mère. Il me disait que [Kentucky] allait être bon quoique je décide, avec ou sans moi, ‘mais sachant ce que je sais sur toi, je pense que tu devrais passer pro ! Ils t’ont placé entre la 10e et la 17e place’ [à la Draft]. C’était un gros chiffre pour moi ! Mais je pense que Sonny Vaccaro [le patron du scouting d’Adidas à l’époque] y était aussi pour beaucoup en coulisses. Sonny m’a beaucoup aidé aussi pendant ma période lycéenne. C’est lui qui m’a fait rentrer en contact avec Arn Tellem, qui a été mon agent toute ma carrière. Ils m’ont dit que je ne pouvais pas tomber plus bas que la 17e place [et de fait, il a été choisi 17e]. C’était super stressant car à l’époque, si tu t’inscris, tu ne peux plus revenir en arrière. »
Indécis jusqu’au bout avant de se présenter à la Draft NBA, malgré les propos élogieux des Pitino, Vaccaro et autres Tellem, O’Neal devait aussi gérer une situation délicate en interne, en allant contre l’avis de Coach Glymph, son père de substitution.
Après des résultats décevants au fameux SAT, examen de fin de lycée, O’Neal n’était pas en position de force. Mais il s’est surtout inspiré de Kevin Garnett. D’un an, son devancier.
« Même Shawn Kemp. J’étais un de ses grands fans à l’époque mais on ne savait pas vraiment qu’il n’avait pas joué à l’université. Il est allé dans un Community College [à Trinity Valley, dans le Texas]. Mais KG a rendu ça encore plus réel. Il l’a fait un an avant moi. Un gars de Caroline du Sud comme moi. J’étais sur mon canapé et je me suis dit : je fais la même chose l’an prochain ! Je ne savais pas tout ce que ça impliquait mais j’ai été piocher dans les ingrédients qu’avait utilisés Kevin. Lui l’avait annoncé et l’avait fait. Il nous a donné beaucoup de confiance. J’en parlais à Tim Thomas, qui était probablement plus doué que KG à l’époque. Kobe Bryant, Stephen Jackson, Rip Hamilton, on en parlait. Tim et Rip avaient choisi d’aller à l’école. Mais, derrière, j’ai eu cette histoire de prison et ça s’est décidé aussi comme ça. »
Rick Carlisle restera sur le palier…
Un temps annoncé du côté de New York, où atterrira finalement John Wallace, O’Neal a lui posé ses valises de l’autre côté du pays, sur la côte Ouest, à Portland. Une chance et une malchance, selon lui.
« C’était bien parce que la ville de Portland était prête à accueillir un gamin de 17 ans qui n’était pas encore tout à fait préparé pour la NBA. Je ne sentais pas de pression de la part de la franchise ou des fans. Mais j’avais une pression inhérente du fait que Kevin [Garnett] avait réussi la transition un an avant, que Kobe y arrivait mieux à Los Angeles [en même temps que moi]. C’était difficile pour moi. Cette transition a fini par durer quatre ans. Je savais que je devais me renforcer musculairement et progresser sur mon jeu. Je devais passer de meilleur joueur sur le terrain ma dernière année de lycée à quatrième meilleur joueur sur mon poste, dans ma propre équipe ! Il y avait Gary Trent, Rasheed Wallace, Sabonis, Cliff Robinson, Brian Grant, Detlef Schrempf, Dontonio Wingfield. J’ai appris au fur et à mesure. »
A 4 points, 3 rebonds en 10 minutes de jeu pour sa première année, O’Neal prenait encore son mal en patience. Mais au bout de deux, puis trois, puis quatre ans à squatter le fond du banc des Blazers, qui étaient toujours aussi richement armés, le jeune intérieur a craqué. Il a boudé, refusant carrément de se rendre au match de son équipe…
« Rick Carlisle était assistant dans l’équipe et on lui avait confié la mission de s’occuper de moi. Les gens n’ont jamais su ça, et merci aux Blazers d’avoir gardé la confidentialité de tout ça, mais j’étais tellement déprimé de ne pas jouer que j’ai arrêté de venir aux matchs ! Rick Carlisle est venu pour me parler et je ne l’ai même pas laissé entrer chez moi [rires] ! On parlait avec la porte à peine entrouverte, avec la petite chaîne qui bloque l’entrée. Mais Kenny Anderson, Trent et les gars m’ont ramené à la raison : cette ligue s’en fout de toi, tu ferais bien de te reprendre en main ! Je me suis dit que je devais changer de raisonnement, et vite fait avant que je ne dégage de la Ligue aussi rapidement que j’y suis arrivé ! »
Humilié par Hakeem Olajuwon
Rapidement mis au parfum du mode de survie en NBA, dans un vestiaire qui fleurait bon les vétérans justement, O’Neal fait le dos rond et poursuit son aventure, tant bien que mal, en Oregon. A tout le moins, ça forge le caractère.
