Nous sommes une heure avant le match entre les Warriors et les Knicks au Chase Center. Evan Fournier sort du tunnel qui le mène sur le parquet. Pendant une grosse quinzaine de minutes, le capitaine de l’équipe de France répète religieusement ses gammes avec l’aide d’un assistant coach. Ce sont malheureusement les seules minutes qu’il passera sur le parquet des Warriors. Pour la troisième fois d’affilée, il restera en survêtement sur le banc à encourager ses coéquipiers qui finiront par perdre de dix points dans un match qu’ils ont terminé à 9 sur 34 à 3-points.
Basket USA est allé à sa rencontre dans le vestiaire pour discuter de sa nouvelle situation, mais aussi de Victor Wembanyama, et de son opinion sur les propos de Tony Parker et de Nicolas Batum sur les jeunes Français en NBA.
Evan, vous êtes passé de titulaire à remplaçant après sept matchs, puis six matchs plus tard vous êtes hors de la rotation. Ce soir c’est votre troisième match sans jouer, comment vivez-vous et gérez-vous cette nouvelle situation ?
Écoutez, je le vis… Je ne suis pas content mais qu’est-ce que je peux faire ? Je ne peux pas faire grand chose en vrai (il hausse les épaules)… Donc je reste professionnel, je fais ce que j’ai à faire, et j’essaie de me tenir prêt, et voilà. On reste patient.
Quand vous dites que vous restez professionnel, comment arrivez-vous mentalement à trouver le juste milieu entre être un bon coéquipier, être un bon vétéran tout en gardant cette volonté de revenir dans la rotation aux dépens de certains coéquipiers ?
Quand je dis rester professionnel, il s’agit de faire ce que j’ai à faire pour rester prêt. Bien sûr, il faut rester un bon coéquipier mais ce n’est pas parce qu’on me dit que pour l’instant je suis pas dans la rotation que nécessairement je vais me relâcher, davantage manger, sortir… J’essaie de me tenir prêt. Tu vois, demain les autres vont être « off ». Moi, je vais aller m’entrainer, je vais faire du cardio, je vais faire ma muscu. Quand je dis professionnel, c’est ça. Me préparer au cas où le coach ait besoin de moi.
« Je viens juste d’avoir 30 ans, je suis dans mes meilleures années, je suis en pleine forme donc… il faut que je joue »
Revenons sur les sept premiers matchs. Il y a eu l’arrivée de Jalen Brunson qui doit avoir la balle dans les mains, vous avez RJ Barrett en deuxième créateur, et il y a Julius Randle qui doit être servi… Forcément, votre rôle change, mais vous affichiez à 39% à 3-points lors de ces sept matchs… Certes il y avait d’autres problèmes mais avez-vous été surpris que le coach ne donne pas plus de temps à ce nouveau cinq de départ ?
Mon rôle avait déjà changé dès l’année dernière. J’étais beaucoup plus dans un rôle de shooteur que les années précédentes, ce qui n’était pas forcément mon jeu par le passé. Mais j’ai réussi quand même à bien m’adapter je trouve. Eh oui, c’est vrai qu’on n’a pas eu beaucoup de temps pour pouvoir tester ce cinq majeur… Surtout qu’on était à 3 victoires, 4 défaites, et comme tu dis j’étais à 40%. En vrai, je trouvais qu’il n’y avait rien d’alarmant. Après… c’est son choix, c’est le choix du coach (il hausse les épaules). En vrai, je n’ai pas grand chose à dire… Il faudrait lui demander. Après quand tu regardes les minutes des sept premiers matchs, tu vois quand même que je ne jouais déjà pas beaucoup. J’étais dans le cinq mais je ne jouais pas beaucoup… Donc, c’est vrai que ça pouvait laisser penser à un futur changement. Après, tout s’est passé très vite : au septième match, je sors du cinq et là au treizième match, je suis hors de la rotation… C’est vrai que… c’est arrivé super vite.
Est-ce qu’il y a des discussions entre vous et l’entraineur, ou entre vos agents et le front office des Knicks sur cette décision du coach ?
Je ne sais pas… Je ne sais pas. Mais d’un point de vue personnel, ça ne m’intéresse pas, en tout cas pas tout de suite. Après, si dans un mois, il n’y a rien qui change, et ça dépend de ce que fera l’équipe… Mais si dans un mois, rien ne change, je vais commencer à me poser des questions. Pour l’instant, j’essaie de rester concentré sur ce que j’ai à faire…. Je viens juste d’avoir 30 ans, je suis dans mes meilleures années, je suis en pleine forme donc… il faut que je joue.
