« With the eleventh pick of the 1997 NBA Draft, the Sacramento Kings select Olivier Saint-Jean from San Jose State University ». Cela fait déjà vingt-sept ans que le regretté David Stern a prononcé cette phrase, annonçant l’arrivée d’un premier basketteur français dans le championnat le plus prestigieux du monde. Même si sa carrière a connu plus de bas que de hauts, Tariq Abdul-Wahad, né le 3 novembre 1974, restera à jamais celui qui a ouvert la brèche et mis fin à un demi-siècle d’attente pour notre pays.
Originaire de Maisons-Alfort où il est né sous le patronyme d’Olivier Saint-Jean, « TAW » a suivi sa formation outre-Atlantique en NCAA, ce qui était alors encore très rare pour les jeunes talents français. Champion d’Europe junior avec l’Equipe de France en 1992, il rejoint dans la foulée la prestigieuse université du Michigan à l’âge de dix-neuf ans. Au sein d’un effectif très talentueux (Juwan Howard, Jalen Rose…), il n’a que peu l’occasion de s’exprimer sur le terrain. Après deux ans chez les Wolverines, il décide de changer de fac et de mettre le cap vers l’Ouest, en direction de San Jose State, université beaucoup moins prestigieuse mais où il bénéficie de beaucoup de liberté et de temps de jeu.
Il s’éclate chez les Spartans, tournant à 17 points de moyenne lors de son année de junior et surtout à 23,8 points et 8,8 rebonds lors de son année de senior, ce qui fait de lui l’un des extérieurs les plus suivis de sa promotion.
Pressenti au deuxième tour, il fait très forte impression lors des camps d’entrainement avant la Draft et voit sa cote grimper en flèche pour finalement être retenu par les Kings en onzième position.
Son rôle est déjà clairement défini : apprendre le métier aux cotés de Mitch Richmond, puis prendre la place de titulaire à la retraite de ce dernier. Ses débuts sont légèrement différés pour cause de blessure mais le 11 novembre 1997 à Miami, Tariq Abdul-Wahad devient le premier français à poser le pied sur un parquet de NBA. Il inscrit un panier en dix petites minutes de jeu. Son impact reste assez faible jusqu’au mois de mars où il fait son apparition dans le cinq de départ.
Il connait son heure de gloire au dernier match de la saison, face à Vancouver, avec une pointe à 31 points, son record en carrière. Mais ce qu’il retient de cette première saison, c’est son premier match face à Michael Jordan.
Michael Jordan demande à le voir sur le terrain
« C’était mon année rookie donc en 1997-1998. Chicago arrive à Sacramento, Eddie Jordan annonce avant le match que tout le monde va jouer. Je ne sais pas si tu te rends compte de la scène. Le gars sait à quel point le moment est important historiquement. Tout le monde va rentrer sur le terrain. Gagner ? Gars, de toute façon aujourd’hui on ne va pas gagner. Donc, tout le monde va jouer. Eddie Jordan savait très bien qu’on allait affronter une équipe historique. Parce que de jouer contre Michael Jordan, contre Scottie Pippen, contre Ron Harper, contre une équipe qui va perdre entre 9 et 15 matchs dans l’année, c’est quelque chose qu’il faut vivre ».
Oscillant entre les postes 2 et 3, Tariq Abdul-Wahad, alors rookie, sait qu’il va devoir se mesurer au joueur le plus dominant de son époque. Et ce qui devait arriver arriva…
« Donc le match commence… et Jordan, le gars en personne, pendant le match, dit au coach : ‘Fais rentrer le Français, le petit Français là » (rires). ‘Get the Frenchy in !’. C’est lui qui dit qui doit jouer dans l’équipe adverse ! Si ça ce n’est pas des moves de boss, je ne sais pas ce que c’est, un boss » raconte-t-il. « C’est un truc de scénario de film… Donc je rentre sur le terrain, et bien sûr je défends sur Jordan. Il me fait un petit move, tac-tac, je n’ai rien compris. La deuxième fois, je me dis : ‘Son petit fadeaway, ça fait quand même 5-6 ans que je le regarde à la télé’. Même si on est fan, on sait dans quel sens ça va partir, ce qu’il va se passer. Donc je me dis, au lieu d’essayer de le contrer main droite, parce que je sais qu’il part ligne de fond sur le fadeaway et qu’il va tourner vers l’épaule gauche, je vais y aller main gauche pour avoir une chance de le contrer. Il fait son fadeaway, j’y vais main gauche, j’effleure le ballon main gauche, du bout du doigt. Je viens de contrer le fadeaway de Michael Jordan. Il shoote littéralement dans ma main, je box-out, et je crie « Short ! » parce que tu sais que son tir va être court, donc pour annoncer aux gars d’aller au rebond. Et là, le ballon rentre direct dans le cercle. Et je le vois repartir à reculons avec ses épaules et sa petite tête comparé à son corps. Il te regarde de l’air de dire : ‘Tu as cru quoi ? Que c’est ton doigt qui va effleurer la balle qui va changer la trajectoire de mon tir…’
Ce soir là, Michael Jordan avait inscrit 33 points, et sur les rares images, on voit effectivement Tariq Abdul-Wahad prendre un premier fadeaway sur la tête avant d’être à deux doigts de réaliser une interception, pour finalement encaisser un nouveau panier devant MJ en fin de possession.
