Sorti dans les cinémas américains le 5 avril dernier, et désormais disponible sur Amazon Prime, le film intitulé « Air » a été plutôt très bien accueilli par la critique. À juste titre.
Il faut dire qu’avec une telle « Dream Team » d’acteurs emmenée par Viola Davis qui incarne Deloris Jordan, la maman de Michael, Matt Damon en Sonny Vaccarro et Ben Affleck en Phil Knight, ou encore Jason Bateman et Chris Tucker, le niveau est relevé.
Mais la trame de fond est également bien tissée, avec ce moment « qui a changé l’histoire », quand Michael Jordan a finalement choisi de signer avec la jeune firme américaine Nike (pour 2,5 millions de dollars sur cinq ans « seulement »), à laquelle il ne voulait même pas accorder d’entretien à l’origine, plutôt que les monstres sacrés de l’époque, Adidas et Converse, qui partaient largement favoris dans la course.
L’improbable signature chez Nike
On ne voit jamais Michael Jordan dans le film, seulement entraperçu de dos très brièvement (et c’est là un autre tour de force du film), mais il est évidemment le sujet principal de la narration. En en ayant été l’inspiration, à travers l’inévitable documentaire sorti en plein confinement…
« Quand je regardais The Last Dance, il y avait une séquence de cinq minutes sur [sa signature avec] Nike, et je me suis dit : ‘mais évidemment, il y a un film à faire là-dessus ! », explique le scénariste Alex Convery pour The Hollywood Reporter. « C’est surtout parce que ce contrat était tellement improbable. C’était quasi impossible, et il n’y avait aucune raison que Nike récupère Jordan. Mais ils l’ont fait ! Et ça a changé le monde pour ainsi dire. »
Présenté comme un des acteurs majeurs de cette décision, le célèbre découvreur de talents Sonny Vaccaro (qui s’occupera plus tard de Tracy McGrady et Kobe Bryant avec Adidas) n’a en fait été qu’un pion parmi d’autres, sur le grand échiquier qui inclut beaucoup d’autres protagonistes.
D’ailleurs, Michael Jordan a lui-même revu le scénario et demandé à Ben Affleck et Matt Damon de rajouter des personnages importants pour lui, dont George Raveling (ancien assistant de l’équipe olympique) incarné par Marlon Wayans qui a été selon MJ celui qui a le plus joué dans sa décision, mais aussi de ne pas oublier l’importance d’Howard White (Chris Tucker). De son côté, MJ a aussi pesé dans le choix des acteurs… et plus précisément de l’actrice, en l’occurrence !
« Je lui ai demandé de manière un peu désinvolte, ce qui est toujours une erreur, qui il voyait pour jouer le rôle de sa mère », a détaillé Ben Affleck pour NME. « Il m’a dit que ce devait être Viola Davis. J’ai dit d’accord immédiatement, parce que c’était comme de dire qu’on veut Michael Jordan quand on monte une équipe de basket. On veut les meilleurs et je n’en attendais pas moins de sa part, sachant à quel point c’est un compétiteur. »
Réussi aussi bien dans l’esthétique que dans le narratif, « Air » n’en reste pas moins très libre en termes de vérité historique. Les réalisateurs ne s’en sont pas cachés, effet Hollywood oblige. Pour les puristes, et sous le contrôle de Scott Reames, l’historien de la marque, on fait le point.
Démêler le vrai du faux
D’emblée, il y a plusieurs ficelles importantes du scénario qui ont été tout bonnement inventées de toutes pièces pour renforcer la dramaturgie, telles que l’idée selon laquelle le bureau directeur pensait à éliminer sa section basket en 1984, ou encore que Nike inventait avec Michael Jordan ce type d’accord où l’athlète reçoit une part des profits (5% en fait) sur chaque paire vendue. À vrai dire, Nike l’avait déjà fait en 1975 avec le « Pro Club », un groupe de dix basketteurs professionnels qui touchaient entre autres 20 centimes sur chaque paire achetée.
S’il est bel et bien vérifié que son agent David Falk est celui qui a inventé le nom « Air Jordan », en revanche, Sonny Vaccaro n’a jamais négocié le contrat de Michael Jordan avec sa mère. En vérité, ni Sonny Vaccaro ni la mère n’ont été impliqués dans les négociations, qui ont été gérées de bout en bout par Rob Strasser, un des cadres de Nike joué par Jason Bateman et Falk, l’agent de Michael Jordan.
De même, s’il est vrai que Sonny Vaccaro a fortement insisté auprès de ses supérieurs chez Nike pour signer Jordan, il n’a par contre jamais été rendre visite à la famille Jordan à leur domicile de Wilmington, en Caroline du Nord. Ce qui occupe pourtant plusieurs scènes, et une part importante du scénario de Air.
Sur le devant de la scène dans la peau fictive de Matt Damon lors de la présentation face aux Jordan au siège de Nike à Beaverton à l’été 1984, Sonny Vaccaro n’avait en fait pas dit grand-chose lors de la réunion. Strasser et Peter (et non Pete) Moore, le dessinateur de la première chaussure Air Jordan, en avaient été les acteurs principaux.
L’affaire des amendes
La présentation était d’ailleurs loin d’être parfaite, avec un Strasser suant à grosses gouttes alors que sa cassette de highlights mis en musique n’arrivait pas à se lancer dans le magnétoscope. Et un Jordan qui a gardé le visage fermé de bout en bout. Et ce, jusqu’au dîner dans un restaurant chic du centre ville de Portland après la réunion.
Quant à l’histoire des amendes versées à la Ligue pour cause de non conformité en termes des coloris autorisés pour les chaussures, il y a du vrai et du faux.
Pour le vrai : Strasser a en effet accepté de payer les mille dollars d’amende par match (soit 80 000 dollars). Avant de capituler quand elle a gonflé à cinq mille dollars par match, puis s’est carrément transformée en menace de suspension pure et simple !
Pour le faux : les designers de Nike n’ont pas sciemment pensé aux couleurs des premières Air Jordan pour créer le scandale, en sachant qu’elles allaient être mises à l’amende. À l’époque, tous les acteurs avaient été surpris de l’ampleur prise par la situation.
Au final, autant pour Nike qui ne comptait faire qu’un petit bénéfice de 3 millions de dollars en trois ans pour la Air Jordan 1, finalement chiffré à 126 millions en un an (!), que pour Michael Jordan qui a commencé à bâtir son empire de la chaussure qui l’a mené jusqu’à créer sa marque éponyme, toujours aussi en vogue, on peut affirmer sans crainte que ce contrat a été un « win-win » !