« Me faire transférer maintenant, ça veut dire que je ne verrai pas ma famille pendant plusieurs mois, que je ne verrai pas mon nouveau fils… »
On imagine que c’est trop tôt pour parler de transfert ou de demande de transfert mais est-ce que c’est quelque chose qui vous trotte déjà dans la tête ?
Comme je te dis, je n’y pense pas encore. Moi vraiment, je prône la patience. En 82 matchs, il y a énormément de choses qui peuvent changer. J’espère que ce ne sera pas le cas (ndlr : il touche du bois), mais il peut y avoir des blessés, il peut y avoir un transfert. Tu sais jamais ce qui peut se passer. Et pour être totalement transparent, j’ai ma femme qui est enceinte et qui doit accoucher en février donc me faire transférer maintenant, ça veut dire que je ne verrai pas ma famille pendant plusieurs mois, que je ne verrai pas mon nouveau fils. Je suis à un stade de ma carrière où ça c’est dur, et je n’ai pas forcément envie de le vivre… Donc c’est une situation qui est compliquée, aussi sur le plan familial. Donc, restons patient pour l’instant et on verra.
Passons à un autre sujet, avec la découverte de Victor Wembanyama par les Américains. Qu’est-ce qui vous impressionne le plus chez lui : son jeu ou la façon avec laquelle il arrive à gérer toute cette hype à un si jeune âge ?
Pour moi, ce n’est pas nécessairement son jeu…. Enfin… Évidemment que son jeu est impressionnant, mais personnellement, ce qui me marque le plus chez Victor, c’est son comportement par rapport à tout ça, comment il se positionne… Je n’ai pas envie de dire que c’est une forme de maturité mais il est sûr de lui. Sûr de lui, sûr de ses forces. Il sait où il veut aller. Vraiment, le gamin, il est vraiment carré. Et c’est vraiment rare. Il fait preuve de beaucoup, beaucoup de sagesse pour son âge. Je suis vraiment impatient de le côtoyer en équipe de France, de voir comment il se comporte, de découvrir un peu le bonhomme, et de voir ses débuts en NBA. Parce qu’en tant que Français, t’es obligé de le soutenir et espérer qu’il cartonne tout ! C’est un très bel espoir du basket français.
« On est sur une pente, je trouve, en France qui est assez inquiétante »
A propos des jeunes français, Tony Parker et Nicolas Batum ont récemment dit que les jeunes Français devraient rester plus longtemps en France ou en Europe avant de partir en NBA parce qu’ils ne sont pas prêts. Quel est votre avis sur la question ?
Ils ont bien entendu raison ! Pour moi, il y a un problème encore plus profond que ça, c’est la façon dont on aborde le basket en France en ce moment chez les jeunes. Ça se ressent aussi chez les équipes de France de jeunes, que ce soit les moins de 18, les moins de 17… De plus en plus, t’as l’impression que les équipes de France jeunes c’est un « showcase », et il y a moins ce côté compétitif, l’envie de gagner, l’envie de partage qu’il y avait avant. Je trouve qu’il y a un changement depuis maintenant quelques années et ça se ressent.
Comment se matérialise ce changement ?
Les gars font tout pour se faire drafter, ils ne pensent qu’à la NBA. En fait… t’as l’impression que le basket c’est moins important (il s’arrête)… que l’amour du basket, l’amour de la balle et de ce jeu. C’est devenu moins important, alors que le strass et les paillettes de la NBA, ça prend plus d’ampleur, les réseaux sociaux, le fait d’être connu, etc. On est sur une pente, je trouve, en France, qui est assez inquiétante. Et bien entendu, vu que les gamins pensent de plus en plus à ça, ils partent de plus en plus tôt, sans avoir réellement prouver en France ou dans le monde professionnel. C’est un gros problème, franchement c’est un vrai gros problème.
Quand on regarde le parcours de ces jeunes joueurs, la plupart font tout de même deux ou trois ans en France ou en Europe si on prend l’exemple de Killian Hayes. Vous, vous aviez eu un parcours similaire en faisant un an à Nanterre, et deux à Poitiers…
J’avais fait trois ans chez les pros mais il ne faut pas confondre… Ce n’est pas une question de durée. On a tous des trajectoires différentes mais ce qu’il faut c’est être productif : il faut être productif ! Parce que maintenant la NBA, elle a un regard différent sur l’Europe. Avant, les Européens se faisaient drafter uniquement s’ils étaient performants dans leur championnat. Maintenant, ils misent de plus en plus, comme pour les Américains, sur le potentiel. Donc maintenant, les gamins se trouvent choisis de plus en plus haut à la Draft, ce qui n’était pas le cas avant, alors qu’ils n’ont pas vraiment prouvé. Pour moi, c’est une erreur.