À son aise avec Doc Rivers
Le lock-out réduit la deuxième campagne d’Abdul-Wahad à cinquante matchs. Devenu titulaire suite au transfert de Richmond à Washington, il continue sa progression et réalise une très bonne saison. Ses qualités défensives sont notamment saluées par toute la NBA, en France, on découvre son énorme potentiel athlétique lors de l’Euro 1999. Son histoire avec les Bleus tournera court avec la triste histoire des « chaussettes hautes« , et il n’ira pas aux JO 2000 à Sydney. Mais personne n’a oublié l’incroyable show du premier tour à Toulouse produit par TAW, Mous Sonko et Alain Digbeu.
Retour en NBA, et on est en droit de penser qu’il va s’installer durablement dans la rotation des Kings. Sauf que ces derniers l’envoient à Orlando durant l’intersaison en échange de Nick Anderson. Ce nouveau départ s’avère en fin de compte très positif pour le Français. Doc Rivers, le nouveau coach d’Orlando, vante sa ténacité et son agressivité en défense, et lui donne un temps de jeu conséquent, qu’Abdul-Wahad met à profit. Il tourne à 12,2 points et 5,2 rebonds de moyenne mais apprend le 1er février 2000 qu’il est envoyé à Denver à la surprise générale. Il n’a besoin que de quatre rencontres pour devenir le titulaire au poste d’arrière chez les Nuggets avant de voir sa saison se terminer prématurément au début du mois mars suite à une blessure au poignet.
En fin de contrat, Abdul-Wahad reçoit un pont d’or, pour l’époque, de la part de la franchise du Colorado : environ trente-cinq millions de dollars sur sept ans. Il devient le sportif français le mieux payé au monde, loin devant toutes les stars du ballon rond, pourtant champions du monde. Malheureusement pour lui, ce contrat marque le début de la fin de son aventure en NBA. En 2000-01, il ne dispute que vingt-neuf matchs suite à diverses blessures, en particulier au genou. De retour pour le coup d’envoi de la saison suivante, il se blesse à nouveau au genou après vingt-quatre matchs seulement alors qu’il avait récupéré sa place de titulaire. De retour en février, il est alors envoyé à Dallas où il ne dispute que quatre rencontres en fin de saison.
Le cauchemar de Mark Cuban
À nouveau sur le flanc avec des problèmes récurrents aux genoux, la saison 2002-03 ne commence pour lui qu’au mois de mars. Tariq Abdul-Wahad joue les quatorze derniers matchs de la saison, puis huit matchs en playoffs. On ne le reverra plus jamais sur un parquet en match officiel aux Etats-Unis. Indésirable à Dallas, il joue deux fois au cours de la présaison en octobre 2003 mais ne fait plus partie du roster en saison régulière. Il entre alors en conflit avec la franchise texane qui le juge inapte à poursuivre sa carrière et qui espère donc faire invalider les quatre années restantes sur son contrat. Lui considère au contraire qu’il peut reprendre la compétition. Au final, Abdul-Wahad est resté au sein de l’effectif et de la masse salariale des Mavericks, touchant plusieurs dizaines de millions de dollars sans jouer.
