Ce jour-là, il a pris plus de 1 200 clichés. Dont, sans aucune surprise, une majorité du jeune homme que la planète basket entière voulait voir à l’œuvre : LeBron James. Vingt ans et des centaines de matchs plus tard, Rocky Widner n’a pas oublié ce 29 octobre 2003, le jour où le natif d’Akron fait ses débuts dans la Grande Ligue par la grande porte. Dans un environnement médiatique peut-être jamais vu jusqu’ici.
Si plus de 300 journalistes débarquent dans la capitale californienne, Rocky Widner a sa place attitrée au bord du terrain. Depuis 1985 et encore aujourd’hui, il est le photographe de la franchise de Sacramento. « À l’époque, les Kings étaient extrêmement populaires et la meilleure équipe de la ligue. Je suppose que c’est la raison pour laquelle la ligue a décidé de faire jouer le premier match de Lebron à Sacramento », resitue le professionnel joint par Basket USA.
Ses Kings occupent effectivement les sommets de la ligue depuis quelques années et la bande à Chris Webber, Mike Bibby, Peja Stojakovic ou le nouveau venu, Brad Miller, entendent bien passer l’obstacle des Lakers et s’inviter en finale NBA. Mais ce soir-là, les projecteurs n’ont de lumières que pour le visiteur d’en face. Notre photographe parle d’un « traitement à la Michael Jordan ».
« LeBron a fait l’objet d’un tel battage médiatique que tout le monde était impatient de voir s’il était aussi bon qu’on l’attendait. Alors oui, les caméras étaient toutes braquées sur lui lorsqu’il est apparu sur le terrain. Et les journalistes ont afflué autour de lui après l’entraînement matinal. Il a été traité comme Michael, mais ne vous méprenez pas, il n’était pas et n’est pas aujourd’hui Michael Jordan », insiste le professionnel en offrant sa voix à « MJ » pour le titre de plus grand basketteur de tous les temps.
Déjà un adulte
Avant ce premier match, Rocky Widner n’a pas l’occasion d’échanger avec le futur « King », qui « ne ressemblait pas à un jeune de 18 ans. Contrairement à Kevin Garnett ou Kobe Bryant, qui avaient l’air d’avoir 18 ans quand ils sont entrés dans la ligue, LeBron ressemblait à un adulte », avait décrit le photographe chez nos confrères d’Andscape il y a quelques années.
Le premier choix de la Draft 2003 a beau déjà en imposer physiquement, le joueur des Cavs est nerveux. « Hyper nerveux » même, comme il l’a confié à ESPN il y a quelques semaines : « Je savais que j’étais prêt pour ça, que j’étais à ma place au sein de la plus grande ligue du monde mais je ne savais pas à quoi m’attendre. J’étais hyper nerveux. »
Peu visible, sa nervosité se dissipe lorsqu’il distribue sa première passe décisive, un caviar lobé en « alley-oop » vers Ricky Davis. Et puis il y a ce premier tir. « Je ne savais pas comment j’allais mettre mon premier panier. Un lay-up ? Un lancer-franc ? J’espérais que ce soit un lay-up, mais ça s’est terminé par un ‘fadeaway’ ligne de fond devant notre banc. Un tir plutôt difficile », qualifiait le joueur des Lakers. Sans le savoir, il vient de lancer dans cette course insensée et inimaginable pour rattraper Kareem Abdul-Jabbar et son record de points en carrière.
Et puis à trois minutes de la fin de ce premier quart-temps, il y a cette passe un peu molle de Peja Stojakovic vers Doug Christie, à proximité de la ligne médiane. Un éclair s’interpose. La passe est coupée. Un dribble et deux appuis plus tard, LeBron James s’offre son premier tête-à-tête avec un cercle NBA.
Son geste signature
« La tempête parfaite », comme le décrit Rocky Widner. Le premier coup de marteau de sa carrière. « Tout le monde voulait voir ça, les fans ont payé pour voir ça », livre notre homme, un tantinet « agacé » par l’altruisme du joueur des Cavs sur l’action suivante : plutôt que d’écraser un second dunk, il préfère délivrer une nouvelle passe décisive à Davis. « Je voulais plus de photos de LeBron ! »
« Je n’avais aucune idée de ce à quoi ressemblerait son dunk, je n’avais jamais vu de vidéos de lui avant. J’ai réglé mes caméras à distance comme d’habitude à ce moment-là et il s’est approché de l’anneau avec un bon angle. Il y a donc eu cinq photos différentes de son dunk », détaille le photographe, selon qui ces clichés n’ont rien de compliqué en raison des « heures de préparation pour l’installation » des appareils.
« Heureux d’avoir capturé ce moment spécial aussi bien qu’il pouvait l’être » niveau qualité, à une époque où le smartphone ne se glisse pas encore dans les poches de chacun, le spécialiste ne sait pas que ce geste va devenir le fil conducteur du meilleur marqueur de tous les temps.
Comme il le disait à ESPN, le « King » n’a ni le « fadeaway » sur une jambe de Dirk Nowitzki, ni celui de Michael Jordan, ni le « skyhook » de « KAJ » ou le « Dream Shake » de Hakeem Olajuwon.
« La seule signature dont les gens parlent toujours est mon dunk ‘tomahawk’ en transition. Ils disent toujours que c’est ma signature. Même un de mes coéquipiers actuels, Lonnie Walker, en parle et c’est plutôt cool. Et c’est venu de nulle part. Mon ‘frère’ Brandon Weems, maintenant parmi les dirigeants des Cavs, a volé un ballon contre Oak Hill lors de ma dernière année (de lycée) et me l’a envoyé. J’ai vécu ce moment, diffusé à la télévision nationale et c’est devenu ma signature », jugeait LeBron James.
Rocky Widner a été le premier à immortaliser ce geste en NBA et a eu l’occasion de capter le même geste dix ans plus tard, alors qu’il portait le maillot du Heat. Dix ans plus tard encore, l’exceptionnelle carrière de LeBron James n’est pas terminée.
Notre photographe peut ainsi facilement faire ce constat : « Il a été à la hauteur de l’engouement. C’est génial qu’il apprécie le don qu’on lui a fait et qu’il travaille dur pour ne pas le gaspiller ou pour ne pas décevoir les fans. Il joue beaucoup et il joue dur. Je n’ai jamais l’impression qu’il se la coule douce. »
À (re)lire :
Le poster de LeBron James sur Jason Terry
Derrick Rose, le plus jeune MVP
Le shoot d’anthologie de Kawhi Leonard
Stephen Curry seul dans sa propre ligue
L’affichette « 100 » de Wilt Chamberlain
Dans les nuages au-dessus de « Air Jordan »
Le dunk hommage « involontaire » de LeBron James à Kobe Bryant