Son « copain » Michel Denisot et lui en ont rigolé ensemble pendant des années. « Il y a toujours eu une compétition entre nous, pour savoir qui serait le meilleur survivant sur le plan de la carrière », décrit George Eddy qui, contrairement à beaucoup de ses anciens « camarades », a gardé sa place à Canal + via sa filiale africaine.
Depuis le 4 juillet 2023, le mot « survivant » résonne différemment chez l’homme qui a popularisé la NBA en France. Ce jour-là, sa voix a failli s’éteindre. Pour de bon. Alors qu’il jouait avec des jeunes d’à peine 18 ans sur un « playground » de Chatou (Yvelines), le commentateur sportif s’est écroulé. Arrêt cardiaque. Il a fallu l’intervention décisive d’un jeune homme, auteur d’un massage de « 13 minutes », pour le « ressusciter ».
La planète basket pouvait souffler. Et l’ex-présentateur du Grand Journal lui faire remarquer, par message, qu’il avait « gagné le match de la vie ». « Il faut dire que si tu meurs comme ça, c’est une belle mort. Sur un terrain de basket, c’était symbolique. Tu t’endors, tu perds conscience, il n’y a aucune douleur et tu reviens jamais », résume George Eddy, joint par Basket USA, en ajoutant, le sourire dans la voix : « Mais je suis quand même content que le gamin m’ait ressuscité ! »
Un playground modèle dans les Yvelines
Malgré ses 67 ans, l’ancien joueur professionnel n’avait cessé, jusqu’alors, de fréquenter ces terrains extérieurs pour y défier les plus jeunes et satisfaire sa soif bien connue de compétition. Le sexagénaire a fait du playground de l’île des Impressionnistes, à Chatou, l’un de ses repaires de jeu.
C’est là, du temps des restrictions liées au Covid, qu’il se rendait avec les autres. Jusqu’à « 40 » joueurs, dont certains des clubs environnants de N1, N2 ou N3. « Le niveau de jeu était incroyable et le côté fraternel pendant cette crise a été vraiment fabuleux », se souvient George Eddy, qui réalise alors à quel point ces terrains s’imposent comme des lieux de vie essentiels.
Playground de Chatou : on vous partage ce super sujet de nos équipes sur un playground qu’on ne présente plus !
En la compagnie de la LÉGENDE @georgeeddy2 #SKWEEKLive #BetclicELITE pic.twitter.com/x9UNaCyLsS
— SKWEEK (@skweektv) September 24, 2023
La pandémie sera le point de départ d’un énième projet basket pour lui : Playground Time. Fondée avec son ami, coach et joueur, Guilhem Peaucelle, cette association vise à développer la culture basket par le biais des playgrounds du pays, en gardant en tête le celui de Chatou. Celui-ci, considéré comme « exemplaire », a été refait à neuf avant le Covid grâce à un budget participatif de la ville d’environ « 60 000 euros, ce qui est très raisonnable ».
L’association intervient ainsi, « bénévolement », auprès des municipalités qui voudraient lancer un projet similaire, « où on ne gaspille pas l’argent public, on choisit les bons matériels (paniers, bitume…), durables… On a acquis un certain savoir-faire. » Et le flair pour éviter par exemple les tarifs proposés par des fournisseurs trop gourmands.
Des plans lancés en amont des Jeux olympiques
« Ces dernières années, qu’est-ce que les municipalités ont fait ? Elles ont pris des sociétés qui faisaient du ‘city stade’, avec des projets clé en main, sans vraiment demander leur avis aux experts », regrette le journaliste qui appartient à la majorité d’usagers à dénoncer l’utilité – hormis pour le scolaire dans les « petites villes » – de ces terrains multisports, tout sauf appropriés à la pratique du basket (hauteur du panier, revêtement, lignes…). Le spécialiste précise sur son association : « On n’a aucun intérêt, on ne roule pas pour les sociétés. Par contre, on veut bien mettre en valeur celles qui travaillent bien. »
« On veut défendre les valeurs des ‘bons playgrounds’ où c’est plutôt une histoire de camaraderie et de partage. Un lieu ouvert à tout le monde, en accès libre. Pas besoin d’une licence, pas d’horaire, pas de contrainte… Tous les soucis qu’on peut avoir dans les clubs », énumère celui qui est également dirigeant du club voisin au Vésinet, où il a joué avec l’équipe des anciens.