Le 21 février 2005, « TAW » poste un message en une de son site officiel. « Ça y est. Je l’ai décidé. Désormais, je repositionne mon image. Des courbettes à tout bout de champ, des interviews à tous les journalistes qui le souhaitent sans limitation de temps, de durée et de questions, du cirage de pompe en masse, des bénédictions à tous ceux qui ne me veulent que du bien en m’offrant le pire de l’hypocrisie. Oui, je vous dis : en 2005, je suis un autre homme. Enfin, pour ceux qui auront la naïveté de me croire… » écrit-il. « C’est la seule manière de pouvoir m’excuser d’avoir dit la vérité. D’avoir été droit et honnête avec ma conscience. La preuve : je suis depuis un mois de retour au sein des Mavericks. J’ai réintégré à la demande du club mais pas par ma volonté les séances collectives. Pour quel futur ? Je ne le sais pas encore. Mais il faut croire que la réalité est déjà bien dure à supporter pour ceux qui voulaient et pensaient détenir mon ticket de retraité du parquet. »
Sans club à la fin de son contrat en 2006, il n’a jamais daigné répondre aux sollicitations des clubs européens qui souhaitaient l’engager et a même décidé de se couper totalement du microcosme du basket professionnel.
Il est retourné vivre à San Jose où il a décroché son diplôme en Histoire de l’Art en 2008. Le basket n’est pas vraiment très loin, puisqu’il dirige l’équipe de la Lincoln High School après une pige à Cal State Monterrey Bay en deuxième division NCAA où il était assistant-coach de l’équipe féminine.
Tariq Abdul-Wahad | Pourcentage | Rebonds | |||||||||||||
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Saison | Equipe | MJ | Min | Tirs | 3pts | LF | Off | Def | Tot | Pd | Fte | Int | Bp | Ct | Pts |
1997-98 | SAC | 59 | 16 | 40.3 | 21.1 | 67.2 | 0.8 | 1.2 | 2.0 | 0.9 | 1.4 | 0.6 | 1.1 | 0.2 | 6.4 |
1998-99 | SAC | 49 | 25 | 43.5 | 28.6 | 69.1 | 1.5 | 2.3 | 3.8 | 1.0 | 2.5 | 1.0 | 1.4 | 0.3 | 9.3 |
1999-00 * | All Teams | 61 | 26 | 42.4 | 13.0 | 75.6 | 1.7 | 3.1 | 4.8 | 1.6 | 2.4 | 1.0 | 1.7 | 0.5 | 11.4 |
1999-00 * | ORL | 46 | 26 | 43.3 | 9.5 | 76.2 | 1.7 | 3.5 | 5.2 | 1.6 | 2.5 | 1.2 | 1.9 | 0.4 | 12.2 |
1999-00 * | DEN | 15 | 25 | 38.9 | 50.0 | 73.8 | 1.6 | 1.9 | 3.5 | 1.7 | 2.1 | 0.4 | 1.3 | 0.8 | 8.9 |
2000-01 | DEN | 29 | 15 | 38.7 | 40.0 | 58.3 | 0.5 | 1.6 | 2.0 | 0.8 | 1.9 | 0.5 | 1.2 | 0.5 | 3.8 |
2001-02 * | All Teams | 24 | 18 | 37.4 | 50.0 | 72.7 | 1.7 | 1.8 | 3.5 | 1.0 | 2.3 | 0.8 | 1.1 | 0.4 | 5.6 |
2001-02 * | DEN | 20 | 21 | 37.9 | 50.0 | 75.0 | 2.0 | 2.0 | 3.9 | 1.1 | 2.6 | 0.9 | 1.2 | 0.5 | 6.8 |
2001-02 * | DAL | 4 | 6 | 0.0 | 0.0 | 0.0 | 0.5 | 1.0 | 1.5 | 0.5 | 1.3 | 0.5 | 0.8 | 0.3 | 0.0 |
2002-03 | DAL | 14 | 15 | 46.6 | 0.0 | 50.0 | 1.0 | 1.9 | 2.9 | 1.5 | 1.9 | 0.4 | 0.5 | 0.2 | 4.1 |
Total | 236 | 20 | 41.7 | 23.7 | 70.3 | 1.2 | 2.1 | 3.3 | 1.1 | 2.1 | 0.8 | 1.3 | 0.4 | 7.8 |
Comment lire les stats ? MJ = matches joués ; Min = Minutes ; Tirs = Tirs réussis / Tirs tentés ; 3pts = 3-points / 3-points tentés ; LF = lancers-francs réussis / lancers-francs tentés ; Off = rebond offensif ; Def= rebond défensif ; Tot = Total des rebonds ; Pd = passes décisives ; Fte : Fautes personnelles ; Int = Interceptions ; Bp = Balles perdues ; Ct : Contres ; Pts = Points.