En quoi, c’est un erreur ?
Parce que quand t’arrives, tu n’es pas armé ! Comme tu es drafté haut, au début tu vas jouer. Sauf que si tu n’es pas performant tes deux premières années et que tu ne montres pas assez de choses, la troisième année, c’est parti, tu deviens remplaçant. La quatrième année, c’est pareil. Et à partir du moment où tu signes ton deuxième contrat, ton rôle sera le même que l’année précédente, et ça ne bougera plus. C’est à dire qu’on va te signer en se disant : ‘OK, lui, c’est un 8e homme, un 10e homme…’. Ensuite, pour remonter dans la hiérarchie, espérer être titulaire, et avoir beaucoup de temps de jeu, c’est super compliqué. C’est pour ça qu’il faut arriver en étant performant… Je prends souvent l’exemple de Nico Batum. Quand Nico, juste après le Hoop Summit, il cartonne tout et dans toutes les mock drafts, il est prévu cinquième. Sauf que Nico, il savait. Il a prévenu, et il a dit qu’il n’était pas prêt, qu’il sortait d’une saison à 6 ou 7 points au Mans… Il a dit qu’il fallait qu’il continue son apprentissage, etc. Au final, il se fait drafter 27e alors qu’il aurait pu faire un top 5, sauf que le gars était beaucoup plus armé ! Il était davantage prêt, et on connait la carrière qu’a eu Nico.
« Les jeunes ne se rendent pas compte de ce qu’il faut endurer pour faire une carrière de dix ans en NBA… C’est super dur. Ils ne se rendent pas compte »
Oui mais, à 18-19 ans au Mans avec Vincent Collet, il avait des responsabilités… Aujourd’hui, en Betclic Elite, il y a plusieurs Américains devant un jeune talent, et il n’a peut-être pas l’opportunité d’être responsabilisé de la même manière…
Bien sûr, mais Nico il a eu ses responsabilités dans sa deuxième année. Dans sa première année en pro, il jouait mais ce n’était pas un joueur majeur de l’équipe. Alors que l’année d’après quand il est revenu, c’était un joueur dominant, un des plus importants de son équipe. Pour moi ce n’est pas concevable de se faire drafter et d’essayer de faire son trou en NBA alors qu’on n’est même pas un joueur dominant dans son équipe en France. C’est juste pas possible ! Et si jamais tu n’y arrives pas, c’est juste que la NBA n’est pas pour toi… c’est tout. C’est juste que le plus haut niveau n’est pas pour toi et peut-être que tu y arriveras plus tard, quand t’auras 23-24 ans, après avoir fait ton trou en Europe… Mais là maintenant, ce n’est franchement pas une bonne idée parce que c’est comme ça que tu te casses la gueule. Et après tu passes quatre ans à ne pas jouer… Et c’est dur, c’est même très dur de pas jouer pendant autant de temps.
Est-ce que le problème ne vient pas du fait qu’on compare cette nouvelle génération à celle de Tony Parker, à Nico Batum, à Boris Diaw, à Rudy Gobert et vous… Est-ce que le succès des « anciens » n’a pas donné l’illusion que c’était facile d’aller et de s’imposer en NBA ?
Cela complète ce que j’ai dit auparavant… C’est à dire que trop souvent, maintenant, je vois des gamins qui arrivent et qui ne sont pas prêts pour charbonner. Ils ne sont pas prêts. Ils sont davantage attirés par ce qui vient avec la NBA plutôt que par le côté basket. Je vais prendre mon exemple… Je dormais à la salle, je vivais à la salle. Il n’y avait que ça dans ma vie qui comptait. Basket, basket, basket, basket ! À me dire, il faut que je perce avec Denver, tu charbonnes, tu charbonnes. Je ne calculais plus ma famille. Mes parents se plaignaient parce que je ne leur répondais jamais mais moi dans mon esprit, j’étais en mode survie. Et je trouve que maintenant, ils sont trop tranquilles. Franchement, je les trouve beaucoup trop tranquilles. Pas tous, bien entendu. Il y en a certains qui sont assez carrés, je le reconnais, mais globalement ils sont beaucoup trop tranquilles. Ils ne se rendent pas compte de ce qu’il faut endurer pour faire une carrière de dix ans en NBA… C’est super dur. Ils ne se rendent pas compte.
Propos recueillis à San Francisco.