Deja plus de filets au nouveau playground de@Ville de Montesson .Terrain trop etroit,pas de 3 pts sur les côtes et pas de protection entre le foot et les appareils de fitness(danger!). @PlaygroundTime aurait pu leur eviter ce gaspis! pic.twitter.com/fbcnXl8FOE
— George Eddy (@georgeeddy2) August 23, 2023
Cette dimension communautaire ressort du playground modèle de Chatou. Là-bas, les jeunes se chargent eux-mêmes de changer un filet usé par exemple, évitant ainsi d’attendre « deux mois » si la municipalité devait s’en charger. Depuis sa création, l’association a accompagné plus d’une trentaine de projets. Intégré à une commission sur la rénovation des terrains au sein de la mairie de Paris, George Eddy est persuadé que cet élan va se poursuivre car les financements sont là.
La Fédération française a lancé le plan FFBB 2024 « INFRA » qui soutient les porteurs de projets (clubs affiliés, conseils régionaux ou départementaux…) pour la création et la réhabilitation de terrains. En parallèle, le gouvernement a lancé le plan « 5 000 terrains de sport », en lien avec l’Agence nationale du sport. Une enveloppe de 200 millions d’euros sur la période 2022-2023 a été débloquée pour développer ces équipements d’ici 2024 et les Jeux olympiques.
Résultat, bénéficier d’un playground flambant neuf est « souvent l’histoire de quelques coups de fil et de quelques courriers » selon le spécialiste qui avait participé, avec « Mondial Basket » notamment, à une précédente vague de constructions de terrains dans les années 1990. Terrains qui, 30 ans plus tard, attendent leur coup de peinture.
À 16 ans, on lui donne les clés d’un playground à Orlando !
L’histoire d’amour du journaliste pour les playgrounds ne date pas d’aujourd’hui. À ses débuts près d’Orlando en Floride, où il grandit, le Franco-américain y joue presque exclusivement, car l’accès aux salles est plutôt réservé aux équipes de lycée. « Donc j’ai commencé en jouant notamment avec beaucoup de joueurs noirs parce que c’était les meilleurs, ce qui m’a fait progresser. »
Vers l’âge de 16 ans, la municipalité locale lui confie une mission : désormais en possession des clés du playground à côté de chez lui, il sera payé pour ouvrir et éclairer les lieux. « C’était le rêve ! Je mettais la lumière, je jouais pendant quatre heures et j’étais payé pour être là. Comme ils savaient que je m’entendais bien avec les deux communautés, noire et blanche, j’étais le parfait gendarme quand il y avait des bagarres, qui n’étaient pas uniquement raciales. »
Actif sur les scènes extérieures, le jeune homme de l’époque parvient tout de même à jouer en salle en passant son temps à « suivre partout » son meilleur ami au lycée et le « 2e meilleur joueur de l’état de Floride » : Stan Pietkiewicz, brièvement passé par les Clippers de San Diego et les Mavs à partir de la fin des années 1970. « Quand il avait le droit d’aller dans les salles, je le suivais. Il jouait quatre – cinq heures par jour, il voulait toujours faire face à la meilleure compétition. Son idole, c’était Pete Maravich, il shootait déjà à 8 mètres comme Steph Curry. »
Maxime sauve la vie de George Eddy
Des souvenirs de ce 4 juillet, George Eddy n’en a « aucun ». Le récit de son accident qui aurait pu lui coûter la vie, il le doit à son sauveur, Maxime Lang. « Après un double pas, il prend son rebond, s’assoit, demande un temps pour souffler, s’allonge et perd connaissance », décrit le jeune homme de 21 ans, également joint par Basket USA. « C’est là qu’ils se rendent compte que j’arrête de respirer », complète le journaliste. Et là que le jeune joueur de N3, spectateur ce jour-là parce qu’il a un match amical avec son équipe dans la foulée, prend les choses en main. Au sens propre. 13 minutes de massage cardiaque vécues comme si c’étaient « 13 secondes », jusqu’à l’arrivée des secours pour lui administrer deux chocs électriques et relancer le cœur du journaliste.
