Thanos pour certains. Le personnage de Teal’c de la série Stargate SG-1 pour d’autres. Ou encore l’acteur Laurence Fishburne, alias Morpheus dans Matrix. Mais pas vraiment Dwyane Wade.
Voilà un rapide florilège des réactions provoquées par la statue de Dwyane Wade, présentée devant le Kaseya Center de Miami le 27 octobre dernier. Le « Qui est ce gars ? » incrédule de l’ancienne star du Heat au micro face à la liste impressionnante de ses accomplissements en carrière est devenu le symbole des railleries sur le bronze qui le représente. En cause, sa fidélité il faut le dire pour le moins incertaine avec le Hall of Famer.
Un vrai « travail d’investigation anatomique »
Représentée version « This is my House », une célébration faite lors d’un tir au buzzer contre les Bulls en mars 2009, la statue a surtout prêté aux sourires. Ce n’est d’ailleurs pas une première pour Omri Amrany, un de ses deux sculpteurs. L’artiste avait déjà été critiqué pour « The Spirit », la statue de Michael Jordan qui trône devant le United Center des Bulls depuis 1994.
« J’ai vu les photos de la réalisation de cet artiste, l’expression est très, très bizarre et cela ne va pas avec les mains, avec les jambes, rien » analyse pour Basket USA Juan Carlos Carrillo, sculpteur de renom installé à Châlons-en Champagne.
« Tout est de face, il n’y a pas de mouvement. Si l’expression du visage n’est pas connectée avec la position des bras et des jambes, cela devient n’importe quoi. C’est le cas-là, il n’y a pas de coordination »
Auteur notamment de la statue en l’honneur de la légende du football français Just Fontaine commandée par le Stade de Reims, Juan Carlos Carrillo s’étonne comme beaucoup du rendu final de la statue de Dwyane Wade. « Quand on réalise un monument comme ça, il ne faut pas juste se renseigner sur le visage, même si c’est très important, mais sur les caractéristiques physiques : sa façon de jouer, de sauter, d’approcher le ballon… On a tous les mêmes muscles, mais certains joueurs sont plus forts en jambes et moins du torse par exemple. Donc le mouvement ne sera pas le même. Il y a un travail d’investigation anatomique précis par rapport à la morphologie de la personne qui doit être fait. »
Cette posture, index pointés vers le sol, bouche grande ouverte dans un cri de rage, c’est Dwyane Wade lui-même qui l’a choisie. « Je voulais être sûr que chaque fan en la voyant se rappelle de ma carrière, et je pense que ce moment la résume » avait-il expliqué lors d’une conférence de presse en marge de la présentation. Dwyane Wade avait pris part à tout le processus créatif, se rendant dans le studio des artistes à quatre reprises. « C’est lors de sa dernière visite avec les derniers petits ajustements qu’il a pu la voir de ses propres yeux » a raconté Oscar Léon, co-auteur de l’œuvre de plus de 2m40 de haut. « Après cela, nous faisons vraiment confiance à tout notre processus. »
Quand la vision artistique se confronte à l’éternel
Dwyane Wade avait ainsi défendu l’œuvre quelques jours après avoir été rendue publique, suite au flot de railleries, faisant preuve d’un peu d’ironie, tout en estimant que la « version artistique d’un moment » primait.
« C’est ce qui peut arriver quand on laisse le choix à l’artiste de faire son œuvre » rétorque Juan Carlos Carrillo. « Si on amène un basketteur à Picasso, on sait ce que cela va donner, ce sera une œuvre à la Picasso. Par contre, quand on doit réaliser une œuvre qui sera dans un stade ou devant une salle, elle doit être reconnue par les gens. On ne peut pas se permettre de donner sa touche. Mais il y a des personnes qui techniquement n’en sont pas capables, qui ne sont pas au niveau. C’est tout à l’honneur de Dwyane Wade de défendre la version de l’artiste. Le public, même s’il ne connait pas l’art, il a toujours un ressenti, et il se trompe rarement. »
Passé l’effet de la découverte et des moqueries, il n’est désormais plus vraiment possible de toute façon de corriger, nous explique dans le détail Juan Carlos Carrillo. Le processus de réalisation d’une statue est aussi minutieux que complexe. Tout part de dessins « pour voir la position, l’expression complète du corps« , puis d’une maquette pour « préciser » l’expression et les proportions en 3D. Une fois cette phase préliminaire effectuée, une armature métallique est montée, sur laquelle sera posée ensuite la terre glaise et qui devra donc en supporter le poids. La terre est positionnée « et c’est là qu’on commence le modelage, qu’on travaille le trait avec de l’argile fraîche » précise Juan Carlos Carrillo, une étape qui peut prendre jusqu’à deux mois sur des œuvres d’envergure.
Un moule en silicone est ensuite réalisé autour de la structure en terre pour former comme une peau, autour de laquelle du plâtre est posé « comme un puzzle » pour maintenir le silicone en place. C’est ce silicone qui est ensuite essentiel à la deuxième phase en fonderie, un savoir-faire dont la France reste une référence mondiale pour les œuvres d’art. Ces parties en silicone, consolidées par une fine couche de cire, formeront les parties définitives du moule.
Un bronze garanti mille ans… mais impossible à reprendre
Après une retouche de la cire sur les derniers traits de l’œuvre, un moule interne puis un moule externe de la sculpture sont constitués. « Le tout forme comme un gros cylindre » image Juan Carlos Carrillo. « Il faut imaginer que pour ma statue de Just Fontaine, le torse faisait un cylindre de deux mètres de haut par un mètre de circonférence, d’entre une et deux tonnes« .
Le bronze liquide – chauffé autour de 1 150 degrés – est ensuite incorporé dans les moules qui forment la statue en bronze brut, tout du moins sa coquille, épaisse d’à peine cinq millimètres. « Et je la garantis mille ans, un bronze, c’est éternel » assure Juan Carlos Carrillo qui prend pour exemple les statues antiques grecques.
Même arrivée à ce stade, l’œuvre n’est toutefois pas définitive, en cas de petites erreurs ou de parties abîmées lors du refroidissement. « On va finir la qualité de la peau, les retouches, ce que l’on appelle la technique de la ciselure. On peut retoucher des choses, mais pas tout, le bronze est la réplique exacte de la cire sauf d’éventuels petits trous de matière. Mais si la cire n’était pas bien faite et posait problème en amont, ce n’est pas la peine d’essayer de refaire le bronze, ça ne fonctionnera pas. »
Trop tard donc pour espérer un lifting de la statue de Dwyane Wade. Et les alternatives ne sont pas légion. Il faut parfois, comme pour la statue de Kobe Bryant reprendre toute une partie de l’œuvre, alors que plusieurs erreurs de noms avaient été constatées après son installation faite par… Julie Rotblatt Amrany, la femme d’Omri Amrany.
Voire la refaire de A à Z comme le buste du footballeur Cristiano Ronaldo installé en 2018 à l’aéroport de Madère qui avait tant amusé Internet. « C’est surtout que le joueur est en vie… Le problème, c’est le choix des artistes, tout commence par là » conclut Juan Carlos Carrillo.