« Je pense vraiment qu’il faut avoir fait l’expérience de l’échec pour pouvoir connaître le succès ensuite. Ce qui m’est arrivé à Portland, quand j’ai dû revenir sur le banc et accepter ma situation, ça m’a permis de devenir ce que je suis devenu à Indiana. Ça m’a forcé à m’entraîner encore plus dur, à bosser encore plus sérieusement et ces entraînements… Ils étaient plus durs que les matchs. Surtout avec les joueurs qui passaient. J’ai fini par jouer avec Scottie Pippen, Steve Smith… On jouait le titre chaque année donc c’était du lourd. Où est-ce que j’aurais pu avoir ça ? Certainement pas sur un campus universitaire. »
Lancé dans le grand bain sans bouée de sauvetage, O’Neal a dû se débattre comme un beau diable pour rester à la surface. Un exemple du défi permanent que relevait le jeune intérieur à son arrivée dans la Ligue est sa confrontation face à Hakeem « The Dream » Olajuwon.
« Olajuwon m’avait impressionné. Je ne m’attendais même pas à entrer sur le terrain, face à Houston. Il s’est assuré que je n’y reste pas longtemps [rires] ! J’ai dû prendre 3 ou 4 fautes en moins de trois minutes. Son jeu de jambes, sa force, sa polyvalence. Les gens oublient combien il était doué techniquement. Il faisait 2m13 mais il était fluide, il shootait, il feintait, il partait en dribble. Et il était costaud. Il faisait beaucoup de jeûnes avec le ramadan. Mais il était fort, il devait lever au moins 160 kg [en muscu] ! Mais il bougeait comme s’il faisait 70 kg… »
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Une rencontre en coulisses du All-Star Weekend 2000
Frustré de ne disputer que des bribes de match dans la rotation surchargée des Blazers, O’Neal n’avait qu’une envie : quitter Rip City. S’estimant lésé à partir de sa troisième année, avec un temps de jeu en baisse (de 13,5 à 8,6 minutes par match), le natif de Columbia se retrouve au All-Star Weekend de l’an 2000 à Oakland pour décompresser.
« Quand je suis parti de Portland, j’étais remonté comme un coucou ! J’étais fou ! Car mes stats étaient de pire en pire chaque saison. Normalement, tu progresses d’année en année à tes débuts. Mais moi, j’avais de moins en moins de temps de jeu et je n’arrivais pas à comprendre ce qui m’arrivait. Dans ma troisième et quatrième année, je savais que j’étais un titulaire et j’étais prêt à partir. Ils me faisaient jouer trois ou quatre minutes et je donnais le meilleur de moi-même. J’étais à Oakland pour le All-Star Weekend et le fameux concours de dunks de Vince Carter. Je me baladais dans les couloirs et je croise Zeke, Isiah Thomas. Il m’agrippe par le bras et me dit de continuer à faire ce que je fais, que les gens me voient. Je l’ai remercié et quoi, six mois plus tard, il est embauché [à Indiana] et la première chose qu’il fait, c’est de faire un échange pour me faire venir. Il m’a appelé : je te l’avais dit, ton heure arrive, maintenant, c’est à toi de jouer. »
Complètement relancé par cette opportunité aux côtés de Reggie Miller dans l’Indiana, O’Neal va rapidement devenir un joueur incontournable dans son équipe. Puis dans sa conférence. Et dans toute la NBA quand il est nommé All-Star pour la première fois en 2002, à Philly.
