Pour raconter le parcours d’une légende comme Bill Russell, décédé il y a un peu plus de six mois, qui couvre des moments importants de l’histoire du sport et des États-Unis, Netflix a mis les petits plats dans les grands avec un documentaire en longueur, avec deux parties et une durée totale de 3h15.
De quoi plonger en profondeur dans les sujets les plus intéressants, voire passionnants, ce qui constitue une indéniable force face à d’autres films parfois formatés en 52 minutes, et pas une de plus. Et ces sujets sont nombreux dès qu’il s’agit de Bill Russell.
Car avec une carrière terminée il y a 54 ans, la majorité des gens n’ont pas vu jouer le pivot des Celtics, onze fois champion NBA. Les photos et les images utilisées, sur ou en dehors des parquets, sont superbes et parfois même remarquables de qualité, comme pour les Finals 1969 face aux Lakers ou lors d’une soirée entre les joueurs de Boston, avec leurs femmes, après le titre de 1959.
La carrière sportive de Bill Russell est évidemment racontée en détails et avec des citations du joueur lui-même, glanées dans ses autobiographies. Tout y passe : l’université, les Jeux olympiques de 1956, ses débuts difficiles en NBA, son entente avec Bob Cousy, sa défense et ses titres ou encore sa relation avec Wilt Chamberlain.
Cette rivalité, une des plus légendaires de la ligue, a connu plusieurs épisodes avec du respect et une amitié entre les deux géants au début, avant une cassure suite aux Finals 1969. Bill Russell n’avait ainsi pas mâché ses mots face au comportement de son adversaire, blessé dans le Game 7. Les deux se réconcilieront finalement dans les années 1990, avant le décès de Wilt Chamberlain, en octobre 1999.
La complexité du personnage très bien expliquée
Le comportement du quintuple MVP avec l’homme aux 100 points résume assez bien son image dans les années 1950 et 1960, avant celle du grand ancien, au rire si spécial et bruyant, respecté par tout le monde, qu’on a vu dans les trois dernières décennies de sa vie. Le Bill Russell du début de sa carrière est un personnage complexe, ce que le documentaire montre très bien, avec les témoignages de ses coéquipiers de l’époque comme Bob Cousy, Tom Heinsohn ou Tom « Satch » Sanders.
On peut aussi ajouter les mots très précieux de Jerry West qui, comme ceux des contemporains de Russell, tranchent avec les interventions sans grand intérêt des Stephen Curry, Chris Paul ou autre Shaquille O’Neal.
La star des Celtics entretiendra toujours une relation compliquée avec la ville de Boston, toujours très marquée par le racisme à son époque, dans laquelle il ne sentait pas réellement intégré. Il la résume ainsi : « Je joue pour les Celtics, pas pour Boston. » La famille de Bill Russell y est attaquée, des voisins (Russell parle de « ratons laveurs » devant ses enfants) viennent fréquemment renverser leurs poubelles, ce qui pousse le joueur a demandé un port d’arme. Plus tard, fait bien plus grave, leur maison sera visitée et vandalisée. Dès sa fin de carrière,Bill Russell quittera le Massachusetts pour Los Angeles afin de commencer une carrière dans la télévision et la publicité, peu couronnée de succès d’ailleurs.
Même sportivement, il se sent négligé puisque les fans et la presse de l’époque n’ont d’yeux que pour Bob Cousy, et négligent la domination et l’impact de Bill Russell chez les Celtics malgré ses statistiques, ses trophées individuels et les titres.
Qualifié alors d’arrogant et fortement touché par l’ambiance qui régnait dans cette ville de Boston, Russell a parfois dérouté par son comportement. Sa distance avec les institutions et les honneurs, sur laquelle il reviendra plus tard, ou son refus de signer des autographes feront beaucoup parler. Même ses coéquipiers ou les stars de la NBA actuelle n’arriveront jamais à obtenir sa signature ! Bill Russell, lui, ne comprenait pas vraiment l’importance de signer son nom sur un bout de papier et voulait surtout conserver son espace personnel et sa liberté face aux fans.
Même avec Martin Luther King et Muhammad Ali, il aurait voulu faire plus
Une grande partie du second volet est consacrée aux combats politiques de Bill Russell. L’Amérique des années 1950 et 1960 est en pleine révolution avec le mouvement des droits civiques et face à des épisodes de racisme très forts – il est insulté par des spectateurs dans les tribunes, on lui refuse l’accès à un restaurant – Bill Russell participe à la lutte, notamment en soutenant Martin Luther King. On lui propose même de prendre la parole lors de la célèbre marche sur Washington en août 1963, où le pasteur prononcera son fameux discours « I Have a Dream ». Mais il a « poliment refusé », car il n’avait pas participé à l’organisation de cet événement.
En revanche, en 1964, un an après la mort du militant Medgar Evers, et sur demande du frère de ce dernier, Charlie, il est invité à Jackson dans le Mississippi pour donner des cours de basket.
C’est alors un État où le racisme est puissant et la violence très présente, donc ce déplacement est dangereux. Une phrase d’un de ses coéquipiers, sous forme de conseil, dit tout : « Ça ira, si tu fais profil bas. » Faire profil bas pour un homme de 2m06, star nationale et multiple champion NBA et MVP de la ligue…
Dans le même temps, on le retrouve aux côtés de Muhammad Ali, quand le boxeur est sanctionné et critiqué pour son refus de rejoindre l’armée et de se battre au Viêtnam. Sa prise de parole, avec Ali à sa gauche, et le jeune Kareem Abdul-Jabbar ou encore Jim Brown, le joueur des Browns en NFL, reste un des grands moments de l’histoire du sport américain. L’enchaînement entre ce moment avec « The Greatest » et celui de la mort de Martin Luther King, en avril 1968, avec les secousses pendant les playoffs NBA, fait partie des minutes les plus passionnantes du documentaire.
On le savait et on le voit de manière éclatante durant ces trois heures, Bill Russell a fait énormément pour les droits civiques aux États-Unis. Il fut de tous les combats, même les plus récents, genou à terre. Malgré tout, et elle le répète plusieurs fois, la légende des Celtics estime ne pas avoir fait assez. « Ma contribution est minuscule », se lamentera-t-il. Ce documentaire majuscule démontre le contraire…
https://www.youtube.com/watch?v=ryHHifvsVwQ