NBA – Depuis qu’il est arrivé aux Lakers, Russell Westbrook n’est plus que l’ombre du joueur qu’il était. Peut-être parce qu’il est unidimensionnel et que les Lakers s’entêtent à vouloir le changer.
En 1953, le philosophe Isaiah Berlin publiait un essai sur la littérature russe, Le Hérisson et le renard. Essai sur la vision de l’Histoire de Tolstoï.
La métaphore du titre vient d’une citation du poète grec Archiloque : « Le renard sait beaucoup de choses, le hérisson n’en sait qu’une seule, mais grande ». En partant de cette image, Isaiah Berlin distingue deux types de penseurs, d’écrivains ou d’être humains : « ceux qui (…) rapportent tout à une seule vision centrale, à un seul système plus ou moins exprimé et cohérent, grâce auquel ils comprennent, pensent, et sentent – un principe organisateur, unique et universel, en fonction duquel tout ce qu’ils sont, tout ce qu’ils disent a une signification -, et (…) ceux qui poursuivent plusieurs fins, souvent sans aucun rapport entre elles, voies contradictoires, reliées (quand elles le sont) seulement de facto, par quelque motif psychologique ou physiologique ». Les premiers sont similaires au hérisson qui s’enroule sur lui-même face à n’importe quelle situation, les seconds au renard dont la ruse témoigne d’un sens aigu de l’observation.
J’ai souvent eu cette métaphore en tête en observant la carrière de Russell Westbrook, particulièrement ces dernières années. Le MVP 2017 semble ainsi tout rapporter à une seule vision centrale, un seul système par lequel il comprend, pense et sent le jeu : à savoir l’intensité et la pression physique qu’il peut mettre dès qu’il a le ballon en main.
Vivre et mourir par l’intensité physique
Depuis son arrivée en NBA, tous ses efforts semblent focalisés sur l’optimisation de ce schéma. Russell Westbrook ne semble pouvoir exister que dans ce système où il peut prendre le rebond, pousser le ballon et mettre la pression sur la défense adverse. C’est son alpha et son omega. C’est ce qui lui a fait enchaîner les saisons en triple double, devenir MVP et être l’infatigable moteur de ses équipes. C’est aussi ce qui lui a fait enchaîner les oublis défensifs, qui lui a fait perdre en efficacité à chaque fois que le jeu ralentissait ou qu’il devait partager le cuir avec un autre porteur du ballon.
Sa dernière déclaration, sur sa blessure contractée alors que Darvin Ham l’avait testé comme 6e homme, est à mes yeux la preuve ultime que Russell Westbrook restera jusqu’au bout un hérisson.
« Absolument », a-t-il ainsi répondu lorsqu’on lui a demandé si sa blessure aux ischio-jambiers était liée au fait de sortir du banc. « J’ai eu la même routine pendant 14 ans d’affilée. Honnêtement, je ne savais même pas quoi faire avant le match. Pour être honnête, j’essayais de comprendre comment rester chaud et prêt. Surtout vu la façon dont je joue, parce que je vais vite, je pousse, je redémarre. Il se trouve que lorsque je suis entré en jeu, j’ai senti quelque chose. J’ai pensé que c’était… je ne savais pas ce que c’était, mais je n’allais pas prendre de risque dans un match de présaison. Mais ce n’était définitivement pas quelque chose à quoi j’étais habitué. Je n’étais pas assez chaud. »
Comme il le dit : pendant 14 ans, Russell Westbrook s’est bâti pour briller dans son système. Sa routine, physique et technique, il l’a développée dans ce but. Ce principe organisateur, unique et universel, a dicté sa carrière, l’emmenant très haut, pour maintenant le faire plonger. Ça explique pourquoi il s’est braqué lorsque Frank Vogel a voulu que tout le monde puisse remonter le ballon l’an passé aux Lakers. Ça explique pourquoi il est perdu lorsqu’on le place 6e homme. Ça explique pourquoi Charles Barkley ou Paul George le sentent si mal à l’aise dans cette équipe de Los Angeles.
« Franchement, cette équipe n’est pas faite pour lui, avec ce roster » a expliqué son ancien coéquipier au Thunder après le derby. « Il faut que ça marche dans les deux sens. C’était un gars qui pouvait facilement faire du 30-10-10 quand il avait les clés de l’équipe. Il ne faut pas l’oublier. Je veux juste qu’il retrouve cette joie, cette excitation, ce plaisir. C’est ce qui le rend spécial, le fait qu’il puisse faire ça tous les soirs. Je déteste que cela ne semble pas être le cas pour lui. Mais j’espère qu’au bout du compte, ça marchera pour lui. »
« Let Russ be Russ… or die trying »
« Let Russ be Russ ». Laissez Russ être Russ. Ça a été et c’est toujours le mot d’ordre des fans du MVP 2017. Cela implique de laisser les rebonds et le ballon à Russell Westbrook, pour qu’il puisse mettre l’intensité et la pression physique qu’il a affichées depuis son arrivée dans la ligue. C’est sans doute oublier qu’à presque 34 ans, le meneur a perdu de son explosivité et de son efficacité, notamment près du cercle.
L’an passé, avec 58% de réussite à moins de 1m20 de l’arceau, il n’était ainsi plus que dans le 52e percentile au niveau de l’efficacité dans cette zone. Jamais il n’y avait été aussi peu efficient depuis sa deuxième saison. Mais c’est aussi l’avantage quand on base son jeu sur un principe unique, et très simple, les nuances s’y appliquent beaucoup plus difficilement.
Ce qui mérite d’être nuancé, par contre, c’est à quel point Russell Westbrook est responsable de ses difficultés depuis son arrivée à Los Angeles. Certes, on a rarement vu en NBA un hérisson autant recroquevillé sur ses principes (alors que l’immense majorité des joueurs s’appuient pourtant sur quelques forces principales pour faire carrière) et aussi rétif au changement. Mais la volonté de LeBron James et des Lakers de transformer le hérisson Westbrook en renard, pour en faire désormais un « 3&D » à l’opposé de ce qu’il a été depuis plus d’une décennie, doit aussi interroger.
En attendant de voir comment la situation va se régler, et même si je n’ai personnellement jamais été fan de son jeu, il y a un pénible sentiment de malaise à voir un joueur se battre contre tellement d’éléments extérieurs. Comme à voir un hérisson gravement blessé.