Avec trois saisons de suite en double-double, et 19 points, 10 rebonds et 2 contres pendant ses huit saisons dans l’Indiana, O’Neal est alors au sommet de son art. Doté d’un contrat maousse de 126 millions de dollars sur sept ans, l’intérieur a pu se faire plaisir. Mais rarement en fait…
« C’était le dernier match de la saison, on était à Atlanta. On a passé la soirée à Atlantic City. C’était moi, Stephen Jackson, Jamal Tinsley et on a dépensé 80 000 dollars en une nuit. C’était marrant parce qu’ils nous avaient donné des briques de billets de un [dollar]. On les jetait au DJ qui s’énervait. Jusqu’à ce qu’ils comprennent ce que c’était [rires] ! Après, il nous a fait le signe du pouce, cool ! Mais c’est aisément ma pire flambe. »
La cicatrice du Palace
Cela dit, O’Neal a toujours en travers de la gorge le traitement médiatique dont il a été l’objet durant sa carrière, et notamment après cette fameuse bagarre entre les Pacers et les Pistons, « The Malice at the Palace », ce triste soir du 19 novembre 2004. Il y a eu un avant et un après dans sa carrière.
« A Indiana, notre équipe avait un peu cet air défiant et rebelle. Après la bagarre, la Ligue a voulu tout effacer. Je m’en souviens bien parce que j’étais All-Star et il n’y avait aucune photo de moi autour du stade. Pareil quand j’ai été le meilleur contreur de la Ligue, et que je n’ai même pas obtenu de place dans les meilleurs cinq défensifs. J’ai tourné à plus de 2 contres par match pendant 11 ans, et je n’ai jamais été considéré dans les meilleurs cinq défensifs… J’ai eu le sentiment d’avoir été jugé à vie après la bagarre à Detroit. Je me souviens qu’au tribunal, le juge m’avait demandé si je referais la même chose dans la même situation. Et je lui avais demandé à mon tour si lui aurait été annoncer ma mort à ma famille et ma femme si cette chaise m’avait tué. On parle de leadership sur le terrain mais à ce moment-là, j’étais attaqué et je voulais me protéger moi et mes coéquipiers. Je lui ai dit que j’aurais refait la même chose. »
Élu meilleure progression en 2002, après un exercice des plus emballants à 19 points, 10 rebonds et 2 contres de moyenne, Jermaine O’Neal n’était déjà pas vraiment en paix avec lui-même, et encore moins avec les autres. La Ligue, les médias, le grand public…
« J’étais encore super énervé. Bien sûr, tu acceptes ce trophée parce que ça reste un très bel accomplissement, mais ça ne m’a pas vraiment touché parce que je sortais de quatre ans en enfer où on me disait que je n’étais pas suffisamment bon… alors qu’on ne m’avait même pas donné ma chance ! J’ai gardé un article de l’époque et ma mère me l’a encadré. C’est Bob Bass, un décideur des Hornets à l’époque, qui me descendait en flèche, alors que je n’ai jamais rencontré ce mec une fois dans ma vie ! Il disait que je n’allais jamais durer en NBA, ceci et cela… Je savais qui j’étais et je voulais faire taire ces voix-là. »
Quatre de « ses gamins » en NBA
Producteur exécutif du documentaire Netflix intitulé Untold : Malice at the Palace en 2021, O’Neal est prompt à souligner l’importance pour les athlètes de discuter avec des psychologues et à s’ouvrir sur leurs questionnements et leurs problèmes. Durant leur carrière de préférence.
A la tête d’une grosse structure à Dallas, Drive Nation, une salle de sports avec tout le confort moderne et des salles de musculation et autres, O’Neal est resté au contact de la balle orange. Il a également pris une petite part à la nouvelle vague qui déferle sur la NBA.
« On a maintenant 77 athlètes de Division 1 [NCAA]. C’est notre cinquième année, on a quatre joueurs en NBA en ce moment qui sont passés par chez nous : Cade Cunningham, Tyrese Maxey, RJ Hampton et Jahmi’us Ramsey. Il y aussi Drew Timme de Gonzaga et Avery Anderson [qui joue à Oklahoma State] qui devrait aussi pouvoir passer pro. Je crois beaucoup à l’impact qu’on peut avoir sur les jeunes. Pour moi, c’était le X-Man [Xavier McDaniel] qui a débarqué dans notre salle quand j’avais 11 ans. Il nous a pris sous son aile. Il a invité 24 gamins chez lui, dans sa maison immense sur la colline, avec un lac dans le fond du jardin. Je n’avais aucune idée qu’on pouvait avoir ce genre de vie dans ma ville. Comme Xavier McDaniel l’a fait pour moi, j’essaye de le faire pour la jeune génération. »
Son match à 55 points en 2005
En duel face à Tim Duncan en 2004