Maxime, le « gamin » qu’il a vu grandir, venait de lui sauver la vie. « Il a été exemplaire de sang-froid, je le considère un peu comme mon fiston maintenant, mon petit-fils vu mon âge. » Au téléphone avec le Samu ce jour-là, Maxime avait avoué être « assez stressé ». Formé au collège aux premiers secours, il ne s’était jamais retrouvé dans une telle situation. Il compare ce stress à celui d’un « début de match de basket, le plus dur est de franchir le premier pas ».
Modestement, il ajoute : « George s’est plus battu que moi. Je ne suis qu’une petite chose du rouage de sa guérison. J’ai l’impression que c’était un mauvais rêve, de n’avoir rien fait quand je vois son état actuel. Il a tellement bien récupéré, il n’a aucune séquelle. » Son geste spontané a justement évité des séquelles graves au journaliste, qui n’aurait pas hésité à lui prodiguer les mêmes soins. « C’est presque aussi important que de survivre parce que si j’avais été paralysé ou complémente gaga, j’aurais préféré partir très honnêtement. »
George Eddy s’était déjà fait très peur deux ans plus tôt, en subissant un infarctus. Depuis, il savait qu’il devait y « aller mollo » mais continuait à jouer, plusieurs fois par semaine. En pensant avoir retrouvé son rythme d’avant son premier accident. Aujourd’hui, le commentateur dit avoir appris « [s]a leçon ». Jouer intensément, c’est fini. Y compris en club : plus possible d’obtenir un certificat médical.
Depuis cette épreuve, il cherche à intégrer cette dimension de sensibilisation aux gestes qui sauvent des arrêts cardiaques au sein de l’association. Un enjeu de santé publique quand on sait que jusqu’à 50 000 personnes font un arrêt cardiaque soudain chaque année, dont environ 5% survivent.
Voilà une idée que PlaygroundTime voudrait démultiplier sur les playground de pic.twitter.com/KM8uLX75jD
— Playground Time (@PlaygroundTime) September 16, 2023
Et la retraite ?
Le massage cardiaque ? « C’est pas compliqué. Des enfants de six ans ont sauvé la vie de leurs parents. Il faut juste informer et éduquer. Je rêve que le premier jour de l’école ou d’un entraînement dans n’importe quel sport, on montre pendant 10 minutes aux jeunes ce que c’est. Pas besoin de faire formation pendant trois jours », juge George Eddy, encore marqué par les drames, sur lesquels il s’est documenté, où certains n’ont pas été en mesure d’intervenir auprès d’un proche.
« Avec un tout petit peu plus de sensibilisation, on pourrait sauver des milliers de vie tous les ans », assure le sexagénaire, lui-même plus vivant que jamais. « On a l’impression que je suis parti à la retraite mais ce n’est pas le cas », assure celui qui, en plus de l’association et de son académie pour les jeunes les plus doués de son club, repart pour « au moins encore une saison » sur Canal + Afrique où il officie depuis 2015. « Quand la saison NBA redémarre, je vais travailler au même rythme que l’année dernière. C’est vrai qu’on n’a plus l’équipe de France, et ça me manque. Mais j’avoue que je n’ai pas regretté de ne pas être allé à Jakarta pour voir les Français éliminés après deux matches ! »
La retraite ? « Sauf si je change d’avis, d’ici quelques mois », ce sera après les Jeux de Paris, qu’il devrait commenter pour plusieurs chaînes de sport. Sa période de récupération après l’arrêt de son cœur lui a fait réaliser qu’il avait besoin de se sentir « utile »: « L’idée de me sentir inactif, ça me fait un peu peur. Je suis déjà en train de préparer la retraite de la vie professionnelle avec ces activités annexes. L’association a été formidable pour moi. Mais aujourd’hui, le fait de reprendre mes activités normales me permet de me sentir revivre. » Parole de survivant.
Crédit photo (avec autorisation de l’auteur) : Benjamin Pham